Chapitre 81 : Les clients, partie V ( Les fétichistes)

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En m’adonnant à mon activité de masseuse érotique, je n’étais pas au bout de mes surprises. Il va sans dire que, régulièrement, je me retrouvais confrontée à des demandes un peu spéciales, faces auxquelles j’ignorais parfois comment réagir. La prude qui sommeillait en moi avait tendance à dire systématiquement non, mais il arrivait que je me laisse convaincre à dépasser mes a priori.

Ainsi, lorsqu’ au téléphone, des clients amateurs d’odeurs corporelles me demandaient de rester sale, ou, à tout du moins, de ne pas me laver juste avant le rendez-vous, je m’exécutais sans rechigner. Un jour, l’un de ces spécimens, qui ne m’avait pas prévenue auparavant, m’avait d’ailleurs reproché de sentir trop le savon. Je m’en excusais, amusée, lui expliquant qu’habituellement, les hommes appréciaient plutôt les nanas propres que négligées. Sa remarque me fit penser au film Les valseuses, dans lequel on voyait Gérard Depardieu en train de renifler une culotte dans une placard pour évaluer l’âge d’une jeune fille. Je pouvais comprendre que les émanations féminines naturelles attirent un homme amoureux de sa compagne, mais dans une rencontre tarifée, j’adhérais plus difficilement au concept. Dans le même état d’esprit, pour la modique somme de trente ou cinquante euros, je vendais parfois des culottes usagées que j’allais piochées dans le bac de linge sale.

Les désirs « spéciaux » les plus courants tournaient principalement autour des pieds. Les fétichistes de cette partie de l’anatomie étaient légion et je ne savais jamais trop comment me comporter. Si les questions à ce sujet avaient lieu au téléphone avant la rencontre, il y avait de fortes chances pour que je décline la proposition, même pour un tarif plus élevé. Qu’il s’agisse de branler un mec avec mes pieds, ou de me faire lécher les orteils, rien que de l’entendre au bout du fil, cela me filait la nausée. C’était d’autant plus dégueulasse qu’en général on me réclamait des pieds sales et très odorants.

Comme j’y donnais rarement suite, il arrivait, qu’une fois sur place, un client fétichiste qui s’était caché jusque-là, sorte enfin de son placard. Dès lors, c’est dans le feu de l’action que je comprenais quels étaient ses véritables intentions. Par exemple, en plein rapport, lorsque j’étais allongée sur le dos, les jambes relevées et accrochées à ses épaules, l’amateur de pieds me les attrapait et commençait à les lécher sans vergogne. Même si l’envie de résister me prenait, en général, je laissais faire. À raison, la plupart du temps, car cela accélérait prodigieusement la venue de leur orgasme. Je me retrouvais les orteils pleins de bave, certes, mais, au moins, j’avais gagné du temps. Il faut savoir être pragmatique parfois.

En massant des clients, je faisais régulièrement des trouvailles du troisième type sur leurs corps. Je ne parle pas ici d’habituelles cicatrices, brûlures ou autres traces d’accidents domestiques qui apportaient beaucoup de charme à ces messieurs, en leur donnant l’allure d’un guerrier revenu d’entre les morts. J’évoque ici plutôt les décorations dont certains mâles aimaient à se parer. En effet, je me rappelle d’un client qui avait affublé ses mamelons d’élastiques, et d’un autre qui, dans le même style, en avait entouré ses pectoraux. Cela leur permettait à l’un comme à l’autre d’exhiber une paire de seins, attributs qui semblaient désespérément leur manquer.

D’autres encore arboraient des anneaux fixés à la base de leur sexe, dont l’objectif principal consistait à maintenir leur érection plus dure. Sans oublier les piercings péniens et autres sortes de perles qu’ils se glissaient parfois sous la peau du gland, pour soi-disant, augmenter les sensations de la partenaire. La pratique, dangereuse au demeurant, provenait de l’univers carcéral, et était réputée favoriser le plaisir des prostituées.

Je n’étais ni réactive ni friande de tous ces gadgets, qui me donnaient toujours le sentiment d’avoir à faire à un homme qui, enfant, avait été bercé trop près du mur. Je n’aimais pas juger mes semblables, mais j’éprouvais un profond malaise à la vue de toutes ces innovations. Dans la même veine, chez moi, les plugs et autres joujoux pour fessiers n’étaient pas les bienvenus. Une seule fois, j’ai sodomisé un client avec son propre godemichet, lequel me paraissait d’une taille surdimensionnée. Si l’expérience me laissa de glace, lui, en revanche, se cambrait comme un cheval qui voulait que je lui explose la croupe. J’aurais vraiment adoré partager son enthousiasme mais, peu habituée à partager ce genre de fantasmes, je ne ressentais qu’une immense solitude. De fait, j’évitais au maximum de me retrouver dans ces situations.

Par moments, les découvertes étaient agréables. C’était notamment le cas lorsque quelques rares hommes s’aventurèrent entre mes fesses avec leur langue. Je n’aurais jamais osé demander l’anulingus à mes partenaires, mais si un client se sentait inspiré, je le laissais volontiers faire. Me concernant, je pense que le plaisir provenait davantage du côté inédit de la caresse, voire de l’aspect interdit, que des réelles sensations que j’éprouvais lors de son exécution. Je ne le pratiquais en revanche jamais en retour sur mes clients. Trop intime, trop risqué, pas tentant pour deux sous avec certains, « la feuille de rose », aussi communément appelée fleur de rose ou pétale de rose, relevait uniquement des actes que j’offrais en privé...

Après la domination et les fétichistes des pieds, l’urologie se plaçait en troisième position des demandes les plus fréquentes. Cette dernière apparut assez tardivement dans mon activité. Je ne sais pas s’il y a eu une libération des mœurs à ce sujet-là ces dernières années, ou si c’est devenu le truc à la mode, mais au tout début de l’exercice de ma profession, en 2009, je n’ai pas le souvenir qu’on me le réclamait souvent. Ça semblait plutôt anecdotique. Mais, avec le temps, la demande augmenta et je décidai d’en faire l’expérience, pour savoir exactement de quoi il retournait. Pour ma part, jusque-là, cela ne m’avait jamais attiré. Certes, j’avais déjà été partante pour des éjaculations faciales sous la douche, et il s’agissait là aussi de fluide corporel, ce qui, en soi, ne me dégoûtait pas. Mais, contrairement au sperme que je recevais comme une offrande, à mes yeux, l’urine était dégradante.

Pourtant, quand un client insista et me proposa trois cents euros pour une golden shower, j’acceptai par curiosité autant que par appât du gain. Le deal était simple : je n’avais rien d’autre à faire que de lui pisser dessus. Au bas mot, sachant qu’une miction ordinaire durait approximativement une minute, la séance me prendrait tout au plus un petit quart d’heure. C’était rentable. Qui plus est, c’était écologique et économique, car cela devait avoir lieu dans ma baignoire. À une époque où on cherchait sans cesse de nouveaux moyens de réduire ses dépenses en préservant la planète, économiser une chasse d’eau, ça n’avait pas de prix. Les dauphins me remercieraient.

Une fois le rendez-vous programmé, je bus moulte quantité d’eau et me retrouvais à attendre le micheton, la vessie prête à éclater. Quand il arriva enfin, je le fis rapidement se coucher dans la baignoire. Je m’installai au-dessus de lui, les pieds posés de chaque côté, bien à plat sur les rebords. En le regardant plus attentivement, avec sa tignasse brune et ses yeux noirs, je trouvais que l’homme avait l’air de sortir tout droit d’un asile psychiatrique. Avec du recul, je pense qu’il était plutôt ordinaire mais, en le voyant ouvrir grand la bouche comme un oisillon attendant la becquée, mon cerveau a vrillé. Je commençais réellement à me demander ce que j’étais en train de faire lorsque, incapable de me retenir plus longtemps, je me mis à lui uriner directement sur le visage.

Lorsque j’eus terminé ma petite affaire, je me sentis vraiment mal. Je trouvais la situation dégradante, principalement pour moi, même si je ne saurais dire dans quelle mesure exactement. Le mec, lui, était enchanté. Il loua la beauté de ma vulve en pleine action comme s’il s’était agi d’une œuvre d’art. Cela ne me le rendit pas plus sympathique, bien au contraire. Dès lors qu’il me relança ensuite, pour aller encore plus loin, je regrettai d’avoir dit oui. Rien qu’à lire le message, j’eus un haut-le-cœur et ne pris même pas la peine de répondre à sa missive. Je le bloquais directement, une violente envie de gerber au bord de lèvres.

Avec les années, ma vision des choses évolua. Tout récemment, je me suis mise à regarder des vidéos d’urologie. D’abord, par curiosité, pour me rendre vraiment compte de ce à côté de quoi je passais. Puis, par plaisir. Pour finalement trouver ça très excitant. Il ne s’agit à ce jour que d’images et non d'expériences, mais ça m’a fait réfléchir. Je me trouve plutôt saine d’esprit, quoique je ne renie pas posséder un petit grain de folie, mais je me suis interrogée. D’où naissent ces envies marginales qui apparaissent au fil du temps ? Est-ce parce que l’on s’ennuie, que l’on veut vibrer davantage et pimenter notre routine que l’on se lance dans ce genre de défi ? Je ne saurais le dire, mais je devine combien l’exploration de toutes formes de pratiques dans la sexualité peut être divertissante. Pour ma part, cela tient davantage du fantasme, or j’ai l’impression qu’un fantasme n’a d’intérêt que s’il demeure à l’état imaginaire... mais qui sait ? Je n’ai que quarante et un ans après tout, difficile de savoir, à ce stade, où s’arrêteront mes idées...

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