Chapitre 121 : Les prototypes, partie III

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En avril, je changeai de site de rencontres et m’inscrivis sur Élite, sur lequel je rédigeai une nouvelle présentation tout aussi fleurie que la première. Après quelques jours à prendre la température de l’endroit, j’acceptai de dialoguer avec un certain Christophe. Ce dernier, un charmant commercial de mon âge, était pourvu de magnifiques cheveux châtain clair et de superbes prunelles bleues. Décidément, pour l’accro aux bruns aux yeux noirs que j’avais toujours affirmé être, il y avait peut-être matière à m’interroger. Apparemment, mes goûts en matière d’homme avaient évolué ces derniers temps. Mes attentes aussi, par ailleurs. Depuis mon succès auprès de Sébastien, je décidai de mettre la barre encore plus haut.

Dès nos premiers échanges virtuels, je suggérai à Christophe de rester sur le vouvoiement. Je voulais élever le débat et la meilleure façon d’y arriver était, pour moi, de communiquer avec noblesse. Il accepta ma proposition mais s’y plia de mauvaise grâce. Malgré ses efforts, il revenait très régulièrement au tutoiement. Je lui laissai quand même une chance.

Comme j’espérais une relation sentimentale de qualité, je n’attendais rien de moins qu’un gentleman, et pour m’éviter de perdre du temps, j’annonçais désormais ouvertement la couleur au sujet de mes critères de sélection : si l’homme arrivait en retard ou les mains vides à un premier rencard, il y avait peu de chance qu’il y en ait un second. Je demandais aussi à ce que l’on m’ouvre la portière de la voiture, comme on le faisait de celle à l’entrée d’un restaurant, et j’escomptais que l’on m’aide à retirer ou à enfiler mon manteau. Et dans l’idéal, que l’on me tire ma chaise dans un endroit classe. Je reçus quelques commentaires à ce propos, comme quoi nous n’étions plus au siècle dernier, et encore moins à celui d’avant.

Je riais. Si un homme n’était pas prêt à faire ces petites choses pour moi, pas besoin d’espérer obtenir une place dans ma vie. Pourquoi devais-je me dévaluer sous prétexte que la modernité avait anéanti la galanterie à laquelle des tas d’hommes s’étaient pliés des siècles durant ? J’étais encore jeune mais assurément de la vieille école. Je ne voulais plus me brader. Et puis, après tout, ils demeuraient libres, je n’obligeais personne. C’était à prendre ou à laisser. Comme disait le dicton, je préférais largement être seule que mal accompagnée. Et être bien accompagnée signifiait d’abord rechercher la bonne personne, un homme de valeur, avec une excellente éducation. Elle était à présent très loin, la Caroline qui se contentait des miettes qu’on lui offrait, qui gloussait pour un regard appuyé ou pour une simple petite attention. Aujourd’hui, elle voulait un homme de principe, avec un excellent niveau de vie et une belle personnalité.

Comme Christophe semblait motivé à relever le défi que représentaient mes nombreuses attentes élevées, j’acceptai un premier rendez-vous. Il arriva avec une rose rouge, ce qui démarrait bien. Il était très séduisant. Plutôt mince et de taille moyenne, il arborait un style vestimentaire tendance qui lui seyait très bien. Intelligent et ambitieux, il m’apparaissait épanoui dans son job et avait accompli jusqu’à présent une belle carrière, comme me le suggéra sa confortable situation matérielle. Il élevait seul sa fille, du même âge que la mienne, en garde alternée. L’éducation de sa princesse était sa priorité, ce qui me convenait tout-à-fait, puisque je n’envisageais pas les choses autrement pour la mienne. Il avait été marié et désirait un autre enfant. C’était un homme d’engagement, prêt à assumer ses responsabilités. De nombreuses cases étaient cochées. J’étais très enthousiaste.

Christophe avait été mis au courant de ma situation professionnelle. De celle encore d’actualité et de celle à venir, en tant qu’auteure. L’une comme l’autre l’effrayèrent d’entrée de jeu. Accepter la prostitution n’était pas envisageable pour lui. Il voulut connaître ma deadline pour arrêter. J’en avais une fictive mais pas d’officielle. Je lui demandai :

— Qu’est-ce qui serait acceptable pour toi ?

— Deux ans maximum.

— Deux ans ? Mais c’est énorme ! Ça n’ira pas jusque-là ! Je suis sur la fin. J’écris tous les jours, ça va marcher. Deux ans, c’est plus de temps qu’il ne m’en faut, je t’assure.

Sans le savoir, je venais d’entendre une information que l’univers voulait me transmettre. Dieu me parlait constamment, à condition que je sois capable de l’écouter. Deux années, ainsi donc voilà le temps qui allait s’écouler jusqu’à la fin de ma transition. Si je suivais les consignes, si j’étais attentive aux signes que l’on allait m’envoyer, en avril 2025, ma vie aurait changé, définitivement, complètement, irrémédiablement. Le message était passé.

Le soir, forte de cette nouvelle précision, je pris une décision. Je devais agir et passer à la vitesse supérieure. J’étais en cinquième sur la nationale depuis un bon moment. Il était temps d’enclencher la sixième sur l’autoroute du succès. Je publiai un post sur mon profil ADA, à l’intention des lecteurs, de ceux qui me suivaient habituellement, et des autres qui ne me connaissaient pas encore. Je leur demandai :

« Que pensez-vous de mettre en ligne mon autobiographie, ou, plus précisément, celle d’une prostituée, celle que je fus, que je suis encore, mais que je ne veux plus être plus longtemps ? »

J’avais besoin d’un feu vert de l’Univers, à travers le public bienveillant que j’avais trouvé sur ce site d’auteurs. La réponse fut positive. Je me lançai aussitôt dans la rédaction de mes premiers chapitres, qui coulaient si facilement que s’en était déconcertant. Une telle fluidité, une telle facilité, était-ce moi qui rédigeais ?

Christophe était content de me voir si confiante. Cela le rassura, même si, pour lui, il y avait encore trop de paramètres hasardeux pour pouvoir croire à cent pour cent en ma reconversion, plus semblable à une folie qu’à un projet réaliste. Être auteure relevait à ses yeux de l’inaccessible. Je n’avais pas envie d’être contaminée par ses peurs, alors je mis fin à notre idylle naissante. Cette fois, malgré les nombreux atouts de mon dernier prétendant, Stéphanie se rangea de mon côté. Elle commençait à adhérer à ma conception de l’existence, selon laquelle je me considérais comme actrice, mais toujours en cocréation avec l’Univers.

Après Sébastien, je savais que Christophe avait été un autre prototype. J’attendais toujours la version finale. Je m’approchais du but, je le sentais.

Le 8 mai, jour chômé, je regardais un documentaire très inspirant sur Ed Sheeran, un homme au parcours complètement improbable, dont la réussite ne devait rien au hasard. Une personnalité de plus à ajouter à toutes celles que j’utilisais comme modèles. Apparut alors un nouveau message sur l’écran de mon ordinateur.

Son expéditeur se présenta. Mathias, 43 ans, sans enfant, Nantais du Sud Loire, à l’opposé de chez moi. Directeur financier et ancien sportif de haut niveau, rugbyman, plus précisément. Manu, mon meilleur ami, rugbyman également, avait l’habitude de qualifier ces athlètes de gentlemen. Puisque j’en recherchais un, l’anecdote me fit sourire et me donna envie de prêter attention à son annonce. Sur les photos de son profil, Mathias apparaissait charmant et son corps semblait musclé. Le hic, pour moi, demeurait sa taille, 1m73 seulement. Un peu juste pour toiser mes 1m65. J’aimais les grands... ces derniers me donnaient le sentiment d’être protégée. Cela dit, je n’allais pas pinailler pour quelques centimètres... encore que. Enfin bref.

Commencèrent alors trois semaines d’échanges quasi-quotidiens avec le susmentionné, qui, lui, respecta le vouvoiement avec délectation. D’abord étonné par ma demande, il se prit de suite au jeu, qu’il trouvait rafraîchissant. Comme il me le fit remarquer, à ses yeux, cela élevait le niveau. Nous étions donc raccord.

Par souci d’honnêteté, je lui exposai rapidement ma situation professionnelle. Comme avec Sébastien et Christophe, je lui expliquai vouloir changer de vie et tout faire pour m’en donner les moyens. Un soir, je lui envoyai le lien de mon profil d’auteure sur ADA, comme il le souhaitait. Je m’endormis confiante et sereine. Advienne que pourra.

Le lendemain matin, Mathias revint vers moi :

— Caroline, je ne vous remercie pas. Je n’arrive pas à ouvrir les yeux ce matin, pour aller travailler. Votre histoire m’a saisi. J’ai tout dévoré, incapable de m’arrêter. C’est incroyable. Vous revenez de l’enfer. Vous m’intriguez. Je ne sais pas ce qui m’arrive, mais je suis complètement bouleversé par vos écrits. J’aimerais vous rencontrer. Serait-ce trop cavalier de vous inviter à dîner ?

Waouh... alors là, j’étais bluffée. Si ça, ce n’était pas de la drague à l’ancienne ! J’adorais sa façon de me porter aux nues, de me complimenter sans arrêt, d’être aussi loquace et bienveillant à mon sujet. J’avais envie d’échanges de haute qualité et surtout, d’être traitée comme une princesse, et visiblement, j’avais affaire à la bonne personne.

Un rendez-vous fut calé pour le samedi 3 juin, en fin de journée. Il devait faire un aller-retour pour assister à la compétition de longe côte de sa mère, à quatre cents kilomètres de là. J’aimais l’attitude protectrice qu’il avait envers elle. Sa prévenance et sa générosité jouèrent vraiment en sa faveur. Il proposa de venir me chercher, un autre bon point. Je trouvais cela très galant de sa part. J’avais envie et besoin d’être choyée. Il devinait mes attentes et y répondait de la meilleure des façons.

Avec de telles perspectives, je ne pensais plus qu’à Mathias. Petit cœur d’artichaut que j’étais, je commençais sérieusement à tomber sous son charme. Mais nous n’étions que le mardi 30 mai et il me restait encore quatre jours à patienter avant notre premier rendez-vous. Même si je trépignais d’impatience, j’avais du pain sur la planche pour écrire la suite de mon autobiographie et toujours quelques rendez-vous tarifés à honorer. Ces derniers, bien que peu nombreux, demeuraient encore d’actualité. D’ailleurs, ma seule et unique séance de cette journée du 30 mai avait lieu à 17h. Je devais me préparer.

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