Chapitre 94 : Le mode d’emploi

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Je contactai Véronique de Sainte Marie à mon retour à Nantes. Cette femme, naturopathe de formation, avait bifurqué vers l’alimentation vivante et les soins naturels, dont elle me vantait les bienfaits. C’était un volet sur lequel je ne m’étais pas encore penché mais, m’étant renseigné sur le jeûne, je fus réceptive à ses propositions. Elle possédait de grandes qualités d’écoute et une réelle empathie, et nos conversations étaient aussi intéressantes qu’enrichissantes. Son discours était tantôt ésotérique tantôt terre-à-terre et les deux me convenaient.

Elle prônait un retour à l’essentiel et encourageait ses patients à faire appel à des médecines alternatives, dont les traitements englobaient aussi bien le corps que l’esprit. J’aimais cette vision holistique, souvent rejetée par la médecine allopathique, car elle ne laissait rien au hasard, qu’il s’agisse de l’enveloppe corporel, du cœur ou de l’âme. Depuis que j’avais décidé de me soigner, j’étais prête à tout tester. Rebirth, ostéopathie, méditation, nettoyage énergétique, micro-kiné, stage de yoga, détox, jeûne intermittent, aux jus, à l’eau, à sec, retraite silencieuse... qu’importe la méthode, j’étais persuadée, qu’un jour, quelque chose finirait par fonctionner.

Son soutien m’aida énormément pendant des mois, même si, je dois le reconnaître, elle ne réussit pas à reproduire le miracle que Nicolle avait provoqué, deux ans auparavant. J’étais toujours boulimique et toujours empressée. Je voulais grandir, évoluer, progresser et, pour cela, j’avais tendance à vouloir aller plus vite que la musique. À chacun de nos échanges, Véronique de Sainte Marie me temporisait et me répétait qu’il ne fallait pas espérer tout changer du jour au lendemain, mais avancer petit à petit.

— Même si vous faîtes trois pas en avant et deux en arrière, l’important c’est de poursuivre le chemin.

J’entendais ce discours. Néanmoins, je lui rappelai qu’il y avait urgence et que je me sentais en sursis. Je voulais une solution aussi rapide qu’efficace, peu importe le prix et les efforts que je devais fournir pour y arriver. Mais Véronique, qui n’était probablement pas convaincue par les thérapies expresses, au résultat de courte durée, me ramenait chaque fois à la réalité :

— Votre dernier sevrage a été un miracle, mais il n’a pas duré. Il va falloir quitter vos illusions si vous vous guérir vraiment. Cela prendra peut-être plus de temps, mais lorsque vous y arrivez, ce sera définitif.

Son rôle fut important dans ma vie, car, au-delà de ses conseils avisés, elle m’apporta l’une des clefs les plus précieuses de mon parcours de santé mentale. Comme nous ne vivions pas au même endroit, nos entretiens avaient lieu par téléphone. Un jour, lors de l’une de nos séances à distance, elle me déclara :

— Vous savez Caroline, j’ai un livre à vous recommander.

— Ok, je vous écoute. Lequel est-ce ?

Des livres, ces dernières années, j’en avais déjà pas mal écumé. Je reconnaissais sans difficulté leurs bienfaits et les considérais comme les meilleurs médicaments du monde.

— Conversation avec Dieu, de Neale Donald Walsh.

J’avais la foi mais la religion m’horripilait. Elle dut sentir mon manque d’engouement, car elle ajouta :

— Lisez-le, vous verrez, ça vous fera du bien.

Je m’étais éloignée de la religion depuis des années. Cette dernière comportait trop de règles que je trouvais sclérosantes. Le bien, le mal, l’Enfer ou le Paradis, et même le pardon, surtout le pardon, tout cela ne me convenait pas. J’y étais entrée pour trouver des réponses mais, malgré mes recherches, les questions que je m’étais posées tout au long de ma vie, et que je me posais encore, au demeurant, restaient toujours intactes. En dépit de cela, je restais assoiffée de spiritualité. Ma foi en une force supérieure ne cessait d’augmenter et je ne désespérais pas d’avoir enfin accès à des explications réalistes et pertinentes quant au sens de la vie et de notre venue sur Terre. J’avais bien conscience d’avoir une mission, mais trop de paramètres continuaient à être incertains et se noyaient dans le floue artistique de mon existence chaotique. Je savais ce que je devais accomplir, mais n’avais pas la moindre idée de comment y parvenir. Je voulais un mode d’emploi. Clair, simple et détaillé.

Ainsi, j’étais toujours à l’écoute lorsque l’on me conseillait un livre de développement personnel et acceptai volontiers de me procurer l’ouvrage en question. Depuis des années, j’avais la conviction qu’un élément m’échappait et, lorsque j’eus le bouquin entre les mains, je sus que j’avais enfin trouvé ce que je cherchais.

Dès les premières lignes, je pleurai. Je tournai les pages avidement, les joues inondées de larmes, le cœur et l’âme touchée comme jamais. C’était donc ça. Contrairement à ce que ma mère m’avait enseignée, contrairement à ce que j’avais longtemps pensé de la vie, cette dernière n’était pas là pour nous faire souffrir. Nous n’avions pas été mis sur Terre pour subir et enduré, mais pour créer.

Nous étions des créateurs, des co-créateurs, plus exactement, en partenariat avec l’Univers, cette entité supérieure à laquelle j’adhérais complètement. Ça peut paraître anodin, mais le concept était novateur pour moi, en tout cas, ainsi expliqué. On m’en avait déjà parlé, mais je n’avais pas mesuré l’ampleur que contenait cette révélation.

Les pensées créent la réalité.

Au début de la vie, nos pensées sont issues de notre environnement, diffusées en continu par notre famille, nos amis, nos professeurs, nos éducateurs, et plus globalement, la société. Mais, rapidement, elles s’ancrent en nous comme une base de données. Alors, ces pensées extérieures nous définissent, comme si elles nous appartenaient. On se les approprie sans les remettre en cause, les prenant pour acquis. Elles deviennent certitudes et, au fil du temps, nourrissent notre personnalité. Et en forgeant notre caractère, elles prennent la forme de filtres, divers, multiples et variés, qui vont colorer notre vision de la vie.

Mes pensées créent ma réalité.

Waouh.

J’en tombais presque de ma chaise.

Chaque pensée, chaque idée et chaque parole prononcée, avaient un rôle énorme dans ma vie, qu’il s’agisse de mon présent, par la façon dont elles impactaient mon énergie, ou de mon futur, lequel allait forcément se manifester selon mes attentes, conscientes, ou inconscientes.

Tout un programme.

J’étais de nature optimiste mais finalement, je découvris que je possédais encore énormément de croyances toxiques et limitantes en moi. Comment m’en suis-je aperçue ? En m’écoutant penser et en les notant sur un bout de papier. Alors, sous mes yeux effondrés, je lus ce que je croyais réellement à propos de moi et de ma vie.

Tu finiras seule comme ta mère.

Tu n’es qu’une pute, personne ne voudra jamais de toi.

Tu as raté ta vie.

Les hommes ne s’intéressent à toi que pour ton cul.

Tu es une mauvaise mère et un mauvais exemple pour ta fille.

Quand elle saura la vérité, elle se détournera de toi.

Quand tu ne pourras plus vendre ton cul, tu ne serviras plus à rien.

33 ans ? Tu commences à être vieille. Tu n’intéresseras bientôt plus personne. C’en est presque fini pour toi.

Ton ex a refait sa vie mais si toi, tu ne l’as pas fait, c’est que tu n’es pas aimable.

Il avait raison. Il a gagné.

Et cela continuait sur des lignes et des lignes. Peu importe que l’origine de ces phrases viennent de ma mère, de mon père, de Grégory ou de la société, le résultat demeurait le même : j’en avais fait ma carte de visite. J’étais une ratée. Je découvris combien j’étais dure avec moi-même. Je ne me passais rien, ni physiquement, ni moralement, ni intellectuellement. J’avais également toutes sortes d’a priori tenaces qui ne dataient pas d’aujourd’hui et remontaient à mon enfance. Je n’avais pas conscience de les cultiver au quotidien, mais en réfléchissant de plus près à ce que je ressentais à l’intérieur, en allant creuser du côté de mes peurs, en m’écoutant penser encore plus attentivement, je pouvais débusquer un certain nombre de croyances ancrées depuis des lustres :

Les hommes ne sont pas fiables.

On ne peut pas leur faire confiance, ni compter sur eux.

D’ailleurs, la plupart trompent leur femme, car ils sont tous obsédés

Ils sont menteurs et égoïstes

Ils ne pensent qu’à eux

Ils fuient leurs responsabilités

Etc.

La liste se révélait quasiment infinie. Après les hommes, tous les sujets furent traités. Qu’il s’agisse d’argent (en avoir, c’est mal/ les riches ne sont pas des gens honnêtes), de santé (mieux vaut être mince qu’en bonne santé/ plus je serais mince, plus je serais aimée), de nourriture (la gourmandise est un péché), de sexe (tabou/ impur), du monde (dangereux), ou de la société (qui va de plus en plus mal), à l’instar de beaucoup de mes contemporains, j’étais littéralement pétrie de fausses convictions. Mais comme je n’y avais jamais réellement prêté attention, ces dernières agissaient à leur guise, en souterrain et me contrôlaient sans que je n’en sache rien.

Jusqu’à aujourd’hui, donc.

Le point positif de cette hécatombe de pensées anxiogènes, c’était qu’elles pouvaient être modifiées. Le livre de N.D.W. était clair sur un point. Chacun d’entre nous, sans exception, pouvait transformer sa réalité en changeant ses pensées. Cependant, ce n’était pas une mince affaire. C’était comme reprogrammer la centrale d’un ordinateur. Il fallait modifier tout le système interne défectueux, tous les logiciels obsolètes, et nettoyer tous les virus qui s’y étaient immiscés depuis des années, depuis de très très longues années. Je devais m’upgrader.

Autant dire que j’avais du boulot. La tâche était énorme, mais pas impossible, l’espérai-je. Étant fondamentalement positive, je décidai de tenter le coup. Qui ne tente rien n’a rien, après tout. Cette maxime n’était qu’une croyance, mais au moins, celle-ci me tirait vers le haut, je pouvais la garder. Les seules dont je devais me débarrasser représentaient toutes celles qui me tiraient vers le bas. Il était facile de les reconnaître. Les premières me rendaient heureuse, les secondes me plombaient.

Lors de notre entretien téléphonique suivant, je parlais du livre à Véronique et de l’effet qu’il avait sur moi. D’ailleurs, dans la foulée, j’avais enquillé sur les deux tomes suivants, que j’avais dévoré avec la même frénésie. Ravie, elle m’expliqua néanmoins qu’elle ne pourrait pas aller plus loin avec moi, car mon évolution ne relevait plus de ses compétences. Consciencieuse, elle me recommanda une personne qui vivait en Bretagne, et qui pourrait sûrement m’apporter toute l’aide dont j’aurais besoin pour avancer dans mon projet de transformation. Reconnaissante, je notai le contact de Marianne Joie de vivre, ainsi que cette thérapeute se faisait appeler sur son pseudo internet.

Je n’eus pas le temps de prendre rendez-vous. De la joie de vivre, il n’était plus question. Quelques jours plus tard, un proche se suicidait.

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