Chapitre 63 : Modus operandi, partie III (le pétard mouillé)

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Lorsque j’eus terminé le massage des deux côtés, mon client était fin prêt pour la suite. Son sexe en érection s’érigeait aussi droit qu’un piquet sous une tente de scout. Je me relevai et retirai ma nuisette en dentelle, qui atterrit sur le parquet dans un froissement d’étoffe. Les yeux de Fabrice s’écarquillèrent en me découvrant.

— Vous êtes magnifique.

Il avait l’air sincère. Ses paroles me touchèrent. À cette époque de ma vie, j’avais encore une piètre image de moi-même. Ma relation avec mon détenu m’avait permis de m’aimer davantage, car il n’avait pas été avare de compliments, mais j’entendais toujours, en sourdine, ces remarques désobligeantes qui surgissaient d’un passé lointain :

— Tu as grossi. Si tu continues, tu vas finir comme tatate.

Et d’autres encore, tels que :

— T’as pris des joues, non ?

La boulimie me permettait de maintenir un poids assez faible en comparaison de toute la nourriture que j’ingurgitais. Je ne possédais plus de balance depuis fort longtemps mais je savais qu’en taille de vêtements, j’oscillais entre le 36 et le 38. Pourtant, je me voyais toujours de temps à autre comme un boudin à la limite de l’obésité. Je continuais à travailler dessus pour me défaire de cette image dysmorphique mais les résultats n’étaient pas encore probants. Alors, lorsque mon client me fit ces louanges, ce fût comme une pommade sur une plaie encore à vif. Je m’étais donnée pour mission de soulager momentanément la souffrance de ces pauvres ères. Et si, finalement, c’était eux qui allaient me faire du bien ?

L’heure était venue de passer aux choses sérieuses. Nue, je m’approchai de lui munie d’un préservatif. J’avais choisi les plus classiques mais pas les moins chers. Pas question de faire des économies sur la sécurité. C’étaient des Manix ou des Durex, une boîte bleue toute simple qui annonçaient des protections sans fioritures. J’avais déjà testé des capotes un peu originales par le passé, de couleur rouge, avec une mention de type « spicy » ou quelque chose dans cet esprit. J’en avais seulement retenu une sensation de brûlures abominable. Je m’étais demandé qui achetait ce genre d’horreur. Quelle femme normalement constituée voulait finir les muqueuses en feu ? Je sais bien qu’il en fallait pour tous les goûts mais, là, ça me dépassait. Évidemment, lors de mes achats, je n’avais pas sélectionné le paquet sur lequel était annoncé l’effet « prolongation », celui qui promettait de rallonger le rapport. Il avait probablement été créé à l’intention des éjaculateurs précoces mais ici, ce genre de particularité devenait un avantage, pas l’inverse. Il n’était pas question pour moi de faire durer le plaisir, en pénétration. Je n’avais expérimenté que des orgasmes par la stimulation clitoridienne, je pouvais facilement en conclure que l’acte en lui-même ne m’en apporterait pas. Si le client voulait prendre son temps pour me lécher jusqu’à la jouissance, je n’allais pas dire non, mais pour le reste, mon objectif était clairement affiché. Il fallait que ça aille vite.

Fabrice n’était pas un brouteur de minou, dommage pour moi. Je le laissai me caresser le corps pendant que je déroulai le préservatif sur sa verge. J’avais remarqué combien mon excitation et ma tolérance aux sollicitations masculines dépendait de mon cycle, avec une forte incidence positive au pic de mon ovulation. Mais, finalement, mon état d’esprit et mon humeur influaient aussi beaucoup sur mon désir. Et ce jour-là, les investigations d’un inconnu ne me parurent pas désagréables.

Une fois la protection en place, j’y ajoutais une goutte de gel lubrifiant neutre, le plus basique possible. Le principal inconvénient des préservatifs résidait dans le fait qu’ils créaient une sensation d’échauffement au bout d’un certain temps. Si cela était couplé à la sécheresse liée au manque d’excitation durant le rapport, j’étais bonne pour finir au chômage technique. Les irritations de cette zone risquaient de me provoquer une infection urinaire ou une mycose qui me rendrait inapte au travail. Il n’était donc pas souhaitable d’abîmer le matos.

Le sexe ainsi équipé, je m’installai sur lui à califourchon, telle une cavalière émérite enfourchant sa monture. La pénétration fut aisée, indolore. Je ne perçus rien de particulier lors de son intrusion en moi. Il posa ses mains sur mes seins pour les malaxer comme s’il voulait pétrir une pâte à pain. Ensuite, après quelques va-et-vient très furtifs, il poussa un râle rauque et saccadé, et son corps se tendit. Je n’avais presque rien fait. Avant de me lancer dans cette aventure, j’avais redouté un rapport interminable, avec un peine-à-jouir qui aurait nécessité que je me mette dans toutes les positions possibles et imaginables pour le satisfaire. Mais ce premier contact avait été si rapide qu’il s’en était même excusé.

— Désolé, ça fait longtemps.

Je pense que si j’avais touché cent euros à chaque fois que cette phrase avait été prononcée par un de mes clients, je serais multimilliardaire aujourd’hui.

Je le rassurai aussitôt en enjolivant sa performance. Je comprenais évidemment sa déception. Nous étions conditionnés à ce que l’orgasme soit une sorte de feu d’artifice, clôturant un spectacle inoubliable. Là, cela tenait plus du pétard mouillé. Je trouvais cette situation vraiment dramatique pour les hommes et j’essayais de ne pas le leur faire sentir. Il s’excusa encore, me rappelant que je n’y étais pour rien. Je le savais très bien et ne me mis pas une seule seconde en cause. Je lui affirmai que le stress ou le manque de pratique expliquaient sûrement cette situation, puis me tus tout simplement. C’était un homme à terre, l’ego blessé. Quoi que je dise, ce serait comme tirer sur une ambulance.

Il se rhabilla pendant que je jetai la capote usagée. Il partit sans demander son reste, en me saluant poliment, et se faufila dans l’escalier comme si la mort était à ses trousses. De retour dans la chambre, je regardai les cents cinquante euros en espèces, avec une réelle satisfaction. La somme me paraissait énorme. Beaucoup plus que ce que je pouvais gagner chez Axelle en un si court laps de temps. Après son départ, je ne ressentis pas ce que certaines décrivent à la fin de ces rencontres tarifées. Je ne me sentais pas sale. Je me nettoyai rapidement au lavabo pour enlever le reste de gel lubrifiant, mais cette toilette n’avait pas pour but de me laver d’un quelconque sentiment de dégoût. Je ramassai la serviette pour la mettre dans la machine. Je remis de l’ordre dans la pièce, comme si de rien n’était. Une légèreté s'empara de moi en m’asseyant sur le lit.

En réalité, j’étais juste heureuse. Comment éprouver autre chose alors que j’avais trouvé un moyen très efficace de faire rentrer énormément d’argent en ne faisant presque rien ? Mon rêve absolu était en train de se réaliser. Je revivais la scène avec une certaine incrédulité. Je me sentais normale. Je me fis pourtant la réflexion que ce n’était peut-être pas normal de vivre cette expérience sans rien éprouver de désagréable. J’avais le sentiment qu’il me manquait une pièce, comme si quelque chose n’avait pas été installé chez moi lors de ma création. Pourquoi cette activité était-elle si décriée si on pouvait la pratiquer sans sourciller ? Si j’avais eu des doutes au bar quant à mes capacités à me prostituer en bonne et due forme, aujourd’hui, je n’en avais plus. Je le faisais officiellement. J’avais traversé le mur et étais passée de l’autre côté.

Si la société n’avait pas porté un jugement aussi négatif sur cet acte, j’aurais adoré m’en vanter auprès des personnes que je connaissais. J’étais fière de mes nouvelles compétences, de toutes ces possibilités qui s’ouvraient à moi. Dans la foulée, je programmai un nouveau rendez-vous, impatiente de regoûter au pouvoir de l’argent et de la liberté qu’il m’offrait.

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