Chapitre 29 : Un nouveau rôle pour un nouveau job

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Bar à bouchon, bar à champagne, bar à hôtesses, je ne connaissais pas du tout ces appellations avant d’y mettre les pieds pour la toute première fois. N’étant pas une férue du monde de la nuit, les seuls endroits où je sortais dans ma ville se limitaient à la place du Commerce, face à la Fnac, un habituel point de rendez-vous de tous les jeunes Nantais de mon époque. Les téléphones portables en étaient encore à leurs balbutiements. Tout le monde n’en possédait pas. Nicolas avait été un des premiers que je connaissais à en avoir un, une espèce de cabine téléphonique Nokia de la taille d’un parpaing, qui avait manqué de bousiller ses poches de jean. Moi, je n’en avais pas encore. Alors quand je rejoignais des amis, nous choisissions les marches de la Fnac comme spot de ralliement pour nous repérer facilement, malgré la marée humaine qui grouillait en bas des escaliers de la célèbre enseigne de produits culturels.

En dehors de ce lieux emblématique de Nantes et du quartier Bouffay, je ne fréquentais pas beaucoup le reste de la ville. Je n’avais ainsi jamais remarqué qu’il existait ces fameux bars à la devanture accrocheuse, cachés derrière des enseignes toutes plus alléchantes les unes que les autres : « Le tropical », « Le paradise », « Le cocktail ». Tous évoquaient des bonheurs exotiques qui dénotaient avec les rideaux sombres camouflant les baies vitrées, et donc, la réalité.

Après un appel où j’ai reçu un accueil enthousiaste, je me suis rendue à l’adresse indiquée, me présentant en short et débardeur devant la porte de l’établissement aux néons criards. J’arborais un maquillage soutenu, les cheveux brushés et mon plus beau sourire enjôleur.

Il fallait sonner pour entrer, ce qui d’emblée, tranchait avec les autres bars ou cafés où l’on rentrait à l’intérieur comme dans un moulin. Une magnifique métisse m’a accueillie. Elle avait un pétard, damned ! qui aurait perverti un curé. Elle m’a proposé une coupe de champagne.

— Non, merci, je ne bois pas.

Déjà, ça partait mal. Surprise, elle m’a demandée si je savais où j’avais mis les pieds. Je lui ai répondu que non, mais que j’étais là pour apprendre et m’adapter. Elle a hoché la tête, confiante.

Ses explications étaient très éloquentes : le job d’une hôtesse consistait à divertir les clients, des hommes évidemment, en les incitant à consommer et à offrir des coupes de champagne à leur accompagnante. Je me sentais me désintégrer sur la moquette bordeaux. Ah oui... me voilà mal barrée. Mais elle a ajouté, rassurante, qu’elle-même n’était pas fan de cette boisson et qu’elle et ses filles détenaient des solutions pour éviter de picoler. D’autant qu’il n’était nullement dans son intérêt de voir ses employées bourrées. Notre métier se résumant à amuser la galerie, converser avec les clients et les enfumer, nous devions avoir l’esprit clair pour être maîtresses de nos actes et de nos paroles.

Pour expliciter ses dires, de sa main manucurée, elle m’a montré la décoration. Souriante et complice, elle a désigné une plante, une parmi tant d’autres, qui servirait de réceptacle à boisson à ma place. À ma grande surprise, cette dernière, pourtant naturelle, n’était pas encore crevée.

La belle métisse m’a fait une démonstration. Aidée de la lumière ultra-tamisée de cette ambiance lugubre, elle a mimé une rencontre et a balancé discrètement une coupe d’eau dans les fleurs. Elle a précisé que le tapis sous nos pieds pouvait aussi, à l’occasion, se faire arroser. Elle prévoyait un autre subterfuge, le cas échéant, pour nous sauver la mise : placée derrière le comptoir, elle échangeait volontiers sa coupe bien entamée contre les nôtres, pleines, pour les vider dans l’évier à sa portée. La technique, parfaitement rodée, passait inaperçue pour le client, souvent bien éméché. Elle avait une troisième et ultime option pour alterner avec les deux précédentes. Celle-ci consistait à remplacer la coupette de mousseux par du Champomy, mais elle évitait au maximum cette solution de peur de se faire gauler par les clients.

— Certains connaissent nos stratagèmes et goûtent le verre de la fille. S’ils se rendent compte qu’ils ont été arnaqués, c’est pour ma pomme.

J’ai hoché la tête d’un air entendu, compréhensive. D’autant qu’avec le prix de la coupette, seize euros, en plus de leurs consommations personnelles, j’avais presque pitié de ces pauvres bougres qui allaient raquer le prix fort un champagne qui s’avérait être du Champomy ou qui finirait comme engrais.

Grâce à ses éclaircissements, j’ai compris que le rôle des entraineuses était d’entourlouper et de plumer les michetons. Ces nouveaux termes, qui fleurirent tout au long de notre discussion, allaient désormais faire partie de mon vocabulaire. Je n’avais pas de scrupules concernant ma façon de gagner de l’argent. Tant qu’il me permettait de payer mes factures, peu importe comment je me le procurais.

Par ailleurs, je trouvais toutes ces idées ingénieuses et, rassurée, je me voyais déjà, charmeuse et aguicheuse, essayant de me faire offrir des coupettes à foison pour obtenir mon pourcentage. Car il était là mon intérêt. Je gagnais ma soirée en partant d’une base de cinq euros qui, au gré des verres gagnés, allait grimper de cinq euros en cinq euros. La belle métisse a tempéré mon enthousiasme en ajoutant que mon principal objectif n’était pas de siroter des coupes toute la soirée, mais de passer au « petit salon ». Avec un sourire malicieux, elle m’a annoncé que c’était ça qui devenait vraiment intéressant pour faire flamber mon pécule.

Elle m’a dirigée derrière une énorme tenture bien lourde, où se trouvaient de petits espaces fermés par un rideau, pas plus grands que des cabines d’essayage. En ouvrant le tissu opaque, j’ai eu peur d’y découvrir un lit, mais heureusement pour moi, dans chacune de ces minuscules alcôves, il n’y avait qu’un ou deux fauteuils, ou une petite banquette, ainsi qu’une table sur laquelle trônait systématiquement une boîte de mouchoirs. Quelle prévenance, on pensait vraiment à tout ici. Même aux clients déprimés qui allaient s’épancher sur mon épaule ou à ceux qui arriveraient ici avec un gros rhume.

En sus de cela, il y avait toujours ces fameuses plantes qui pullulaient partout, lesquelles allaient devenir mes alliées. Car aller au salon signifiait prendre une bouteille. Et le temps imparti pour une bouteille se limitait à quarante-cinq minutes. Dans ce laps de temps, je devais donc chauffer le client sans lui céder, faire semblant de boire mes boissons en riant comme une damnée et trouver le moyen de vider mes coupettes discrètement dès que l’occasion se présenterait, le tout afin d’obliger mon interlocuteur à consommer encore plus. C’était quasiment un numéro de prestidigitation que l’on me réclamait !

Naïve, j’ai demandé plus amples renseignements :

— Par chauffer le client, qu’est-ce que tu entends ?

— Tu ne dois JAMAIS avoir de rapports sexuels avec lui.

Cool.

— Tu dois juste lui faire croire que tu es tombée follement amoureuse de lui, que c’est le plus bel homme de la Terre, l’inciter à finir son verre au plus vite et le dégager dès que le chrono est fini.

Je riais intérieurement. Cette nana était hilarante. Je sentais qu’ici j’allais bien me marrer.

— Mais je fais quoi pendant tout ce temps ? Il me touche ? Je le touche ?

— Oui, évidemment... tu te frottes à lui, tu t’assois sur ses genoux, tu l’embrasses si tu veux, mais ce n’est pas une obligation. Le principal, c’est de se rapprocher sans qu’il y ait d’actes sexuels, ni fellation, ni coït, ni le reste.

— Donc, ils ne me touchent pas sous les vêtements ?

— Sauf si tu en as vraiment envie ou que tu veux fidéliser ta clientèle, mais ce n’est pas ce que j’attends de toi. Je préfère que tu joues avec eux, que tu les charmes, que tu les tiennes un peu à distance. Frustrés, ils continuent à prendre des bouteilles au salon en espérant arriver à leurs fins. Ici, on est des comédiennes. On fait semblant, on se fait désirer. C’est comme jouer un rôle, celui de la fille qui va dire oui mais qui finit toujours par dire non.

— Et ça ne dérape jamais ?

— Nan. Déjà, parce que je suis à côté et qu’en cas de problème tu peux venir me chercher à tout moment. Bon, après, pour qu’il soit content, personnellement, je les laisse me peloter sur les vêtements ou je les branle un peu mais c’est pas obligé.

Ah oui, je me disais bien aussi ! Pas d’actes sexuels, mais un peu quand même.

Face à mon regard perplexe, elle a ajouté qu’il fallait faire très attention aux traces.

Les traces ?

Voyant mon air de plus en plus interrogateur, elle a poursuivi sur sa lancée :

— Les traces de sperme, les capotes, tout ça quoi. Il ne faut pas qu’il y en ait. Les mouchoirs, ça sert à ça. S’il se branle ou que tu le branles, tu les essuies avec les mouchoirs et tu les jettes quand tu es hors de l’établissement.

Voilà donc à quoi servait la fameuse boîte de kleenex ! Damned !

— Si jamais y’a une descente de flics et qu’ils trouvent des traces, l’établissement ferme et moi je tombe pour proxénétisme. Donc, non, il ne doit pas y avoir d’actes sexuels sinon, pour moi, c’est la case prison assurée !

Me voilà prévenue.

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