Rencontrer 

25 minutes de lecture

Rosie et Tiana ont insisté pour venir dans ma superbe suite surclassée.

Je n'ai bien évidemment pas refusé.

Qui n'aimerait pas être surclassé dans un hôtel luxueux et être logé aux frais de la princesse ?

Celui qui me dit le contraire se taise à jamais.

J'ai dû leur faire la visite en long, en large et en travers de toutes les pièces que possède cette suite. Je leur ai même montré ma superbe baignoire, en omettant volontairement l'épisode désastreux des enceintes intégrées. Il est inutile de se flageller gratuitement.

Elles n'arrêtent pas de faire des « whaou », « oh », « ah ». On dirait la horde de mignons dans le film moi, moche et méchant.

Elles s'extasient lorsqu'elles rentrent dans mon dressing et Rosie m'avoue que sa garde robe entière ne tiendrait pas dedans. J'ai honte car la mienne rentrerait justement.

Encore plus, depuis que je me suis résignée à acheter des vêtements de grossesse. Je porte quasiment toujours les mêmes fringues. Pas la peine de s'enticher d'une multitude de vêtements gros bidons alors qu'ils ne me serviront que trois mois? Entre nous, qu'est-ce que ce bandeau ridicule en haut des jeans grossesse ? Celui qui l'a inventé n'a jamais eu d'utérus ! Ça glisse, ça démange et au premier lavage c'est aussi difforme que la tête de l'oncle Hubert à la nouvelle année.

(Si vous ne voyez pas qui c'est, je vous invite à toquer à sa porte le jour de l'an, vous aurez un aperçu de ce que cela peut être).

Honnêtement, prendre deux tailles de vêtements en l'espace de deux mois, cela provoque de sérieux dérapages vestimentaires. Les gens sont d'une incompréhension totale. Surtout, lorsque vous vous rendez à la boulangerie , affublée du seul pantalon qui cache vos fesses lorsque que vous vous baissez : le pantalon de pyjama.

Ne soyez pas scandalisés, cela ne se voyait pas !

Les gens font les offusqués mais ils portent des leggings sous leurs robes. (Je dis ça , je ne dis rien).

J'avoue que cette fois là, mon corps avait décidé de prendre huit kilos en une nuit et j'avais faim!

Mes pieds ne rentraient plus dans mes chaussures et j'avais dû emprunter les baskets de mon père qu'il met pour tondre la pelouse.

Pourquoi les gens se rendent à la boulangerie à sept heures et demi du matin s'il vous plaît ? Un dimanche en plus! Moi je disposais d'une bonne excuse, je voulais juste passer incognito !

Après ce fiasco, j'ai fais vingt cinq boutiques et j'ai acheté tous les vêtements grossesse que j'ai trouvé. Je me suis même procurée des sous vêtements sans armatures ansi que des culottes ultra confortables qui pourraient servir aux amateurs d'aérodrome.

Après avoir minutieusement visité la totalité de ma suite royale, nous nous installons dans ma chambre. Je me laisse guider par les mains expertes des deux égéries conseillères en mode.

Elles prennent mes mensurations, me demande taille et poids (oh ! 1m70 pour 70 kilos, mon gynécologue pourra le confirmer).

Puis l'essayage commence, je suis assez pudique et me retrouver en petite culotte devant deux parfaites inconnues est très embarrassant. J'essaye de me cacher derrière mes bras et de rentrer mon ventre, mais c'est visiblement peine perdue.

- Arrête de bouger Salomé, laisse toi faire. Nous avons déjà vu des femmes dévêtues et elles n'avaient rien à t´envier si tu veux mon avis !

Rosie s'impatiente et je dois bien avouer qu'elles n'ont eu aucun jugement depuis le début. Que ça soit en paroles ou dans leurs gestes. Elles sont très concentrées et font de drôles d'annotations sur un carnet, un crayon de bois entre les lèvres.

- Qu'en penses-tu Tiana ? Celle de la collection « galante » ou celle de la collection « soirée prestige» ?

Tiana, appuyée contre une commode, réfléchie un moment. Elle tapote son crayon sur le haut de sa tête, ses yeux bleus rivés sur moi.

Contrairement à Rosie qui a la peau foncée, Tiana est pâle de peau, brune et possède de grands yeux bleus ciel. Ses cheveux sont aussi raides que ceux de Rosie sont bouclés.

Rosie est originaire de Guadeloupe, elle est née là bas et est venue en métropole pour son métier. Elle a fait la rencontre de Tiana lors de défilés de la fashion week et elles ont monté leur marque ensemble. A&P, pour Rosie Aster et Tiana Prishe.

Qui aurait cru qu'un jour j'aurais eu l'opportunité de faire leur connaissance ?

Elles sont assez fusionnelles même si je dois dire que Rosie est plus bavarde que Tiana.

- Soirée prestige ! Finît-elle par dire.

-Quelle chance d'avoir emporté toute notre collection ! Je savais que cela allait nous servir! Cette collection va faire fureur! Salomé tu as le physique idéal pour nous!

Rosie tapote dans ses mains, excitée.

C'est bien la première fois que l'on m'attribue un physique de mannequin. Je traduis comme bon me semble.

Cependant, je considère ceci comme un très joli compliment.

J'enfile la robe qu'elle me tend. Noire et moulante, le tissu est incroyablement agréable. Elle m'arrive sous les genoux et elle épouse parfaitement mon corps. Elle a un joli décolleté qui colle parfaitement à mon imposante poitrine et les manches à volants sont légèrement bouffantes. Une fermeture éclair longe ma colonne vertébrale. Rosie la remonte et me conduit devant le miroir psyché de la salle de bain.

-As-tu des chaussures à talons ? Me demande-t-elle.

- J'ai celles-ci ? Je lui montre une paire de low-boots avec des talons raisonnables pour une femme enceinte de huit mois.

- Parfait ! S'exclame-t-elle. Nous allons te coiffer, te maquiller et ensuite te prendre en photo pour notre book photo.

- Mais comment se fait-il que vous ayez pris toutes vos collections ? Rassurez moi, vous êtes bien en vacances ?

Ma question reste en suspens quelques secondes et les deux amies se regardent malicieusement.

Elles m'installent devant une élégante coiffeuse qui se trouve dans ma chambre. Tiana s'est éclipsée quelques minutes et lorsqu'elle revient , elle tire derrière elle une énorme valise contenant du maquillage professionnel, des accessoires de coiffures et même des parfums de luxe.

- Notre venue ici n'est pas anodine. Quel meilleur endroit pour expérimenter nos collections ? Je dois dire que l'on a trouvé le jack-pot avec toi ! Tu as vraiment la physionomie que nous recherchions!

Elle me parle tout en démêlant mes cheveux. Ma tête se penche à chaque coup de peigne. Sincèrement ce n'est pas du luxe.

Mes cheveux sont assez longs et bouclés. De couleur auburn, je les attache toujours négligemment et je ne leur prodigue aucun soin. Rosie ne manque pas de me le faire remarquer.

Elle applique un soin sec sur ma chevelure et le peigne glisse facilement.

Pendant ce temps là, Tiana me lime les ongles et applique un joli verni O.P.I rouge.

- Tu devrais arrêter de te ronger les ongles Salomé. Tu as de jolies mains.

Que de compliments, je me demande si cela ne cache pas quelque chose. Ont-elles une requête à me demander et qu'elles essayent de la noyer sous un flot de louanges ?

Je les regarde, elles sont concentrées et prennent à cœur ce qu'elles font. Mais je trouve cela étrange de s'intéresser à une femme comme moi, commune, simple et sans style.

Mallaury serait verte de jalousie. Je repense à la façon dont elle s'est faite éconduire lorsqu'elle a voulu montrer son « book » à Rosie et que celle ci l'a gentiment envoyé balader, prétextant qu'elles étaient en vacances et qu'elles n'avaient pas la tête au boulot.

Elles sont exactement en train de prouver le contraire !

Elles montrent vraiment de l'intérêt pour ce qu'elles veulent et en ce moment même c'est moi leur préoccupation. Ou tout du moins mon physique.

Rosie termine de me coiffer, elle a de l'or entre les doigts. Mes cheveux sont d'une beauté , comment a-t-elle fait ?

Je tire sur le haut de mes cheveux pour vérifier qu'elle ne m'a pas collé une perruque. Je fronce les sourcils, ce sont bien mes cheveux.

Rosie me tapote les mains.

- Tu vas te décoiffer ! Arrête ça !

Elle peut paraître très stricte, je ne voudrais pas être en face d'elle, lors d'une réunion hebdomadaire dans leur entreprise.

- Nous allons te maquiller, ne bouge pas c'est bientôt fini.

Elle applique des tas de fond de teint, fards à paupières et mascara. Je sens la douceur de chaque pinceau sur ma peau et les fragrances de tout ce maquillage. Lorsqu'elles ont terminé je me regarde dans la glace.

Oh my god.

Je me retourne et regarde si il n'y a pas une autre femme derrière moi. Je passe ma main devant mon reflet.

Ce n'est pas moi, je ne me reconnais pas. Je suis si belle que ça ?

La bouche en cul de poule, les yeux écarquillés j'inspecte mon visage.

-Alors qu'en penses-tu ?

Elles sont postées de chaque côté de moi, nous nous regardons toutes les trois dans le miroir.

- Je ne me reconnais pas! Crié-je.

- C'est pourtant toi ! Tu vois avec trois fois rien, tu peux prendre soin de toi ! Sourit Rosie.

Trois fois rien ?

Je n'ai même pas une palette de fards à paupières correcte. Mon mascara est sec depuis bien longtemps et le fond de teint ? Aucune idée.

Lorsque je consulte ma montre il est déjà seize heures.

-Ce n'est pas le tout , tu vas te mettre là sur ton lit. Nous allons prendre deux ou trois photos et les envoyer à notre agence. Notre webdesigner se chargera de la maquette et de la mise en page.

Elles me mitraillent dans différentes poses qui selon moi ne me mettent pas du tout en valeur.

Je ne sais même pas pourquoi j'accepte de les aider. Je n'ai rien à y gagner.

Si ça se trouve, je vais me retrouver sur un site interdit aux moins de dix-huit ans, fichée à jamais. Je devrais m'expatrier sur une île déserte, seule au monde et honteuse.

Je pose entre les coussin. Je pose assise. Je pose allongée.

Mon ventre est balancé de gauche à droite. Bébé appuie sur ma vessie. Je commence à avoir faim. Allongée sur le dos, jambes et bras écartés je n'en peux plus. Je ressemble en ce moment même à un énorme éléphant de mer.

Niveau glamour ? Vous le savez !

Rosie et Tiana rangent leur matériel et me laisse souffler.

Elles m'aident à me relever et lorsque je jette un coup d'œil à ma montre , je me précipite hors du lit habilement.

Je me demande encore à cette heure ci comment ai-je fait pour m'extraire du lit aussi rapidement ?

- Dix-huit heures ? Ce n'est pas possible je n'aurais jamais le temps de me préparer pour le pot d'accueil et je ne peux pas descendre comme ça !

J'agite mes bras dans tous les sens , je pourrais même concurrencer Pina Baush lors de ses représentations de ballets artistiques. Comment se fait-il que l'heure passe de seize heures à dix-huit heures en seulement cinq minutes ?

Expliquez-moi s'il vous plaît ?

- Pourquoi pas ! S'indigne Rosie, tu es splendide.

- Mais on va me regarder. Je ne suis pas sûre que cela soit approprié! Et si je tache la robe ? Je ne suis pas sortable et je ne mange pas proprement.

- Nous possédons un très bon pressing , ne te prends pas la tête ! Nous allons te laisser. Attends nous dans le hall d'entrée lorsque tu te sens prête. Nous allons nous préparer, on se dit à tout à l'heure ?

Une fois les filles parties, je me regarde dans le miroir. Les mains sur les hanches , je commence à prendre des poses de mannequins et je défile dans la salle de bain. J'attrape une brosse à cheveux et me voilà à la cérémonie des Oscars.

Oscar ! Merde ! Il sera là aussi. Il faut absolument que je l'évite. Peut être qu'il ne me reconnaîtra pas.

Je pourrais toujours lui dire qu'il se trompe , que je ne connais pas de Salomé, que je suis en vacances et qu'il doit me laisser tranquille.

Mais bon une rouquine enceinte jusqu'au cou il n'y en pas cinquante.

Lorsque je descends dans le hall, tout est magnifiquement bien décoré.

De larges guirlandes lumineuses sont accrochées un peu partout. Le sapin naturel qui surplombe le hall est paré de ses plus beaux ornements rouges et dorés. Le sapin est tellement haut que lorsque nous sommes à l'étage , à la rambarde des escaliers, il nous dépasse toujours.

Des chants de noël des plus beaux crooners Américains sortent des enceintes accrochées aux murs.

Je tortille mes mains légèrement angoissée.

Je suis contente d'avoir emporté mon long manteau en laine il est assez large et je peux le nouer grâce à la ceinture. Ma grosse écharpe en cachemire de chez ikks que j'ai reçu l'année dernière par vous savez qui , me permet de me cacher un peu. Je regrette de ne pas avoir pris mes lunettes de soleil , je serais passée en douce, comme Grace Kelly dans ses films. Enfin moi je serais plutôt grasse Kelly, car niveau grâce on y reviendra.

Je flâne dans le hall, les mains derrière le dos, je regarde la vitrine de la boutique de l'hôtel. Ils vendent des t shirts et des pulls à l'effigie des blasons du domaine pour cinquante euros!

Qui achèterait ça sérieusement ?

À moins d'être un fanatique de cet endroit ou bien d'être un employé complètement zélé, je ne m'imagine pas porter ce genre de pull.

Je croise le regard de la réceptionniste qui les yeux écarquillés me dévisage.

Je baisse mon écharpe et lui mime des lèvres « c'est moi », elle me sourit et mime à son tour « vous êtes élégante ».

Le pot d'accueil se déroule dans une salle de réception dehors près de l'hôtel. D'où le fait que j'ai revêtu un manteau. Je m'en serais bien passé vu la chaleur qui émane de moi. J'espère juste ne pas avoir de grosses auréoles de transpiration. Cela serait vraiment le comble d'être fagotée comme une princesse et d'être affublée d'aisselles moites, épongées par le tissu de ma robe. Heureusement que j'ai collé deux demake up sous chacune de mes aisselles. Ça épongera ce que ça épongera, je n'ai plus le temps de trouver une autre solution.

Je tourne la tête et j'aperçois Oscar accompagné de sa nouvelle petite amie. Celle-ci arbore toujours ses longs cheveux raides et brun devant son visage. D'une maigreur extrême sans formes, elle a vêtu une robe longue à fines bretelles. Ses chaussures ultra compensées paraissent énormes au bout de ses jambes fines.

Je me demande ce qu'il a bien pu lui trouver.

Lui, il est plutôt bien habillé avec son costume bleu, son noeud papillon et ses vieilles chaussures marrons (il aurait pu faire un effort). Il a taillé sa barbe correctement et ses cheveux sont bien coiffés. Il est charmant. Je me précipite derrière l'énorme sapin. J'essaye de les épier à travers les branches mais mon énorme ventre m'empêche de me coller au sapin. Je dénoue ma ceinture et ouvre mon manteau car je suis en train de fondre. J'ai l'impression d'être une glace à la vanille déposée en plein soleil.

Si seulement je pouvais perdre quelques kilos avec toute cette sueur.

J'entends sa voix traînante et agaçante. Il rit de bon cœur, je ne sais pas pourquoi compte tenu du visage morose indéfectible de sa compagne. Les voilà qu'ils tournent autour du sapin.

Ils sont exaspérants ! Est-ce vraiment le moment de contempler le sapin?

Il faut que je bouge autour de celui-ci en même temps qu'eux. À une distance calculée pour ne pas trop les coller mais aussi afin de ne pas me retrouver devant eux.

Le voilà qu'il touche les boules. Ne lui a-t-on jamais dis que ce n'était pas bien de toucher les boules ? Ma phrase hors contexte pourrait paraître complètement déplacée. Pinçant les lèvres, j'ai envie d'exploser de rire.

Je dois avoir l'air bien idiote à tournoyer comme ça autour de l'arbre. La réceptionniste, le téléphone à la main , me fixe de temps en temps. Elle doit se demander ce que je fabrique.

J'écarte une branche et je l'aperçois en train d'avancer vers la porte tourniquet. Me voilà soulagée. Je vais pouvoir sortir de ma cachette. Je me déplace sur le côté tel un crabe sur une plage d'été. Je soupire de soulagement. Il est parti , il faudra que je redouble d'effort pour l'éviter tout à l'heure. J'espère que la salle sera assez grande et que je ne devrais pas me le coltiner.

Je suis rejoint par Rosie et Tiana, ainsi que de leurs conjoints respectifs. Je suis minuscule malgré mes talons. Elles sont toutes en beauté avec leurs robes courtes argentés à sequins et leurs talons compensés. Manucurées et maquillées, elles sont sublimes. Je ne manque de leur dire et elles gloussent en me retournant le compliment.

Lorsque nous arrivons devant la porte de la salle , mon cœur tambourine. Il n'y a vraiment pas lieu de s'exciter comme ça. Je pense que j'appréhende le regard des autres. Je souffle et ouvre en grand la porte.

Le vigile à l'entrée nous indique les vestiaires. Merde ! J'aurais aimé gardé mon écharpe et mon manteau mais la chaleur qui me provient ne me donne pas envie de tenter le diable.

La fille des vestiaires me tend un petit carton avec le numéro de patère où mon manteau est accroché. Elle a l'air blasée et mâche un chewing-gum. Je n'ai pas de poche, quelle barbe!

Je vois Rosie et Tiana glisser le carton dans leur soutient à gorge , elles me font un clin d'œil et je me résigne à faire la même chose.

La salle est immense, peu éclairée, des projecteurs aux lumières chaudes ondulent sur les murs et une musique douce sort de la sonorisation.

Des tables mange-debout sont disposées un peu partout et il y a déjà des serveurs qui passent avec des plateaux garnis de toasts et apéritifs. Les résidents du domaine sont déjà en grandes conversations et le groupe de femmes enceintes discutent dans le fond près de luxueux canapés.

Rosie et Tiana embarquent leur maris sur la piste de danse et moi je reste là comme une cruche , les mains le long du corps.

J'aperçois une des femmes enceintes assise dans un canapé bleu canard près de grandes et larges baies vitrées. Elle souffle d'une drôle de façon caressant son ventre. D'origine asiatique, elle est toute menue et son ventre paraît plus gros qu'elle.

Je m'assieds près d'elle , tapotant sur mes cuisses.

Elle me regarde l'air soucieux.

- Ça va ? Demandé-je devant sa mine déconfite.

Elle me regarde horrifiée et pousse une exclamation.

Son mari , un homme de la même origine qu'elle, s'approche une assiette de toasts dans les mains.

- Mange May-line chérie, nos bébés ont besoin de force!

Il lui fourre les toasts dans la bouche, accroupi devant elle. C'est à peine si elle a le temps d'avaler correctement.

Qu'est ce qu'il nous fait ?

Il la prépare au gavage pour noël ? C'est une femme monsieur ! Pas une oie!

-Nos ?!

Je me rends compte que ma voix est plus forte que je ne le voulais.

Ils se retournent tous les deux vers moi.

- Oui ma femme attend trois bébés , nous sommes les parents les plus chanceux au monde.

Il me toise d'un air dédaigneux et s'intéresse de nouveau à sa femme.

Parle pour toi!

Avoir un bébé qui squatte mon utérus je trouve que cela prend énormément d'énergie , je ne veux même pas imaginer trois à l'intérieur de moi.

Cela voudrait dire trois fois plus de nausées, trois fois plus de kilos, trois fois plus de pipis dans la culotte.

J'attrape le menu posé sur un guéridon près de nous. Je lis ce qu'il y a dessus et je suis étonné de la pauvreté des victuailles.

« Cocktail avec alcool, soupe de champagne».

Je passe.

« Charcuterie ».

Je ne suis pas immunisée contre la toxoplasmose.

« Plateau de fromage du pays ».

Je ne suis pas immunisée contre la listériose.

« Plateau de fruits de mer ».

Ce n'est pas du tout conseillé !

« Escargot en feuilleté ».

Sans commentaire.

« Toast saumon fumé et foie gras ».

Je ne sais pas si j'y ai le droit.

« Crudité ».

Je ne vais pas être relayée à la nourriture pour lapin!

Soit.

Je tourne machinalement la feuille mais il n'y a que les adresses des producteurs locaux. Cool , ça ne m'intéresse pas vu que je n'ai pas le droit de toucher au trois quart de la nourriture proposée.

Oscar et Morticia -Ariette passent devant moi sans me remarquer. Je lève le menu devant mon visage et me ratatine dans le canapé. Si bien que le haut de ma tête est appuyé contre le dos du fauteuil.

Il faut que je trouve une issue de secours. Je passe mes yeux au dessus de la feuille et c'est à ce moment précis que maman May-line en profite pour pousser des petits cris. Elle souffle comme un souffleur d'air de cheminée.

Pourquoi fait-elle ça maintenant ?

Je me redresse et les yeux d'Oscar croisent les miens.

Et merde !

Le mari de ma voisine se penche sur elle et masse son ventre en lui murmurant des choses dans leur langue. Je suis désolée monsieur , mais si tu ne l'avais pas gavé comme ça elle se sentirait peut être mieux.

- Salomé ! Je m'étonnais de ne pas t'avoir encore vu.

Et moi donc ...

Il me sourit et avale d'un trait sa coupe de champagne.

Il lâche un petit rire condescendant.

Depuis quand rit-il comme ça? C'est grotesque!

-Attend moi, ici je vais nous chercher quelque chose à nous mettre sous la dent.

Il me fait un clin d'œil et s'éloigne avec sa dulcinée.

J'en profite pour m'éloigner de lui, je balance le menu sur le côté et je l'observe. J'en viens à me cacher derrière un groupe d'hommes bruyants. Ils rient a gorge déployée et ont l'air d'avoir déjà bien entamé la soirée. Je contourne leur table tout en épiant Oscar. Il sert la main de plusieurs hommes qui ont l'air d'être de riches hommes d'affaire. Peut être des anciens clients ? Morticia-Ariette le lâche et part danser avec d'autres vacanciers. Les bras le long du corps, elle plie ses genoux et les déplie. On dirait un ressort.

Ou mieux ! Zébulon dans le manège enchanté.

- Salomé ! Te voilà tu as la bougeotte dis donc.

Il me tend un toast rouge.

Je l'enfourne entier dans ma bouche les joues gonflées , je l'avale tout rond.

Je sens le feu dans ma bouche et ma gorge. Je me mets à tousser comme une dératée, les jambes soigneusement croisées , tout ça dans une classe internationale.

Je sens le rouge monter sur mon visage. J'ai chaud.

- Tu as pris celui à l'huile pimentée.

Il recommence avec son petit rire de hyène.

J'ai envie de lui balancer ma main dans la figure mais je m'abstiens. Une femme de mon rang sait se tenir. Je lève les yeux au ciel et je me dirige vers le bar où un serveur verse plusieurs boissons devant lui.

- Excusez-moi , dis-je dans un souffle , auriez vous de l'eau ?

Accoudée sur le comptoir , presque couchée , j'ai des brûlures d'estomac atroces.

J'ai besoin de fraîcheur. Tout de suite.

Ma gorge est en feu. La bouche entre ouverte , je brûle de l'intérieur et de l'extérieur.

Le serveur m'observe incrédule et me tend un verre d'eau pétillante. C'est rien ça fera l'affaire, enfin je pense. Je vais retourner au vestiaire , je dois encore avoir des sticks anti-acide dans mon sac.

Je tâte ma poitrine à la recherche de mon petit carton. Un main glissée dans mon soutien gorge, je ne retrouve pas ce satané carton. Je triture ma poitrine. Mon attitude devient déplacée.

Le serveur m'épie et renverse la moitié du contenu de sa bouteille par terre.

- Salomé ! Qu'est ce que tu fabriques ?

Il va vraiment falloir qu'il arrête de prononcer mon prénom, je déteste l'entendre dans sa bouche mielleuse et arrogante.

- Tu n'avais pas l'air bien?

- Si je vais bien ! M'agacé-je. Si tu le veux bien , je vais te laisser , j'ai d'autres choses à faire!

- Comme quoi ? Rigole- t-il. Tu es ici en vacances ! Que vas-tu faire ? Ranger des bocaux remplis de haricots .

Il s'est toujours moqué de ma reconversion professionnelle. Pour lui , j'aurais eu une meilleure qualité de vie et des revenus plus intéressants, si j'étais restée diététicienne et si j'avais ouvert ma propre agence de nutrition.

Oscar et l'ambition !

- Très drôle ! Tu es devenu super hilarant en deux mois de temps. Je m'étonne que tu n'arrives pas à faire décrocher un sourire à ta petite amie.

Je me force de rire, rire très fort. Une main sur son avant bras. Puis je me redresse et le gratifie d'un visage taciturne. Les yeux en l'air, je m'écarte de lui.

- Attend tu veux danser ?

À quoi s'attend-il comme réponse ? Pense-t-il vraiment que je vais le suivre?

Je tourne la tête vers la piste de danse , Morticia-Ariette-Zébulon danse un slow seule les bras autour de son corps svelte .

Je donne un coup de tête vers elle et Oscar l'observe.

- Demande lui à elle!

- Oh arrête , tu penses bien que ce n'est pas sérieux. Elle part demain soir , après notre dîner au restaurant, ce n'est pas pour elle que j'ai voulu venir ici.

Mon cœur s'accélère , je n'ai plus envie d'avoir affaire à lui , ni de lui parler. Il m'énerve, je n'ai pas envie de lui devoir quelque chose.

Il ne comprend pas qu'il m'étouffe. Comment ai-je pu avoir une relation avec ce genre de mec prétentieux et pédant. Il croit que tout lui est acquis.

Comme quand il me rabaissait devant sa bande de collègues-avocats, qu'il me dénigrait et qu'il se moquait de moi sous le rire hagard des autres. Lorsque je lui en faisait part il n'arrêterait pas de dire « mais rigole Salomé ! » « c'est de l'humour ». Il m'a toujours parlé comme à une gamine, pensant que je ne valais rien à côté de lui.

Pauvre type! Moi aussi j'ai fais des études et je peux affirmer que le bide que tu affiches est dû en parti aux bières que tu t'enfiles le week-end et tes apéros-foot.

Moi au moins mon ventre redeviendra plat et musclé après mon accouchement .

Oui bon d'accord, il ne pèsera plus dix kilos.

- Tu sais quoi Oscar ? laisse tomber, on est pas obligé de faire semblant d'accord ?

Je souffle et pince l'arrête de mon nez. J'attrape mal à la tête. Mon œsophage ressemble à un volcan prêt à exploser, sa vue me donne un stress supplémentaire et je n'ai plus envie qu'il me colle.

- C'est toujours ok pour demain ?

Mais il le fait exprès ? Il n'est pas sérieux ou il a grillé quelque chose là haut. Il n'écoute rien de ce que je lui dis.

- Je ne sais pas, tout dépendra de ma motivation.

Et ce n'est pas en me suivant comme tu le fait que cela changera ma décision, alors lâche moi la grappe !

- Salomé ne fais pas l'enfant , tu vas être maman et j'ai envie de connaître mon enfant.

Le coup de grâce à son maximum. J'expire bruyamment cachant un rire nerveux. Il recommence , en fait il n'a pas changé il est toujours le même homme pompeux et maniéré.

- Oscar lâche moi ok, amuse toi mais loin de moi , très loin.

Je pousse mes mains devant moi , le chassant. Je souffle , époussette ma robe et je disparais dans la foule.

Rosie et Tiana sont pendus aux cous de leurs maris. Les poules pondeuses jacassent.

J'erre parmi les invités et je trouve par hasard la porte qui mène au vestiaire sans passer par la joviale et sympathique femme au guichet du vestiaire.

J'ouvre la porte et derrière une des étagères je reconnais la voix stridente de Mallaury. Elle s'exprime fort. La voix de son fiancé me parvient aussi . Elle est plus douce et suave. Il ne s'énerve pas lui, au contraire de sa cinglée de copine.

- Flavien je te préviens , je vais me tirer. Soit tu le fais soit je me barre.

- Je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi ! J'en ai assez de ton comportement et de ta mauvaise humeur.

- Comment ? Tu te fous de moi! Tu sais quoi tu n'as qu'à traîner avec les autres ! Ou pourquoi pas avec l'autre grosse vache qui nous colle depuis le début!

C'est moi la grosse vache?

Je tends l'oreille un peu plus, respirant à peine. C'est tellement excitant d'écouter aux portes ou entre les étagères d'un vestiaire.

- N'importe quoi tu es hors sujet ! Écoute j'en ai assez de nos disputes!

- Tu veux qu'on arrête? Il ne fallait pas commencer alors! Elle souffle et se met à pleurer.

- Ça ne sert à rien tes larmes de crocodiles, j'ai besoin d'espace , laisse moi !

- Tu n'es qu'un gros con ! Tu ne sais pas ce que tu perds.

J'écoute un peu plus et un téléphone se met à sonner. Je sursaute et ôtant mes chaussures je fais des petits pas rapides plus loin entre les étagères pour me cacher un peu plus. Il ne sont pas tellement discrets.

Mais quelle furie cette femme!

Je voyage entre les étagères et je trouve mon manteau et mon sac , je les décroche soigneusement et silencieusement tout en cherchant un coin au calme. J'ai assez entendu de leur conversation, elle n'était pas si intéressante que ça.

De larges et hauts ficus- bonsaï en pot se trouvent un peu partout dans la pièce. J'entends la porte claquer et je me retrouve seule. Je pousse les plantes en les alignant et camouflée entre le mur et les plantes je m'allonge sur mon manteau, les pieds et les jambes appuyés le long du mur. Celles-ci me brûlent autant que mon œsophage et cette positon me permet de soulager mes mollets endoloris.

Je ferme les yeux et je souffle silencieusement. Je suis bien au calme sans piaillements.

Je tousse bruyamment , un reflux coulant dans ma bouche.

Je suis trop allongée. Comme je rêverais de mon coussin d'allaitement et de mon lit en ce moment même. Je me redresse sur mes coudes les jambes toujours le long du murs , je suis pliée à quatre vingt dix degrés.

Niveau séduction ? (C'est bien ça commence à rentrer !).

Quelqu'un se racle la gorge et à travers les gros ficus-bonsaï, je rencontre les yeux bruns du préposé Flavien.

Il me regarde sourcils levés et me dévisage.

- Un problème ? Lance-t-il de sa voix calme et délicate.

Ses yeux bruns s'arrêtent au niveau de ma poitrine et instinctivement je baisse ma tête vers elle.

Le carton du vestiaire est remonté et dépasse de ma robe.

- Ah il était là !

Je l'extirpe de ma robe, je me redresse et me met en tailleur.

Un horrible reflux vient calciner le reste de mes viscères. Les mains à même le sol , je ferme les yeux en grimaçant .

Le stick d'anti-acide toujours en main , je porte volontairement l'embout à mes lèvres pour le déchirer mais en vain . Quelle connerie!

- Ce n'est pas comme ça que l'on fait.

Qu'est ce qu'il en sait monsieur technologie de la façon dont on soulage un reflux gastrique ?

Je le regarde dubitative.

- Je vous demande pardon ?

Oui cette phrase nous pouvons la sortir pour plein d'occasion , c'est un peu ma botte secrète, Perceval lui a son « c'est pas faux » moi j'ai « je vous demande pardon ». Chacun son truc !

- Il faut le secouer avant pour l'émulsionner sinon les éléments de cet anti acide ne forme pas le gel visqueux et vous n'aurez pas tous les bénéfices.

Je roule des yeux , qu'est ce qu'il raconte ? Il veut me faire un cour de pharmacologie ici ? Il contourne ma barricade de plantes et s'accroupi. Je peux sentir son eau de parfum, elle me paraît plutôt agréable.

- Je peux ? Me dit-il en me tendant la main.

Je lui dépose le stick et je pivote pour m'adosser au mur, jambes croisées.

Il secoue et malaxe le stick et l'ouvre pour me le tendre de nouveau . J'avale le liquide mentholé et je suis satisfaite de la fraîcheur du gel qui m'apaise.

Il s'installe près de moi et du bout des doigts indique mes jambes.

- Vous pouvez opter pour des bas de contention pour soulager vos jambes.

- sans façon , répondis-je le stick entre les dents. Dites- moi vous me paraissez bien informé pour quelqu'un qui n'a visiblement pas d'enfants ou qui n' est pas du milieu médical.

Il sourit et secoue la tête . Son visage est incroyablement calme et posé. Il est assez beau. Ses traits sont fins et parfaits. Sa mâchoire est carrée et ses avants bras, appuyés sur le haut de ses genoux , ont l'air musclés.

- Mon père est gynécologue et ma mère sage-femme . J'ai passé mon enfance dans leur cabinet médicale.

Je me mords les lèvres , il faudra un jour que j'apprenne à tourner ma langue un million de fois avant de dire quelque chose.

Je reste silencieuse. Les mains posées sous mon ventre. Les pieds battant la musique que l'on peut entendre à travers le mur du vestiaire.

- Salomé ? Salomé tu es là ?

La voix lente et monotone d'Oscar me parvient. La tête posée contre le mur, je ferme les yeux et soupire longuement. Flavien se tourne vers moi et s'apprête à se lever. Je pose un doigt sur mes lèvres.

Il finit par partir et j'en profite pour me relever, les fesses légèrement engourdies. J'enfile mes chaussures , mon manteau et mon écharpe .

Je remercie Flavien pour ces précieux conseils , il n'était pas obligé de rester avec moi mais je pense que sa soirée avec Mallaury n'était pas agréable.

- Je voudrais vous présenter mes excuses pour l'attitude de Mallaury. J'ai conscience de son comportement plus qu'odieux envers vous et si je ne suis pas intervenu comme j'aurai dû le faire , c'est que je n'ai pas voulu me montrer désagréable devant vous.

- Ce n'est rien , c'est déjà oublié (ou presque). Vous devriez la rejoindre. Je pense qu'elle n'apprecierait pas de nous voir ensemble.

- Elle n'a rien à dire, nous ne sommes plus ensemble.

- Je suis désolée pour vous. (Ou pas). J'espère que vous garderez le moral.

Nous avancons jusqu'à la porte et lorsqu'il l'ouvre, Oscar surgit devant nous et me sermonne.

Il doit posséder un radar avec mon ADN , ce n'est pas possible. Il est pire qu'une sangsue.

- Tu étais où ? Je t'ai cherché partout!

Les sourcils froncés je le dévisage.

- Elle ne se sentait pas bien , d'horribles brûlures gastriques. Je lui ai donné quelque chose pour la soulager.

Flavien le regarde, lèvres pincées, mains dans les poches.

- Merci ! Elle a tendance à être tête en l'air et elle oublie ses traitements.

Il rit encore de son petit rire mielleux.

- Non mais ! Tu... commencé-je pour me défendre.

- Demain 19h Salomé ! N'oublie pas c'est au restaurant de l'hôtel blanc. Il est près du nôtre et il est plus sobre et plus convenable.

Je le contourne , lève les yeux et m'éloigne . Il m'énerve , j'ai envie de sortir son visage de mon crâne de le punaiser au mur afin de jouer aux fléchettes avec. Je viserais les yeux en premier , pour qu' il évite de me regarder ou bien la langue oui ! Sa langue ! Pour ne plus l'entendre jacasser et rire comme une hyène.

Annotations

Vous aimez lire Adelnab ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0