Chapitre 47 : Petits arrangements avec la conscience

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En sortant de la prison, les cuisses recouvertes de sperme séché, je filai directement dans une pharmacie dans laquelle je m’arrêtai pour gober la pilule du lendemain. Docile, je suivis les consignes de mon compagnon, dont je désirais garder la confiance. Confiance aveugle qu’il m’avait offerte généreusement et que j’avais déjà bafouée éhontément, et ce, avant même de démarrer officiellement notre histoire au parloir. Je lui mentais depuis des mois et n’avais nullement l’intention de révéler mon énorme secret. C’était un des avantages de cette relation entamée par des échanges épistolaires et qui ne se poursuivait qu’entre les murs d’une cabine vitrée : je pouvais lui faire croire ce que je voulais. Les conditions exceptionnelles de notre étrange romance me permettaient de travestir la réalité et de lui cacher facilement ma double vie. De fait, j’opérais dans son dos presque sans remords, ni regrets. Dans ma vision des choses, cela ne pouvait pas vraiment lui porter préjudice dès lors qu’il n’en savait rien et qu’il ne le saurait jamais. Pas vu, pas pris. Et cela, j’y veillais.

Une fois le contraceptif d’urgence avalé, je pris le chemin du retour qui me conduisait jusqu’au bar où je travaillais désormais. Après m’être fait tirer comme une pute sur un coin de table par un homme à qui j’envoyais de l’argent, j’enquillai trois heures de route pour rejoindre mon taf, où j’allais me faire tirer comme une pute sur un bout de canapé, par un inconnu qui allait me couvrir de billets. Et cela ne me semblait même pas déconnant.

Y’a pas à dire, mes parents avaient fait du bon boulot avec moi.

Au volant de ma voiture, je me mis à réfléchir aux circonstances qui m’avaient une fois encore conduite dans ce monde parallèle, dans lequel je faisais une nouvelle plongée, six ans après la première. Plongée qui, de toute évidence, allait être d’une durée indéterminée, comme le stipulait le contrat que j’avais signé quelques mois auparavant. Contrairement à ma première tentative, je n’envisageais plus du tout d’envoyer balader cette carrière florissante, retenue prisonnière par l’appât du gain.

Ne disait-on pas que l’argent était le nerf de la guerre ?

Pour ma part, ce n’était plus à prouver. Car c’était bien la principale raison pour laquelle j’étais retournée au turbin. En effet, en juin 2005, un mois après mon cambriolage, j’avais essayé de me remettre à flot matériellement, sans toutefois réellement y parvenir. Malgré l’aide substantielle que je reçus de mes grands-parents et de la banque pour me dédommager, et en dépit de mon travail régulier et bien payé pour des boîtes d’évènementiel, ma situation financière s’était détériorée. En cause ? Les crises de boulimie qui me coûtaient une blinde, et pour lesquelles j’avais vidé, au fur et à mesure des années, tout l’argent que j’avais touché suite à la mort de mon frère. Assouvir mes pulsions destructrices restait ma priorité depuis des années et nécessitait un sacré budget, à raison d’une trentaine d’euros en moyenne par jour, presque quotidiennement. Cela correspondait à plusieurs centaines d’euros mensuels, une charge conséquente pour quelqu’un qui travaillait à mi-temps et vivotait de quelques séances photos par-ci, par-là.

Au début de ma correspondance avec mon détenu, je lui avais écrit travailler comme hôtesse, ce qui était encore vrai à cette époque. Tombée sous le charme d’un homme emprisonné qui ne vivait que des mandats qu’on lui envoyait, j’avais alors pris la décision de l’aider de différentes façons. Cela incluait l’aspect financier. Je précise qu’il ne me réclama jamais rien. Connaissant désormais le niveau de fierté prodigieux que sa nature orgueilleuse requérait, je peux affirmer que cela n’était pas du tout son genre. C’était de mon initiative et cela correspondait parfaitement aux valeurs que ma mère m’avait enseignée. Chez elle, à l’inverse de mes grands-parents, la générosité était innée et quasiment illimitée. Elle aurait donné jusqu’à sa chemise si on l’en avait priée.

C’est au travers des lettres où l’on se racontait longuement, lorsque je l’ai interrogé sur sa vie derrière les barreaux, que j’ai réalisé l’étendue de ses difficultés. Il me confiait alors ne pas être autorisé à travailler en détention, à cause de son procès en attente. Cela ne lui permettait pas, comme à d’autres prisonniers, d’être autonome et de subvenir à ses besoins. La situation matérielle de sa famille ressemblait à celle que j’avais connue avec ma mère et ses seules ressources provenaient de la générosité aléatoire de ses anciennes connaissances.

Dès le début de nos échanges, j’ai ponctionné dans mes réserves pécuniaires, déjà bien amenuisées, pour lui envoyer des mandats. Je tenais vraiment à l’aider, pas juste à le distraire par courrier. Ces dépenses supplémentaires finirent de saigner mon PEL et mon compte courant. Je n’ai pas été surprise quand, en janvier 2006, mon banquier m’appela pour me dire que ma situation était devenue critique et qu’il allait quand même falloir que je me sorte les doigts du cul.

Je ne me le fis par dire deux fois. Ce soir-là, sous une pluie diluvienne et un ciel de cendre, je pris ma voiture pour rouler sans but à la recherche d’une idée. J’atterris par hasard boulevard Dalby, face à l’ancien bar à champagne que j’avais fréquenté à dix-huit ans. Ma voiture garée, je sonnai à la porte. Personne ne vint. Je me demandai si la magnifique métisse au cul bombé travaillait encore là. N’obtenant pas de réponse, je laissai tomber et revins sur mes pas. Après quelques mètres, une enseigne rose flashy attira mon regard. Sans réfléchir, j’appuyai sur la sonnette. Après un court instant, une superbe blonde m’ouvrit. Cette liane d’1.70m, à l’abondante crinière dorée et bouclée, arborait un faux air de Barbie. Elle possédait également un sourire angélique et une voix d’une douceur infinie. Accueillie chaleureusement, j’entrai dans l’établissement qui ressemblait à s’y méprendre à celui que j’avais connu autrefois.

Axelle était adorable. Elle dirigeait seule le bar avec sa fille, Lola, qui avait un an de plus que moi et employait Mona, une femme noire assez quelconque mais qui satisfaisait la patronne car elle assurait chaque jour les deux services, de quinze heures à deux heures du matin, soit onze heures d’affilées. De fait, lorsque je lui demandai si elle recherchait une troisième hôtesse, Axelle sauta presque de joie. Elle voulait effectivement renforcer son équipe, surtout le vendredi et le samedi soir, où elle-même, sa fille Lola, et Mona n'étaient pas de trop pour gérer l’affluence du week-end. Elles fonctionnaient en équipe restreinte depuis des semaines, par manque de personnel, et aucune n’avait le droit à l’erreur. Dès que l’une d’entre elles tombait malade ou s’absentait, les deux autres s’en trouvaient vite débordées. Pour elle, j’apparaissais comme l’inespérée roue de secours qui leur faisait défaut jusque-là et elle accepta d’emblée de me mettre à l’essai.

Comme à l’époque de ma première expérience, je fis très bonne impression. Je fus donc embauchée sur-le-champ et redécouvris dans la foulée ce que je savais déjà : le bar à champagne était un lieu de vices où j’allais devoir donner de ma personne. J’acceptai sans rechigner les règles du jeu qui me permirent de voir l’argent affluer facilement et rapidement, renflouant mon compte courant aux abois. En revanche, je refusai catégoriquement d’en parler à mon correspondant à l’ombre, dont j’espérais toujours gagner les faveurs, si toutefois je réussissais un jour à obtenir le permis de visite qui tardait à m’être accordé. À ce stade, n’étant pas encore engagée officiellement dans une relation physique, je ne me considérais pas encore en tort vis-à-vis de lui. J’apportais simplement mon aide à un être humain, sans même jamais l’avoir rencontré et sans aucune contrepartie autre que celle de recevoir de ses nouvelles par courrier. J’avais le sentiment de faire une bonne action, et cela me rendait plutôt fière de moi.

J’éludai donc volontairement cette partie moins glorieuse de ma vie. Je ne voulais pas prendre le risque de perdre ce lien que nous étions en train de créer à distance et dont je bénéficiais autant que lui. Je ne pouvais pas nier que notre correspondance ensoleillait ma vie et me faisait beaucoup de bien. Nous avions tous les deux besoin l’un de l’autre pour surmonter nos difficultés. Selon moi, cette entraide réciproque, ce bien-être que l’on s’apportait mutuellement à travers nos missives de plus en plus enflammées, méritait bien un ou deux petits mensonges pour faire passer la pilule.

Au fond, je savais que s’il l’apprenait, il en aurait été choqué. Je lui vendais du rêve et lui jetais de la poudre aux yeux en m’inventant une vie vertueuse par lettres interposées. Mais de cela, je me fichais. Je pouvais sucer des bites et me faire mettre des doigts dans la chatte sans aucun problème, à partir du moment où je faisais quelque chose de bien avec le fruit de mon travail malsain. Tout était une question d’équilibre. J’avais beau avoir dans un coin de ma tête l’idée que cet argent était sale, je le blanchissais de moi-même avec quelques petits arrangements. Ainsi, ma morale était sauve. Mon altruisme allégeait le poids de ma mauvaise conscience.

C’est impressionnant comme l’être humain a la capacité de déjouer ses propres scrupules en avançant les bons arguments.

Ne dit-on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions ?

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