Chapitre 113 : Les nouvelles fondations

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Le soir de mon retour de vacances, je mangeais donc sain... Puis je me mis à écrire. Des lecteurs attendaient la suite des aventures de Gwen et Erwann. Je ne savais pas de quoi le lendemain serait fait. J’avançais heure par heure. À chaque jour suffisait sa peine, comme on dit. Je ne voulais pas tirer de plan sur la comète, c’était trop terrifiant. Un seul constat : je n’étais plus dans l’urgence qui caractérisait les accros à un produit.

Dans la voiture, sur le chemin qui me menait à ma vie future, j’avais agi en conscience et non pas réagi. Mon comportement n’était plus dans la ré-action, une manière impulsive de fonctionner, mais dans l’action, issue d’une façon de faire et de penser plus réfléchies. Il s’agissait de deux choses complètement différentes. La première s’avérait souvent dévastatrice, car dictée par nos traumatismes enfouis, tandis que la seconde, fruit d’un raisonnement et d’une volonté, demeurait créatrice.

Créer ma vie, ne plus la subir, voilà ce qui caractérisait mon prochain défi.

À partir de ce moment-là, chaque journée supplémentaire s’accompagnerait d’un choix éclairé, d’une décision mesurée, d’une réaffirmation quotidienne entre la possibilité de retourner à ma vie d’autrefois, bancale, mais connue, et celle, plus terrifiante, de me projeter en avant. Physiologiquement, plus je m’éloignais de ma dernière crise, plus je quittais le mode survie, l’état d’alerte constant dans lequel j’avais baigné durant des années, presque durant des décennies. L’emprise restait désormais principalement psychologique. Et cela, j’allais le travailler avec Stéphanie.

Lorsque je revins la voir, à la rentrée, je lui parlai de mes réussites, de ces jours que je comptais et recomptais, comme un pèlerin le ferait avec les perles de son chapelet. Ce gros succès enthousiasma Stéphanie. Admirative, elle avait pu constater, au fil des semaines, la bataille que je menais au quotidien face à ces troubles du comportement alimentaire.

Elle le fut encore plus quand, dans la foulée de cette victoire sur mon addiction, je lui partageai une autre décision, prise à mon retour de vacances, concernant mon métier. Je lui expliquai :

— En voulant réactualiser mes deux annonces, l’une d’entre elles ne fonctionnait plus. Elle a encore été virée par les modérateurs, sans raison particulière.

Ce n’était pas la première fois que cela arrivait, et d’ailleurs, durant les deux précédentes années, cela s’était répété de plus en plus fréquemment. Mais comme à chaque fois, en insistant, j’avais toujours réussi à la reposter, je n’avais pas pris la mesure du message qui se cachait derrière ce refus. Jusqu’à récemment.

— Au début, j’ai paniqué. C’est l’annonce qui m’apporte le plus de clients. Sans elle, je vais travailler beaucoup moins. Et puis, j’ai réfléchi. Ai-je besoin de travailler autant ? J’écris énormément le week-end, mais la semaine aussi, en plus de mes rendez-vous. Ça me fait des journées bien remplies. Je n’ai plus de vie sociale, plus de temps libre, plus de loisirs. En dehors des activités avec ma fille, je bosse tout le temps. La dernière fois que j’ai ouvert un bouquin remonte à des semaines. Ça fait des mois que je suis à fond, toujours pied au plancher. Si je pouvais ralentir, cela me soulagerait. Alors, quand j’ai vu que mon annonce avait été dégagée, j’ai aussitôt repensé à un évènement qui m’est arrivé en Bretagne, cet été. J’ai été flashée sur la voie expresse, en allant visiter le phare du Petit Minou. Cela faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé et sur le coup, j’ai essayé de comprendre ce que cela signifiait, hormis que je roulais trop vite. Mais je n’ai pas trouvé. Maintenant, je sais. L’Univers me conseillait de lever le pied, notamment dans mon job.

Friande de synchronicités, Stéphanie opina du chef et assentit à ma suggestion de ne pas forcer les choses et de voir ce qui se passait. Il n’y avait pas d’urgence. Je pouvais travailler moins, surtout si cela me permettait de consacrer davantage de temps de qualité à l’écriture de mon récit. Certes, je gagnerais moins d’argent mais, en réduisant mes heures de présence en tant que masseuse érotique, je devenais auteure à temps partiel, et ça, pour moi, ça n’avait pas de prix. C’était ce que je désirais plus que tout, aujourd’hui. Malgré ma crainte légitime de perdre les avantages liés à mon activité, c’était une évolution positive. Et comme elle était progressive, cela rendait ma nouvelle situation peu déstabilisante. En agissant ainsi, il y avait moins de risques que je panique et que je fasse machine arrière. Au contraire, je me sentais vraiment satisfaite à l’idée d’aller de l’avant par étapes.

Plus d’un an que je consultais Stéphanie et que de changements ! À raison d’un rendez-vous hebdomadaire, ces résultats se montraient à la hauteur de nos attentes. C’était vraiment gratifiant, pour l’une comme pour l’autre. Je la considérais comme celle qui m’avait sauvé la vie et qui, à présent, contribuait à m’aider à atteindre mes rêves. Certes, elle ne faisait « que » son travail, mais quel travail ! Quel accompagnement de qualité, quel investissement !

J’éprouvais tellement de gratitude que l’Univers m’ait envoyée vers elle. J’avais été guidée, j’en avais la certitude. Pour autant, je n’en avais pas la preuve. Il ne s’agissait que d’une forte intuition, de celle que l’on ne peut remettre en doute, comme une évidence, presque un fait établi. Stéphanie m’avait tant apporté depuis que nous nous connaissions. D’ailleurs, j’avais le sentiment de bien la connaître désormais. En la retrouvant chaque semaine, je savais toujours à quoi m’attendre : son sourire bienveillant, son visage rayonnant, sa voix mélodieuse et apaisante...

Voilà pourquoi, lorsque je revins la semaine suivante, je fus étonnée de la voir démarrer notre rendez-vous avec un sérieux inhabituel. Non pas qu’elle eut l’habitude de m’accueillir par une fanfaronnade et des roulements de tambour mais, là, je la trouvai particulièrement songeuse, presque inquiète. Son visage affichait un air fermé, un peu trop sérieux. À tel point que je crus même avoir fait une connerie. J’attendais la suite avec circonspection, curieuse.

Avec beaucoup de solennité, Stéphanie se déplaça dans la pièce pour refermer la porte d’entrée, éteindre son ordinateur et mettre son téléphone en silencieux. Puis, elle me demanda si elle pouvait s’asseoir à côté de moi, ce que j’acceptai.

— Un peu avant l’été, à l’occasion de la date anniversaire de la mort de votre frère, nous avons fait une séance qui a ravivé bon nombre de douleurs du passé. Vous vous souvenez ?

Je me rappelais parfaitement de ce rendez-vous. Je repensai au spleen traditionnel qui m’avait envahie à l’approche de cette triste célébration. Stéphanie m’avait alors proposé de travailler sur l’évènement tragique qui avait causé tant de dégâts dans ma vie. Une séance particulièrement difficile. Ressentir à nouveau la terrible vague émotionnelle qui avait déferlé sur moi, la même que celle que j’avais dû affronter seule, à quatorze ans, avait été aussi pénible que nécessaire. J’en étais ressortie secouée, mais profondément apaisée. J’avais éprouvé une réelle libération en revivant cet épisode maudit à côté de quelqu’un de bienveillant et en partageant avec elle ce poids trop lourd à porter. J’acquiesçai donc, toujours sur la réserve. Stéphanie poursuivit :

— Je vous ai alors demandé la date exacte du décès de votre frère. Vous vous rappelez ?

J’opinai à nouveau du chef.

— Le 29 juin 1996, reprit-elle. Je vous ai ensuite questionné sur les circonstances de l’accident et vous me les avez données. Et depuis, j’ai compris quelque chose. Je n’en étais pas sûre au début, voilà pourquoi j’ai attendu un peu, mais aujourd’hui, je le suis. Puis-je vous faire un dessin, Caroline ?

Je lui donnai mon accord et la regardai tracer un plan sur une feuille de papier.

À l’aide de son crayon de bois, elle représenta un carrefour, tout en me le décrivant à l’oral, avec précision. Disant cela, elle était calme et me regardait dans les yeux. Ensuite, elle m’informa que son dessin représentait les lieux de l’accident de mon frère. J’avais déjà reconnu l’endroit avant qu’elle ne s’explique mais, malgré cela, je ne comprenais pas l’objectif de son croquis. Et je ne comprenais pas non plus d’où venaient certaines informations qu’elle me communiquait, des informations que je n’avais jamais évoquées avec elle lors de la séance concernée. Enfin, une fois le schéma achevé, elle posa son crayon et me prit la main, toujours après avoir sollicité mon accord.

Et elle lâcha sa bombe, quoique de la manière la plus douce possible :

— J’y étais, Caroline.

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