Chapitre 60 : Ma petite entreprise

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Au bout de quelques heures, je sus que mon annonce avait été validée et apparaissait en ligne car mon téléphone se mit à sonner sans discontinuer. Surprise par l’ampleur du phénomène, je ne le décrochai même pas. Je le regardais vibrer sur la table, effarée. Les numéros d’inconnus s’affichaient les uns derrière les autres et la liste des appels en absence s’allongea au fils des heures. J’étais abasourdie. Puis, prenant mon courage à deux mains, je décrochai. Malheureusement, ce n’était pas suffisant. Il aurait fallu un standard pour me seconder. Mon portable frôlait l’épilepsie et moi avec. Je ne pouvais pas satisfaire tout le monde. J’avais tellement de demandes que lorsque j’étais en ligne, et cela ne durait souvent pas plus d’une minute, je loupai deux ou trois communications. Et si je rappelais l’un des interlocuteurs malchanceux qui était tombé sur mon répondeur, je manquais encore les suivantes. Ça ne s’arrêtait pas.

Du jour au lendemain, je reçus des dizaines, voire plus d’une centaine d’appels quotidiens. Des textos me parvenaient également, lesquels avaient tous plus ou moins la même substance :

« Bonjour, je viens de voir votre annonce. Je suis un homme de quarante ans, propre et bien élevé, et je souhaiterais connaître vos prestations de massage, vos tarifs et vos conditions. Où recevez-vous ? Merci de me répondre sur ce numéro jusqu’à 17h. Cordialement. »

C’était signé Marc, Paul, Stéphane ou Thierry mais de toute façon, je savais déjà que pour certains d’entre eux, ce n’était pas leur véritable identité. Et je m’en contrefichais puisque je ne serai pas non plus Caroline. Le premier nom qui me vint à l’esprit fut Carole, parce que JYT avait l’habitude de me surnommer ainsi. Mais rapidement, je lui préférais Mélissa, qui sentait bon les tropiques de Julien Clerc et me rappelait les enseignes aux noms exotiques des bars à champagne. Il sonnait également plus doux à l’oreille. Or, de la douceur, il allait en être question chez moi. Ça allait même être mon cheval de bataille. Je n’envisageais pas ces rencontres tarifées comme je les avais vécues chez Axelle. Il n’y serait pas question d’alcool ou de palabres infinis pour endormir les michetons. Je prévoyais plutôt d’assommer leur vigilance en leur offrant un moment de détente tel qu’ils en oublieraient leurs soucis, ainsi que le prix exorbitant que je leur réclamerais.

Je ne répondais pas aux appels masqués, trop dangereux, ni aux sms, trop chronophages. Il était plus simple et rapide de donner les explications au téléphone, même si le côté répétitif était usant. J’essayais de ne pas montrer que cela m’agaçait prodigieusement en m’efforçant d’être le plus avenante possible. Pour feinter l’enthousiasme, je souriais ostensiblement à l’autre bout du fil. Une technique apprise au cours de mon BTS Communication des entreprises. J’y parvenais apparemment très bien. On aurait même dit que j’avais fait ça toute ma vie. Ma voix ne tremblait pas et je ne butai pas sur les mots. Avec l’assurance d’une professionnelle, j’annonçai :

— Je propose deux prestations de relaxation érotique. La première est à quatre-vingt euros. Il s’agit d’un massage de tout le corps avec une finition manuelle. Le rendez-vous dure entre une demi-heure et trois-quarts d’heure. La seconde option est à cent cinquante. C’est un massage d’une heure environ et il se termine par un rapport vaginal.

D’où étaient sorties toutes ces informations ? Où les avais-je pêchés ? Je l’ignorai. Lors de mon inscription, les prix de mes concurrentes n’étaient pas indiqués sur le site de Vivastreet. Cependant, il est vrai que j’avais maintes fois parcouru des blogs d’escortes et lu des tas de témoignages de nanas ayant vendu leurs charmes. À cette époque, j’étais friande de ce genre de récits et passais des heures à en lire les souvenirs et autres anecdotes truculentes. Alors je supposais que mon inconscient avait fait son travail.

Au début, en annonçant de tels prix, j’étais persuadée qu’on allait me raccrocher au nez. C’était peut-être ce que j’espérais secrètement par ailleurs. Mais, à ma grande surprise, ce fut tout le contraire.

La description de mes prestations était on ne peut plus clinique mais, étonnamment, les clients m’en faisaient des retours positifs. Durant la conversation, ils me confiaient en apprécier la clarté et la simplicité. Mes tarifs élevés ne les faisaient pas fuir. Mieux, mon offre semblait convaincre une certaine partie de mon auditoire. Certains m’annonçaient poliment qu’ils ne donneraient pas suite, mais les hommes se montraient majoritairement intéressés et quelques-uns voulaient me rencontrer dans l’heure Je n’étais donc pas complètement à côté de la plaque en mettant la barre aussi haut.

Pendant plusieurs jours, je ne fis que du secrétariat. Au téléphone, certains hommes m’annonçaient d’emblée qu’ils ne souhaitaient que se renseigner pour un rendez-vous futur. Je n’étais jamais désagréable avec eux. Je devinai qu’ils avaient besoin de temps pour organiser ce genre de rencontres. Les raisons s’avéraient probablement multiples, de la bonne vieille tromperie à manigancer pour sa femme, au boulot dont il fallait s’échapper discrètement sans éveiller les soupçons du patron. Quoiqu’il en soit, je les laissai volontiers « réfléchir » et me relancer, si le cœur leur en disait.

D’ailleurs, j’agissais comme eux. Lorsque qu’au cours des premières conversations téléphoniques, on me demandait un rendez-vous dans la foulée, je déclinai, déstabilisée. Je n’étais pas encore complètement prête à me lancer dans l’aventure. J’avais besoin d’intégrer toutes les phases et d’avancer une étape après l’autre. N’étant pas aux abois financièrement, je profitais de ce luxe pour y aller à mon rythme, sans me brusquer.

Pendant plusieurs jours, parallèlement à mon job de standardiste, je cogitai activement et pris le temps de planifier ma méthode. Je savais déjà que je ne recevrais qu’à mon domicile. Je décidai ensuite de n’accueillir qu’en journée, de préférence l’après-midi, jusqu’au coucher du soleil. La nuit, avec son ambiance sombre qui incitait les gens à faire n’importe quoi, me faisait peur. La lumière du soleil était pour moi un gage de sécurité.

Concernant les massages érotiques, je prévoyais de les réaliser dans ma chambre, directement sur mon lit, recouvert de deux serviettes éponges, changées entre chaque client. Si besoin, il y aurait un accès à la douche mais j’estimais que les michetons devaient faire l’effort d’arriver propres. Ma mère m’avait appris à me brosser les dents avant un passage chez le dentiste et j’avais l’habitude de me laver le sexe pour me faire examiner par ma gynécologue. Je partais donc du principe que pour ces messieurs, il allait en être de même. Une fois encore, le fait de travailler en journée m’évitait un désagrément supplémentaire : celui de récupérer des hommes crades, sentant la sueur et, en prime, avec un service trois pièces plus que douteux.

Je filai au supermarché du coin pour m’approvisionner en huile, en gel lubrifiant et en capotes, mes seuls indispensables. Je n’achetai pas en grande quantité. Comme tout bon entrepreneur, je devais d’abord m’assurer de la viabilité de ma boîte avant d’investir. Je réfléchis aussi consciencieusement à mes tenues. Là non plus, je ne voulais pas faire de grands frais. Je possédais quelques nuisettes en dentelles qui feraient largement l’affaire, au même titre que ma lingerie personnelle, pas démente démente, mais assez sexy pour attiser la libido de n’importe quel homme normalement constitué. J’y ajoutai quelques paires neuves de bas auto-fixant. Avec leur large bandeau adhésif décoré, le résultat était du plus bel effet. Ils me faisaient la jambe fine et galbée, toute gainée de noir. La seule paire de talons aiguilles dont je disposais complétait à merveille mon costume de pute.

M’adonner à tous ces préparatifs était grisant. Après tout, j’étais pour la première fois ma propre patronne et il me revenait de décider des modalités de mon entreprise. Cependant, malgré mon enthousiasme, je ne savais pas du tout où je mettais les pieds. Toute cette aventure n’allait peut-être s’avérer qu’un feu de paille. S’agissait-il d’une nouvelle lubie qui, au même titre que ma passion soudaine pour la sodomie, allait disparaître comme elle était advenue ? Rien ne disait que je n’allais pas mettre la clef sous la porte la semaine suivante et remballer mes strings en satin. Malgré les nombreux appels, difficile de prédire à l’avance si le succès serait au rendez-vous. Allais-je tenir le choc et supporter la situation ? Je considérais les semaines à venir comme une période d’essai.

Une fois que tout fut balisé dans ma tête, et organisé matériellement, l’envie prit le pas sur la peur. Il ne me restait plus qu’à passer de la théorie à la pratique, autant dire, une simple formalité...

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