Chapitre 107 : L’espoir

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En tant que coach, ma cliente préférée demeurait ma fille. Je la briefais depuis le jour de sa naissance. Je testais sur elle les effets de la pensée positive, lui apprenais les bienfaits de la gratitude et lui enseignais, par imitation, comment croire que tout était possible. Pour cela, il suffisait d’aller de l’avant, malgré les difficultés. Je la modelais à mon image, celle d’une personne résiliente, que rien n’arrêtait. Je lui appris à changer son discours intérieur lorsqu’elle nourrissait des croyances limitantes. Je lui faisais remarquer que les déconvenues qu’elle rencontrait avec ses amies étaient issues de sa propre façon de penser. Je mettais le doigt sur sa responsabilité dans la création d’un problème. Mais je lui expliquai aussitôt que tout problème avait sa solution et qu’en tant qu’actrice de sa vie, elle pouvait forcément y remédier.

Je faisais pareil avec mes amies, mes connaissances, mes contacts Facebook, mes followers Instagram. Je distillais des conseils et des pistes de réflexion, ceux dont je m’imprégnais depuis des années et qui étaient devenus, pour moi, une seconde nature. Je me sentais utile. Cela était d’autant plus vrai que je recevais constamment des messages de personnes plus ou moins proches qui m’écrivaient que notre dernière conversation les avait beaucoup aidés. Ils me disaient que les mots que j’avais prononcés les avait touchés, leur avaient ouvert les yeux. Que j’étais à l’origine d’une impulsion, d’une transformation en cours. Je les voyais prendre conscience de leur réel potentiel, uniquement parce qu’un jour, quelqu’un leur avait donné la possibilité de s’ouvrir à un avenir meilleur et d’y croire. Et ce quelqu’un, c’était moi.

Pendant des mois, je semais des graines pour les autres, en espérant les voir fleurir un jour. Cependant, en mai 2021, la personne qui avait aussi besoin d’être complimentée, félicitée et encouragée, c’était moi. Or, je ne montrais jamais mes faiblesses, mes coups de mou, mes moments difficiles. Personne ne pensait que j’avais besoin d’être épaulée. Pourtant, ce fut bien le cas. Nous approchions du mois de juin, et de son chiffre fatidique, le 29, date à laquelle mon frère avait perdu la vie. Je ressentais toujours un vague à l’âme à cette période-là. J’avais arrêté ma dernière thérapie presque cinq ans auparavant. Il était temps, à présent, de repartir à l’assaut de mes vieux démons.

Je venais de fêter mes 39 ans. Il me restait objectivement un ou deux ans pour concrétiser mon grand changement de vie. J’espérais trouver quelqu’un de compétent pour y contribuer. Si jusqu’ici, je n’avais pas ressenti le besoin de reprendre une thérapie, je sentais que le moment était venu. Je devais mettre un gros coup de collier à mon projet de transformation personnelle. Après des années à laisser toutes mes nouvelles connaissances infuser en moi, j’étais prête à passer à la vitesse supérieure.

J’étais confiante. Ne dit-on pas : quand l’élève est prêt, le maître arrive ?

En tapant sur Google, je tombai sur l’annonce de Stéphanie, thérapeute et professeure de méditation, autant dire, un profil parfait pour moi. Ni une, ni deux, je l’appelai. Le premier contact, très agréable, me séduisit. La douceur et la gentillesse de sa voix me convainquirent. Je pris rendez-vous dans la foulée, pour la rencontrer quelques jours plus tard. J’avais hâte.

Quand je la découvris pour la première fois, je remarquai son élégance naturelle et son style vestimentaire très tendance. C’était amusant, car nos looks se ressemblaient. Puis, je découvris que les similitudes ne s’arrêtaient pas là. Nous avions en commun nos modes de pensées aussi. Elle était dans la même veine que toutes les thérapeutes que j’avais rencontrées auparavant, adepte des médecines alternatives et d’une approche holistique. Nous partagions les mêmes convictions sur l’existence de l’Univers et sur les liens de co-création qu’ils existaient entre les humains et une force supérieure. Elle était plus axée sur les philosophies orientales. Je le compris à la décoration zen de son cabinet de consultations, aux figurines de bouddha qui trônaient dans l’espace de méditation, et lorsqu’elle évoqua le karma.

Personnellement, même si je demeurais allergique aux religions monothéistes, que je jugeais trop sectaires, j’aimais certains préceptes du bouddhisme et de l’hindouisme. Je n’adhérais pas à la totalité mais, sur moi, les bienfaits de la méditation n’étaient plus à prouver. C’est l’une des pratiques les plus efficaces et les plus abordables pour quiconque voulait améliorer son quotidien. Qu’il s’agisse du jeûne ou de la méditation, deux pratiques entièrement gratuites et réalisables sans aucun moyen matériel, je savais désormais que l’être humain était pourvu de toutes les ressources nécessaires pour s’auto-guérir à moindre frais. La guérison était à la portée de chacun, pour quiconque souhaitait s’en donner la peine.

Les livres nous attendaient dans les bibliothèques municipales. Six minutes de lecture abaissaient considérablement le niveau de stress et lire un bon roman avant de dormir, était l’assurance de se lover en douceur dans les bras de Morphée. Les balades si régénérantes dans la nature demeuraient accessibles à toutes les bourses. Et que dire des spectacles gratuits que représentaient les couchers ou les levers de soleil, et de manière générale, les paysages qui nous entouraient ?

Je suivais depuis longtemps, et ce sans le savoir à une époque, les enseignements de Henri-David Thoreau, un philosophe et naturaliste américain, dont j’adorais les écrits, et que Guillaume m’avait fait découvrir au temps de notre romance. Thoreau avait bâti sa carrière en prônant la même chose que moi : les bienfaits de la solitude, qu’il avait expérimentés lors d’une retraite de deux ans dans les bois. La croyance en notre capacité à réaliser nos rêves qu’il avait décrit dans son œuvre Walden : « si un être avance en direction de ses rêves, et s’efforce de vivre la vie qu’il a imaginée, en temps ordinaire, il connaîtra un succès inespéré ». Et, bien sûr, le rôle essentiel, sur notre santé mentale, de cette magnifique nature qu’il chérissait tant, le « tonique de la vie sauvage », comme il l’appelait. L’homme avait inspiré Gandhi et Martin Luther King lors de la lutte contre la ségrégation raciale, à l’époque de la défense des droits civiques. J’étais à bonne école avec un tel personnage.

Nous étions bénis. Tout nous était offert sur un plateau d’argent. Nous avions tellement perdu le sens des réalités, et de nos priorités, que la plupart d’entre nous se montraient insensibles à toutes ces merveilles, à tous ces dons. On me disait perchée, mais plus j’avançais sur mon chemin de croix, plus je me trouvais parfaitement sensée. J’étais simplement au diapason de mon environnement, profitant allègrement de tout ce que la vie m’offrait, sans rien me demander en retour. J’aurais été bien ingrate de ne pas reconnaître cette générosité.

Stéphanie partageait mes convictions profondes. Elle aussi était dans la gratitude, la tolérance et l’ouverture d’esprit. En sa présence, je me sentis aussi à l’aise qu’avec une amie de longue date. Non, plus à l’aise, évidemment, car à certains de mes vrais amis, je mentais encore. Je taisais toujours la boulimie et la prostitution, honteuse. Mais avec Stéphanie, tout était différent. Son aura me mit d’emblée en confiance.

Lorsqu’elle me demanda les raisons de ma venue, je n’omis rien. Ni mon parcours déjà bien chargé en thérapies de toutes sortes, ni mes différentes tentatives de sevrages, ni mon métier sulfureux, ni mes compétences en développement personnel, acquises en autodidacte. Je lui relatai aussi tous mes échecs amoureux, mes deux mariages suivis chacun de divorces, mes trois avortements, le rejet de Stéphane, le suicide de Guillaume. Ce dernier, qui me manquait tant et dont j’avais l’impression de ne pas avoir fait le deuil. Je passai d’ailleurs toute la séance à pleurer. À pleurer sur mon sort, sur ma vie de merde, sur mes épreuves multiples et variées, sur cette succession de déceptions, de frustrations, de colères. Colère envers ma mère, qui ne m’avait pas aimée comme je l’aurais voulu ; colère envers mon père, qui s’était comporté tel un gamin irresponsable plutôt que comme un homme fiable sur qui on aurait pu compter ; colère envers guillaume qui ne m’avait pas réclamé d’aide. Son silence avait été pire qu’un désaveu. Et enfin, colère envers mon frère qui m’avait abandonnée si jeune, alors que j’avais tant besoin de lui à mes côtés, pour survivre à notre famille de déséquilibrés.

Une fois que j’eus écopé tout mon stock de larmes disponible pour la séance, j’écoutais Stéphanie me présenter son travail, bercée par sa voix douce et mélodieuse. Enfoncée profondément dans le canapé moelleux, j’aurais presque pu m’endormir, tant sa présence m’apaisait. Durant la dernière partie de notre rendez-vous, Stéphanie s’évertua à me distiller de l’espoir. C’est vraiment le mot que je retiendrai de cette première rencontre. Une heure et demi passa sans que je m’en rendisse compte. Je la quittai avec un grand sourire, malgré mes yeux rougis.

J’avais déjà hâte d’être à la semaine suivante.







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