Chapitre 106 : Autodidacte

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En mars 2020, le Covid nous confina. Le modèle réduit de notre maison de rêve était presque terminé. Les vapeurs de la glue super forte que j’utilisais pour assembler mes fournitures miniatures m’obligèrent à mettre sur pause sa fabrication. À force de passer des heures à renifler ce produit toxique, j’avais déclaré une réaction allergique.

Or, je devais continuer à m’activer. Qu’un évènement extérieur, comme un virus mutant, ou qu’un problème de santé, comme mon intolérance à la glue, survinssent, rien ne pouvait m’arrêter. Depuis octobre 2019, j’étais tout le temps en mouvement.

Comme j’avais été parachutée maîtresse d’école pour ma fille en CE1, je me mis à un autre type de collage, moins dangereux, puisque j’utilisais des tubes UHU, bien moins agressifs pour les muqueuses de mon nez. Je m’adonnais donc à mon nouveau passe-temps : créer des tableaux de vision. Le principe était simple. Il s’agissait de réunir sur un morceau de carton, de type calendrier de la banque, des images et des phrases inspirantes. Mais comme les tableaux furent vite remplis, je m’attaquai rapidement à la réalisation d’un mur de vision. Pour ce faire, je punaisais, sur un pan de ma cuisine, une immense nappe blanche en papier, sur laquelle j’affichais tout ce que je désirais pour notre avenir.

Quand la nappe fut complète, que des mood board petits et grands ornèrent chaque pièce de la maison, ou presque, je me mis à décorer mes cahiers. Tandis que ma fille faisait ses devoirs envoyés par l’école, je m’attablais avec elle, et je faisais mes devoirs envoyés par l’Univers. Ce dernier m’avait enseigné qu’être en action était la clef de ma résurrection, notamment lorsque je privilégiais les activités qui m’apportaient de la joie. Pour autant, le repos n’était pas interdit, mais il était l’heure pour moi de mettre à profit toutes les idées qui bouillonnaient en moi. Je devais les faire sortir de ma tête et faire le tri entre toutes les informations que j’avais accumulées ces dernières années. J’avais besoin de clarté. J’avais tellement ingurgité de concepts que je devais me recentrer. Je devais apprendre à canaliser mon énergie, prioriser mes envies, planifier mes intentions.

Quelles étaient mes réelles attentes ? Qu’étaient devenus mes rêves enfouis ? Comment et où me voyais-je dans dix ans ? Si je voulais sortir de la boulimie et de la prostitution, par quoi allais-je les remplacer ? Y avait-il matière à croire en mes capacités d’auteure ou n’était-ce qu’un feu de paille que j’avais pris pour un feu de joie ? Plus je m’adonnais à la confection de mes cahiers grand format, plus les choses se mettaient en place dans ma tête. Je triais et rangeais mes idées, et comme je libérais de la place dans mon cerveau pour autre chose, je commençais à me sentir moi aussi allégée d’un poids. Je traçais ma route, dessinais mon chemin.

À l’instar de n’importe quelle personne approchant de la quarantaine, un bilan s’imposait. Cette introspection imagée m’y aidait. C’était maintenant ou jamais. Je devais caler une date butoir, me fixer un objectif précis. Si je voulais sortir de la prostitution, je devais l’encrer sur du papier pour m’ancrer dans ma future réalité. Je décidai donc de choisir cette fameuse année charnière de mes quarante ans. En me laissant une marge pour me retourner, je ne me mettais pas trop la pression. Et, dans le même temps, cette deadline réaliste, pas trop lointaine, nécessitait que je me misse au boulot.

Je n’écrivais toujours pas, hormis des tonnes de lignes dans mes journaux intimes. Je les noircissais à une cadence effrénée, tantôt pour explorer le passé, tantôt pour remercier pour le présent, tantôt pour imaginer l’avenir dans des visualisations créatrices. En dehors de ça, je continuais à passer des heures à peaufiner mes cahiers de vision, et quand je ne le faisais pas, je me lançais dans la construction de puzzles de mille pièces sur la table de la cuisine, libérée de la maison miniature presque terminée. Les puzzles équivalaient à une séance de méditation et m’apaisaient.

Je faisais toujours des crises de boulimie, mais je contrôlais mieux leur fréquence. Je veillais juste à ne pas m’appesantir dessus, à ne pas me reprocher d’avoir « encore cédé à la tentation ». Elles étaient là pour une raison. M’auto-flageller n’allait pas m’aider à les éradiquer. Même si elles m’inquiétaient par rapport à ma santé, j’évitais de me focaliser dessus. Qu’importaient mes échecs, je ne pensais qu’à mes réussites. Ce que je ne pouvais pas changer, je l’acceptais pour le moment. Je suivais toujours un principe essentiel du développement personnel :

Concentre-toi sur ce que tu veux, pas sur ce que tu ne veux pas.

Le principal était de cultiver des vibrations élevées. Je persistais donc à orienter toute mon énergie vers ce qui me faisait du bien et vers les activités qui me permettaient d’exprimer ma créativité, vers tout ce qui m’apportait de la joie. Je mettais la musique à fond pour tout ce que j’entreprenais. Sur son rythme entraînant, je dansais (mal) et chantais (faux), en préparant le repas, en étendant le linge ou en rangeant mes vêtements.

Un jour, par « jeu », je décidai d’aller plus loin. Je me lançais dans la réalisation de mini-conférences privées. J’enregistrais certaines sur des applications de notes vocales, sur mon smartphone, ou je réalisais des vidéos dans lesquelles je me mettais en scène comme une véritable oratrice. J’avais l’air stupide mais le ridicule ne tue pas. Personne ne me voyait. Et l’Univers bienveillant ne se moquait pas de moi. Au contraire, il m’encourageait à croire en mes rêves.

Confiante, je me postais alors devant mon miroir et je parlais à des gens imaginaires en leur racontant comment les difficultés de mon chemin m’avaient permis d’en arriver là. Là, c’était devant eux, sur une estrade dans une salle, ou sur une scène face à des spectateurs assis. Je rentrais dans le costume fictif d’une conférencière, spécialisée en développement personnel et spirituel, celui d’une coach en motivation haranguant les foules à donner le meilleur d’elles-mêmes. Je visualisais si bien le moment que j’avais le sentiment d’y être réellement.

D’ailleurs, je n’étais pas qu’une coach virtuelle. J’enfilais aussi ce costume lors de mes séances de massage érotiques.

À la fin du confinement, je repris mon activité. Dynamisée par cette longue pause de presque trois mois, je retrouvais mes clients avec beaucoup d’enthousiasme. J’avais passé plusieurs semaines enfermée avec une enfant de huit ans, alors, je n’étais pas mécontente de retrouver des adultes avec qui je pouvais avoir des sujets de conversation un peu plus matures. Je profitais de ces retrouvailles pour m’exercer en tant que coach sur mes clients.

Ces derniers ne venaient pourtant pas me voir pour être remis sur pieds. Mais je l’avais décidé ainsi, il y avait déjà très longtemps, au tout début de ma carrière. J’avais toujours eu ça en moi. Alors, même s’ils ne s’y attendaient pas, les hommes qui avaient recours à mes services ne repartaient jamais sans avoir reçu une bonne dose d’encouragement. Durant mes « consultations », je les félicitais et les réconfortais. Les massages détendaient leurs corps, mes paroles touchaient leur cœur. Comme à mes débuts, je ne considérais pas que je recevais des clients, mais des patients. Je me qualifiais d’ailleurs de moins en moins comme masseuse érotique, et davantage comme praticienne bien-être et, bien sûr, je le vivais comme tel.

Fake it until you make it.

Quand un homme arrivait chez moi, je me faisais un devoir de le remettre dehors en meilleur état qu’il n’était rentré. Je ne voulais pas être qu’une pute. Je m’envisageai comme un SAV. Je ne savais jamais à l’avance ce que j’allais réparer. J’étais toujours curieuse de le découvrir à chaque début de rendez-vous. Ces hommes blessés par la vie ne le savaient peut-être pas, mais leur visite à mon domicile n’était pas le fruit du hasard. Je croyais aux synchronicités, alors je tendais l’oreille pour savoir ce qui se cachait derrière leur demande de sexe. Je pouvais les faire jouir pour atténuer une certaine frustration, mais le plus important était le message que j’allais leur divulguer.

Je n’étais jamais avare de compliments. Comme nous tous, ils en avaient besoin. La plupart débarquait à la maison avec un réservoir émotionnel complètement à sec. J’essayais de leur communiquer mon enthousiasme, puisque, comme toute émotion positive, celui-ci était contagieux. Assoiffés d’amour et de tendresse, mes clients me rappelaient Valentin, l’un de mes maîtres de stage à la radio, à l’époque de mes vingt ans. Nous avions partagé une nuit et il avait dormi entre mes bras, dans l’unique but de recharger ses batteries. Je m’étais alors perçue comme une station-service, même si je l’avais fait gratuitement. Désormais, je le faisais toujours bénévolement, en sus de ce que l’on me demandait. On me payait grassement, mais pas encore pour ça.

Un jour, je l’espérais secrètement, peut-être serais-je rémunérée pour ma contribution ?

Malgré le contexte de mon métier, agir ainsi, avec bienveillance, apportait du sens à ce que je faisais. Mon travail s’en trouvait magnifié. Une corrélation existait entre le physique et le psychique. À mon petit niveau, j’avais à cœur de réunir les deux.

« mens sano in corpore sana »

À l’instar de ce que mon détenu avait fait avec moi, durant de nombreuses années, je reboostais les hommes qui en avait besoin. Le flambeau était passé. Et j’étais sûre, à présent, qu’avec toutes mes connaissances en développement personnel, l’élève avait dépassé le maître. Autodidacte, mais ultra-compétente. Mes clients me le confirmaient. Ils repartaient plus légers et avec le sourire. Après la séance, je recevais souvent des messages me remerciant pour la qualité de ma prestation, pour la détente ressentie, pour l’écoute et l’attention que je leur avais offertes.

Tous n’étaient pas réceptifs à ma façon de procéder, mais certains en conçurent une réelle reconnaissance à mon encontre. Chaque retour positif était la preuve que derrière la vacuité de mon job, je réussissais à créer du lien, à renforcer notre humanité. J’étais faite pour cela. C’était ma vocation. Bien sûr, je ne révolutionnais pas leur vie, mais j’avais un rôle à y jouer. Des tas de petits miracles se produisaient jour après jour. Cette facette de mon métier était si gratifiante. C’est probablement LA raison pour laquelle j’aimais tant cette profession particulière.

Un excellent moyen de se soigner soi-même est de guérir autrui. Cela me procurait un bien-être immense et m’insufflait énormément d’énergie, pour continuer à travailler dans les meilleures conditions, en attendant la suite, en attendant le jour où, en tant que coach, je ne ferais plus comme-ci.


« Mens sano in corpore sana » = un esprit sain dans un corps sain.

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