Chapitre 33 : Le papillon

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Après avoir planté mon premier taf, pourtant éminemment lucratif, j’avais besoin d’argent. Depuis mon installation dans mon appartement, je me sentais aux abois et devais absolument trouver une solution. Comme je ne pouvais pas bénéficier du RMI, sur les conseils de mon assistante sociale, j’ai déposé une demande d’aide auprès de l’état. J’allais reprendre mes études à la rentrée, pour repiquer ma terminale avortée, alors je pouvais bénéficier d’un système qui offrait aux étudiants connaissant des difficultés familiales une aide pécuniaire substantielle.

J’ai donc signé un contrat « jeune majeur » me permettant de vivre seule tout en poursuivant mes études. De mémoire, je bénéficiais d’un apport mensuel d’environ 350 euros et ce, renouvelable tous les six mois jusqu’à mes 21 ans. Cette aide me permettait de payer mon loyer, assez faible grâce à l’aide au logement, et les charges qui m’incombaient. Mais il me fallait d’autres rentrées pour payer mon permis. Mes amis avaient des petits jobs d’appoint, en sus de leurs études et de leurs bourses scolaires. Pour vivre correctement, ils travaillaient soir et week-end au Mac Do’, comme ma meilleure amie, Solène, ou Sylvain, mon petit copain. D’autres bossaient à mi-temps dans un snack quelconque, assuraient des missions d’intérims, de la manutention, ou se lançaient dans du black, pour ceux qui étaient doués de leurs mains.

Pour ma part, mon côté rebelle ne me permettait pas d’accepter les conditions de travail que les autres supportaient. J’ai d’abord essayé d’avoir un métier « normal », mais n’y suis pas arrivée. Après un mois au fastfood, j’ai été dégagée. Raison officielle : la construction du nouveau et énième établissement prévu à Nantes, sous le pont de Cheviré, tombait à l’eau. Raison officieuse : gamine ingérable.

Je n’obtenais pas beaucoup plus de succès avec les boîtes d’intérim qui exigeaient de leur main d’œuvre une réactivité à tout épreuve, tout en les payant à coups de lance-pierre. Après deux ou trois missions honorées avec difficultés, ils ne me reppelaient plus et je ne les relançais pas plus. Il faut se rendre à l’évidence quand on n’est pas fait pour quelque chose, et je n’étais clairement pas faite pour avoir quelqu’un au-dessus de moi, sauf un homme, évidemment.

Je savais comment je fonctionnais : j’aimais plus que tout l’argent et la liberté, mais pas les ordres. Il me fallait trouver des solutions pour être indépendante financièrement tout en étant autonome dans mon travail, sans être dirigée ou surveillée. À priori, ce n’était pas gagné. Mais, comme je l’ai appris beaucoup plus tard en étudiant le développement personnel en autodidacte :

Quand on cherche, on trouve.

J’ai cherché et j’ai trouvé. En même temps que l’annonce d’hôtesse dans un bar à putes, heu, je veux dire, à champagne, j’avais répondu à celle de plusieurs photographes, qui castaient des modèles amateurs pour poser. Il s’agissait de photos où les jeunes filles devaient s’afficher en tenues de mode, maillot de bain, lingerie ou d’Ève, lorsqu’il était question de nu artistique. Mon profil a plu à certains et j’ai reçu des réponses positives. Autant j’avais été discrète au sujet de mon boulot d’hôtesse, que j’avais deviné sentir le soufre, autant j’ai averti tout le monde de ce nouveau job d’appoint.

Parce qu’on ne va pas se voiler la face, la photo, c’était quand même super classe. Pour l’adolescente rondelette que j’avais été, être payée pour mettre en avant mon corps représentait une belle revanche.

J’ai effectué ma première séance en extérieur au début de l’été. Je me suis contentée de poser en lingerie et d’oser un topless caché. Contrairement à ceux qui me prédisaient que j’allais tomber sur un pervers qui allait, au mieux me violer dans la forêt, au pire, me tuer et m’enterrer, tout s’était bien déroulé. J’ai beaucoup de chance car, quand j’y repense, sur le papier, cela paraissait quand même un peu risqué. Je suis partie seule, emmenée en voiture par un parfait inconnu, dans un lieu isolé, afin d’éviter les regards indiscrets des badauds en promenade. Je devais probablement être un peu inconsciente pour me lancer dans ce genre d’entreprise. Cela dit, ma mère avait rencontré Laurent, le photographe d’une trentaine d’année, au préalable et m’avait donné son aval, même si je n’en avais plus besoin. Certes, on ne le connaissait pas, mais le book papier qu’il nous avait présenté semblait garantir un certain professionnalisme et donc, à nos yeux de non-initiées, une marque de sécurité.

Nous avions eu raison d’accepter. Finalement, j’ai profité d’une balade gratuite dans la nature et Laurent s’est avéré très sympa et respectueux. J’en suis revenue enchantée, ne comptant pas m’arrêter là. J’ai donc programmé une séance dans la foulée, au cours de laquelle j’envisageais très sérieusement de poser nue. C’est dire si j’avais apprécié cette nouvelle expérience. D’autant que j’avais gagné quatre-vingt euros pour travailler deux heures, avec tirage des photos en cadeau, en petit et grand format. Laurent m’a même offert un book papier pour célébrer mon entrée dans ce nouvel art.

À ce moment-là, je fréquentais Sylvain, le mec de cité que j’avais retrouvé au tout début de l’été et cette idée de « photos à poil » ne l’enchantait guère. Pour lui, poser nue était considéré comme de la prostitution et la photographie amatrice s’apparentait à de la pornographie. Ce n’était pas le seul. Ma meilleure amie voyait les choses du même œil et une autre copine avait même décrété en riant que la prochaine étape pour moi, consistait à tourner un film X.

Indomptable, je ne les écoutais pas. J’ai refusé de céder face à Sylvain : « ou tu acceptes ou tu passes ton chemin ». D’autant que les photos étaient loin d’être vulgaires. Le nu artistique se veut élégant, toujours décliné dans des univers soft, avec beaucoup de nu caché/ dévoilé, et ce, de façon sensuelle, à peine érotique. Pas question d’écarter les cuisses ou d’afficher des attitudes provocantes ou suggestives. Mon book était respectable, et même si j’y apparaissais dans le plus simple appareil, les images restaient esthétiques et recherchées, souvent pleines de poésie.

Je n’étais pas du tout encline à renoncer, d’autant que pour une fille ayant souffert jusque-là d’une très mauvaise image d’elle, cette activité détenait un grand pouvoir curatif que j’appréciais beaucoup. Être mise en valeur me permettait de gagner confiance en moi. Mes parents ne m’avaient jamais complimentée, préférant plus facilement pointer du doigt mes défauts que de valoriser mes qualités. Après mon expérience au bar où j’avais été encensée, c’était donc un plaisir de me retrouver à nouveau au centre de l’attention et de recevoir des louanges plutôt que des réflexions maladroites.

La chenille était en train de devenir papillon.

Peu décidé à s’en accommoder, Sylvain dénigrait constamment tous mes photographes. Il travaillait beaucoup pour un salaire de misère et je pense que me voir gagner autant en deux heures lui restait en travers de la gorge. Les êtres humains ont souvent la particularité d’être bourrés de paradoxes et Sylvain n’en était pas dépourvu. Avec mes jolis clichés, j’avais participé à un concours pour le magazine FHM, célèbre mensuel de la presse masculine, et deux de mes photos avait été sélectionnées. Mon body transparent et moi nous nous sommes retrouvés placardés en page centrale, au milieu d’autres jeunes filles sexy. Sylvain n’arrêtait pas de s’en vanter auprès de ses potes du quartier. D’un côté, il brandissait mon physique avantageux comme un atout, dont il pouvait s’enorgueillir, de l’autre, il m’accusait de « vendre » mon cul pour une poignée de billets. Comme beaucoup de jeunes mâles, il voulait une putain vierge, une maîtresse chaste et une femme active à la maison. Sa jalousie me fatiguait. Cependant, tant qu’elle se limitait à des mots non suivis d’actes pénalisants, je faisais contre mauvaise fortune bon cœur.

À la rentrée, je ne comptais pas reprendre une terminale classique, car j’avais besoin de travailler et ne désirais pas enquiller des journées de quinze heures. Alors j’ai opté pour une classe MOREA. Le principe était top : je potassais mes cours par correspondance chez moi et allais quelques heures par semaine dans mon ancien lycée, où je retrouvais certains profs que j’avais eus durant mes années lycée. Ils étaient tous adorables avec moi, m’encourageant et me félicitant, confiants en mes capacités. Cette formule originale me laissait du temps pour cumuler deux jobs.

Car en plus des photos, j’ai démarré une autre activité, en répondant à une annonce de baby-sitting. J’ai été choisie pour garder un petit garçon dont la mère, complètement dépassée, passait plus de temps à l’extérieur entre son travail, ses copines et ses divers petits amis, qu’à veiller sur son fils. Elle avait l’air encore plus larguée que moi avec son gamin sur les bras, alors je faisais mon maximum pour répondre à ses demandes. Souvent, là où je m’attendais à la voir rentrer pour vingt heures, le vendredi soir, elle m’envoyait un message en me demandant au débotté si je pouvais garder son gamin tout le week-end. Vu le fric que cela allait lui coûter, j’acceptais volontiers son imprévisibilité, d’autant qu’elle rajoutait toujours : « je paierai un supplément ». Sylvain grognait de voir mes soirées du week-end accaparées, mais j’adorais le pognon et le pouvoir qu’il me procurait, donc je n’allais pas céder à ses caprices d’enfant gâté.

Car s’il y a bien une chose que j’ai comprise durant l’année qui a suivi mon envol, c’est que l’argent donnait beaucoup de puissance. Entre mon baby-sitting, mes photos et mon aide de l’état, je gagnais plus que n’importe lequel de mes amis tout en ayant l’impression de ne pas vraiment bosser. Certains vivaient encore chez papa-maman, complètement dépendants et encore soumis à leurs désidératas. D’autres galéraient avec des petits boulots mal payés, subissant les plannings « gruyère » propres aux jobs étudiants. Pour ma part, je bénéficiais d’une petite vie paisible et agréable. J’avais désormais un confortable studio à loyer modéré, mon permis, ma voiture et tout cela, en n’ayant ni patron, ni horaires, ni contraintes. La belle vie !

Je n’avais que dix-huit ans et j’avais enfin l’impression de cheminer sur de bons rails...

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