Chapitre 78 : Les clients, partie II (Une question d’âge)

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Cela faisait maintenant cinq mois que j’étais à mon compte en tant que masseuse érotique et une routine aussi efficace que rassurante s’était installée dans mon job. Je connaissais à présent mieux les tenants et les aboutissants de mon métier et pouvais m’adapter à une grande variété de situations. En dehors de certaines demandes aussi inattendues que farfelues ou de quelques personnages atypiques qui me déroutaient toujours, et dont je reparlerai plus tard, je me sentais à l’aise avec l’ensemble de ma clientèle. Cette dernière était par ailleurs assez représentative de la partie masculine de la société française.

Dans ce joli échantillon qui me rendait visite, je recevais de tout. Du chômeur au P-D-G, en passant par l’étudiant, l’ouvrier, l’artisan ou le retraité, comme dans la vraie vie, dans mon microcosme, j’avais affaire à une population hétéroclite. Cependant, malgré ce côté disparate, il était facile au fil du temps de dessiner les contours d’un profil type : un homme entre 45 et 55 ans, plutôt aisé, très souvent marié ou, au moins, en concubinage, ayant des enfants, et probablement une maison presque finie de payer, un chien qui l’attendait derrière la porte et une voiture familiale garée dans l’allée devant le portail. Un bon père de famille en somme.

Le pic de la moyenne d’âge se situait donc autour de la cinquantaine, puis, dans la première couronne, on retrouvait les 40/60 ans. Ensuite, dans la seconde, il y avait les trentenaires d’un côté, et les retraités de l’autre.

Les « jeunes » n’étaient pas les bienvenus chez moi, ni chez mes concurrentes au demeurant, d’après les ouïe-dires qui me provenaient de mes clients. Je qualifierais sans hésiter les moins de trente ans comme les personnes les moins respectueuses de toutes, même si, évidemment, je n’en ferais pas une généralité absolue. Mais, globalement, pour les avoir moi-même testés, cela se vérifiait sur le tas. Dans cette catégorie, la politesse relevait parfois du luxe. Entre ceux qui arrivaient en retard, ceux qui me traitaient comme de la merde, et ceux qui gueulaient à l’escroquerie au moindre pet de travers, ou, parfois, les trois en même temps, je les accueillais de moins en moins volontiers.

En sus de ces travers, pour la finition, deux cas de figures compliqués se présentaient. Soit ils étaient ultra-précoces et demandaient à recommencer dans la foulée, profitant du temps imparti pour m’imposer des doubles sessions qui me semblaient interminables. Soit ils se retenaient indéfiniment de jouir et la séance s’éternisait jusqu’à l’extrême limite de l’horaire indiquée. Dans les deux cas, le rendez-vous de ces marathoniens du sexe devenait éprouvant. D’autant plus éprouvant qu’en plus de tenir une forme olympique, bien supérieure à celle de leurs ainés, ils étaient, de surcroit, beaucoup moins portés que ces derniers sur l’échange et le partage. Résultat, concentrés sur leur plaisir personnel, ils laissaient le reste de côté, c’est-à-dire, moi. Je n’ai jamais eu davantage le sentiment d’être une poupée gonflable qu’avec eux. Autant dire que ces mecs-là, c’était une vraie catastrophe au lit.

En plus de leurs performances sportives difficiles à gérer, il s’agissait du public le plus difficile à satisfaire. J’avais l’impression que, quoi que je fasse, ces sales gosses ne se montreraient jamais contents. Une des principales raisons de cette situation désagréable résidait dans le fait que ces gamins s’attendaient à vivre en live une scène de film porno. Or, c’était impossible. Déjà, parce que je n’en avais pas les capacités physiques. Toute gymnaste que j’avais été par le passé, je n’étais ni Nadia Comaneci, ni prête à refaire l’intégralité du Kâmasûtra en vingt minutes. Ensuite, parce que je ne le souhaitais pas. J’étais thérapeute, bordel, qu’on se le dise ! Je désirais davantage m’investir dans une rencontre humaine profitable à la santé mentale de mes patients, enfin de mes clients, que me faire déglinguer façon actrice de X. D’ailleurs, c’était bien simple. Quand ces derniers m’envoyaient des photos de leurs attributs en érection, pour me montrer à quoi je devais m’attendre durant la session, je les bloquais manu militari. Loin de m’appâter, ces phénomènes de foire m’effrayaient.

Enfin, troisième explication à leur insatisfaction, les films pour adultes étaient par définition... des fictions. Il fallait bien comprendre que les attentes de ces jeunes éphèbes shootés aux hormones prépubères se révélaient alors irréalisables. Des nanas qui hurlaient à plein poumons de bonheur en se prenant des verges de la taille d’un tronc d’arbre entre les fesses, ça ne devait quand même pas courir les rues. Pourtant, bien souvent, ces têtes de mules ne voulaient rien entendre. J’avais beau expliquer le pourquoi du comment, à la moindre désillusion durant le rendez-vous, ils criaient à la publicité mensongère. De fait, après plusieurs mauvaises expériences, et ce, malgré quelques bonnes, je finis blasée. Lassée de devoir me justifier à tout instant, je décidai de ne plus prendre le risque de les recevoir et les rayai clairement et simplement de mes potentiels contacts.

Parfois, certains jeunes passaient entre les mailles du filet, autrement dit, à travers la barrière du téléphone. Celui-ci représentait pourtant un excellent moyen de filtrer mon public. Mais il y avait des ratés, comme partout, et certains moins de trente ans se faufilaient jusqu’à moi. J’arrivais d’ordinaire à les identifier facilement grâce à leur façon de parler, comme leurs tics de langage, par exemple, mais sans ce signe distinctif, je ne détectais pas toujours la jeunesse dans leur voix. Quand j’avais un doute, je demandais une précision sur l’âge. Lorsqu’ils répondaient honnêtement et se trouvaient en dessous de la barre fatidique, je leur annonçais d’emblée que j’étais indisponible.

Mais, certains, habitués à se faire refouler par les escortes, mentaient effrontément. Lorsqu’alors, je me retrouvais nez-à-nez avec l’un d’entre eux en ouvrant la porte, je déchantais. Je devais réagir vite. Deux solutions s’offraient à moi : les laisser entrer en priant pour que tout se passe bien ou improviser une excuse bidon de dernière minute pour m’en dépatouiller. Je choisissais souvent la seconde option quand il portait un jogging, une casquette et des baskets... J’avais beau avoir été mariée à l’un d’entre eux, je connaissais leur mentalité misogyne et n’avais pas envie de m’y exposer sur mon lieu de travail.

Par manque de vigilance, cela m’est aussi arrivé de voir débarquer des très très jeunes, dont l’âge variait entre dix-huit (ou peut-être moins, qui sait, je ne demandais pas à voir la carte d’identité) et vingt-et-un ans. Au début de ma carrière, comme je n’avais que vingt-sept ans, je ne me sentais pas trop vieille pour les accueillir, mais l’âge avançant, notamment ces dernières années, je ne les accepterais plus. La pédophilie ne fait pas partie de mes névroses.

Je n’étais, par ailleurs, pas gérontophile non plus. Je ne souffrais pas du syndrome Anna Nicole Smith et, de toute façon, cette catégorie se réduisait à peau de chagrin. L’âge maximum atteint lors d’une rencontre tarifée dut se situer aux alentours des quatre-vingts ans, pas plus. Ceux-là non plus n’étaient pas les plus faciles à satisfaire mais je n’avais pas vraiment de raison valable de les refuser. Je comprenais leurs désirs, leurs besoins, leurs attentes et j’avais des scrupules à ne pas essayer de les combler.

Comme ils ne bandaient plus du tout (ou mou, c’était selon), leur demande la plus courante consistait à m’observer en train de me caresser. Je n’y voyais pas d’objection. Quand je n’avais pas envie de jouir, je simulais l’orgasme (une pro, je vous le dis !), mais si j’étais excitée, alors j’y allais franco, sans aucune gêne. Avec un peu de chance, le monsieur d’un certain âge m’aidait avec ses mains en s’occupant de mes seins et le tour était joué. Avec un peu de chance, ils tremblaient ou souffraient de Parkinson, et la stimulation étaient plus tonique et efficace que leur érection. J’en ai vu certains quitter la pièce des étoiles dans les yeux après avoir assisté à mon petit solo. Je me réjouissais d’imaginer que j’avais peut-être été un de leurs derniers plaisirs vivant, une sorte de bouquet final, avant de passer l’arme à gauche et de filer tout droit au Paradis.

Je me souviens particulièrement d’un retraité qui était quasiment à l’article de la mort. Voyant son état de décrépitude avancée, je redoutai même le pire. C’est pourquoi, durant tout le rendez-vous, je veillai au grain en m’assurant qu’il respirait encore. Pas question qu’il me claque dans les pattes en plein massage. Je ne voulais pas de cadavre sous mon toit. Même si la mort aurait été belle, Dieu merci, cela n’est jamais arrivé.

Par contre, à la fin du rendez-vous, une bonne surprise m’attendait. Le très vieux monsieur m’offrit un de mes plus beaux cuni, interminable et délicieusement exécuté, clairement le meilleur de tous ceux que j’avais reçus jusque-là. J’avais tiqué lorsqu’il m’avait réclamé la prestation numéro deux car je doutais qu’il puisse bander suffisamment pour me pénétrer. J’avais craint que son offre ne raccourcisse notre timing et que je me retrouve contrainte à essayer de faire durcir sa bite molle pendant tout le temps restant. Ce genre de moment étant toujours très malaisant, je préférais les éviter. Mais il m’avait assuré au téléphone qu’il adorerait profiter de la durée allongée pour s’occuper de moi au lieu que je ne m’occupe de lui. Et il tint parole. Le rendez-vous fut mémorable, bien que très différent de ceux auxquels j’étais habituée.

Cela me démontra une fois encore, si besoin était, que le mythe du « les hommes sont mécaniques, les femmes sont cérébrales » était bon à jeter à la poubelle. Hommes et femmes étions l’un et l’autre, suivant les situations. Il n’y a pas d’opposition entre les genres concernant le plaisir sexuel. Et l’âge n’est qu’un nombre, comme je venais de le constater. Entre un jeune chien fou qui voulait me prendre dans tous les sens sans interruption et un papi qui ne payait pas de mine mais savait comment me faire grimper aux rideaux, allez savoir pourquoi, mon choix était vite fait.

Ne dit-on pas que c’est dans les vieux pots que l’on fait la meilleure soupe ?

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