Chapitre 42 : Le reset

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Le lendemain, après avoir déposé plainte, munie de mon livret de famille, seul document dont je disposais encore pour prouver mon identité, je suis rentrée chez moi complètement lessivée. J’avais le sentiment de ne plus faire partie de ce monde. Dépouillée de mes effets personnels, d’un tiers de mon dressing, de mon matériel high tech et de mes papiers d’identité, je me sentais invisible, inexistante. En réalité, j’étais inexistante.

Je ne possédais plus une seule facture à mon nom. Plus une attestation à mon nom. Plus une quittance à mon nom. En dehors de ce livret de famille et de mon dépôt de plainte, je n’avais plus la capacité de prouver qui j’étais.

J’avais reçu un avis de passage. Le lundi, je suis allée à la poste.

— Si vous n’avez pas de papiers pour prouver qui vous êtes, je ne peux pas vous le remettre.

Le mardi, j’ai découvert que mon compte avait été vidé et s’affichait désormais dans le rouge. La banque m’a appelée pour m’informer de ma situation inhabituelle.

— J’ai été cambriolée. Il n’y a pas une assurance pour ça ?

— S’ils avaient votre carte et vos codes, non. Comment peut-on être sûrs que ce n’est pas vous qui avez fait le virement et les achats ? En plus, avec le dernier retrait qu’ils ont effectué, vous avez des agios désormais, car pas de découvert autorisé.

Je me suis donc déplacée pour payer les agios et rembourser le découvert. Le Crédit Mutuel assurait aussi mon logement. J’ai été informée qu’au vu des circonstances, ils ne pouvaient rien faire pour m’indemniser. Les cambrioleurs avaient trouvé mes clefs dans mon sac à main, déposé dans le coffre de ma voiture. J’avais garé cette dernière sur le grand parking bondé de la Beaujoire avant d’aller travailler au stade.

— Vous comprenez, si la porte de l’appartement avait été forcée, cela aurait été différent. Il aurait même mieux valu que vous la fracturiez vous-même.

— J’aurais dû casser ma porte en parfait état pour pouvoir être aidée ?

— En théorie, oui.

Hum hum. Nouvelle leçon de l’Univers : l’honnêteté ne paie pas toujours.

Je suis rentrée chez moi et me suis allongée dans mon lit, décidée à ne plus jamais en sortir. Prévenu le jour-même, Manu est passé à la maison voir comment j’allais. Lorsqu’il est entré dans ma chambre, il m’a trouvée sous la couette, toute habillée.

— Bon, qu’est-ce qui se passe ?

De mon lit, je l’ai invité à ouvrir les placards pour y découvrir l’étendue des dégâts. Tous les hauts, les chemises, les vestes, les pulls, les tee-shirts à manches courtes ou longues, ainsi que plusieurs manteaux avaient disparu. Face à ce constat, de son ton sarcastique, il a déclaré :

— Oui, évidemment, j’imagine qu’il y en avait plus avant.

J’ai éclaté de rire. Son humour, comme toujours, était impayable, et je ne pouvais y résister, même au fond du trou.

— Je ne vois vraiment pas où est le problème, a-t-il repris dans la même veine. Il te reste les bas. Un jean, un soutif et c’est reparti comme en quarante. T’adore te balader à moitié à poil de toute façon !

Nouvelle salve de rires.

— Les mecs travaillaient pour des culs de jatte non ? Pourquoi que des hauts ?

J’ai ri de plus belle, déridée par ses blagues douteuses. Il m’a demandée si j’allais sortir de mon plumard. Je lui ai répondu que non. Alors, il s’est allongé près de moi, sur la couette. Pendant une heure, on a déconné comme si de rien n’était. Cela me faisait du bien de penser à autre chose. Puis, je suis redevenue sérieuse et je lui ai confié que toute cette histoire ressemblait à un signe.

— Un signe de quoi ?

— De Dieu.

— Je ne connais pas ce mec-là.

Tout en me bidonnant toujours à ses côtés, je lui ai révélé mon intention de me relier davantage à la spiritualité, de trouver le chemin de la foi. Il m’a répété ce qu’il m’avait déjà dit à maintes reprises, qu’il ne croyait pas à toutes ces sornettes. Élevé par une vraie grenouille de bénitier en guise de grand-mère, il en était ressorti dégoûté de la religion. Je lui ai partagé mon sentiment concernant les dernières épreuves que j’avais traversées. J’avais l’impression qu’elles m’avaient conduite à cet instant T. J’étais persuadée qu’elles possédaient un sens plus profond. Si Dieu me mettait plus bas que Terre, c’était pour que je remonte plus haut derrière. Qu’il n’y avait de grandeur possible sans toucher les profondeurs des abysses. Si je voulais trouver la paix, il fallait que j’en passe par là.

— Tu te souviens de cette conversation que l’on a eue un soir, l’été dernier ? Celle où je te disais que quelque chose m’échappait ? Qu’il y avait forcément un truc essentiel que je ne comprenais pas, un mystère à élucider.

— Vaguement. Mais oui, ça me dit quelque chose. Un de tes trucs de perchés, quoi.

Nous rions de concert.

— Je cherchais une réponse pour comprendre pourquoi le sort semblait s’acharner sur les gens.

— Et ?

La vie n’était pas censée être un combat où nous devions constamment lutter. En cela résidait ma principale différence avec ma mère. J’avais toujours senti au plus profond de moi que quelque chose clochait dans sa vision de la vie, dans sa résignation à accepter son sort presque sans s’en émouvoir. Moi, je m’étais rebeller, à la recherche de la vérité, convaincue que nous ne comprenions pas comment les choses fonctionnaient. Le bonheur ne pouvait pas être réservé qu’à une élite. Tout le monde devait y avoir droit.

Les choses étaient si claires pour moi désormais. Je cherchais Dieu depuis un moment et je voyais en ma situation actuelle une réponse censée m’orienter.

On est en train de me guider.

— On ?

— Je ne sais pas combien ils sont. Un seul, tout un groupe... Est-ce que mon frère en fait partie ? Aucune idée. Mais aujourd’hui, je constate que je n’ai plus d’identité.

J’avais vingt-trois ans et durant un petit laps de temps, je n’existais plus.

— Tu es Caroline.

— Je suis celle que je veux devenir.

— Je crois plutôt que le problème c’est vous êtes beaucoup trop nombreuses là-dedans, a-t-il plaisanté en tapant le bout de son index sur ma tempe. Fais d’abord le tri.

Tout en riant de ses facéties, j’ai poursuivi ce qui ressemblait davantage à un monologue intérieur qu’à une conversation à deux.

— Celle que tu as rencontrée il y a quelques mois était une ancienne version, à présent obsolète. Ce cambriolage, c’est comme un reset, un redémarrage à zéro. Pour laisser émerger une nouvelle moi.

L’invitation était claire : je devais changer. Je voyais très bien ce qu’on attendait de moi désormais. Au même titre que j’allais devoir refaire tous mes papiers, j’allais devoir me recréer.

Si je persistais à continuer comme avant, dans cette voie de garage sans queue ni tête, j’allais droit dans le mur. Mon frère s’y était déjà essayé et avait fini broyé. Un mauvais état d’esprit, une vie dissolue, ne pouvaient que me conduire à ma perte. Je ne savais pas encore comment j’allais procéder mais ma pensée était limpide. À compter de ce jour, j’allais tout faire pour me transformer.

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