Chapitre 124 : Le grand saut

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Nous étions le mardi 6 juin. C’est sous un soleil resplendissant que je me rendis ce matin-là chez ma thérapeute. Bien évidemment, après le merveilleux week-end que Mathias m’avait offert, mon humeur était à l'image de la météo, au beau fixe. Avec un enthousiasme immodéré et moults détails, je racontai à Stéphanie comment ce galant avait fait un sans-faute. Puis, je lui rappelai l’évidence. Il restait un problème. Notre histoire n’avait aucune chance d’exister si je gardais encore un pied, ou même un orteil, dans la prostitution :

— J’ai fait mon dernier client vendredi soir et depuis, je n’ai pas repris. Je sais qu’il ne le supporterait pas et je ne veux pas lui mentir. Il ne le mérite pas. Il a été très respectueux envers moi, je me dois de l’être envers lui. Et il me plaît. Il me plaît vraiment.

Stéphanie se mit à commenter mes dernières déclarations mais je n’entendis rien, saisie d’un flash. Je lui coupai la parole :

— Attendez... je crois que je vais arrêter.

— De fréquenter Mathias ?

— Non, de travailler. Je veux dire... la prostitution. Si je continue, je vais le perdre. Et je ne le veux pas. Je pense vraiment qu’il est celui que j’attendais.

Je fis une nouvelle courte pause en repensant à ce qui s’était produit après notre déjeuner en terrasse. Je relatai brièvement à ma thérapeute ce moment où Mathias m’avait saisi la main, pour franchir le pont de pierres et traverser la rivière.

— Ça ressemble à une allégorie, non ? J’avais peur de me lancer, mais Mathias était à mes côtés et m’a aidée à atteindre l’autre rive. On peut difficilement faire plus explicite comme image.

Stéphanie opina du chef, comprenant parfaitement où je voulais en venir. Le message de l’Univers était limpide pour toutes les deux. Si je le souhaitais, Mathias pouvait être celui qui allait me permettre de quitter la prostitution pour rejoindre la vie de mes rêves.

En bonne féministe que j’étais, j’avais toujours refusé d’arrêter mon métier pour les beaux yeux d’un homme. Je ne l’avais pas fait pour Grégory, le père de ma fille, pas plus que pour Guillaume, un homme qui aurait pourtant mérité que je révise mes principes. J’avais mené toute mon existence plus ou moins sans attaches, persuadée que l’amour était synonyme de chaînes et que si je baissais ma garde, un homme en profiterait pour me contrôler. Forte de mes expériences et de mes apprentissages, je voyais les choses différemment aujourd’hui :

Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin.

Ce proverbe africain reflétait davantage ma nouvelle façon de penser. Après cinq années sans thérapie à végéter dans mon jus, l’aide de Stéphanie avait été le catalyseur dont j’avais eu besoin pour progresser. À l’instar de ma thérapeute, j’avais le sentiment que Mathias m’avait été envoyé pour me permettre de décrocher la Lune. S’il était entré dans mon existence, c’était forcément pour une bonne raison.

Comme pour entériner ma décision et annihiler dans l’œuf toute hésitation, une nouvelle pensée surgit en moi. Je poursuivis :

— Il s’est passé autre chose la semaine dernière, avec Yann, un des derniers clients que j’ai vus.

L’image du beau blond aux yeux bleus m’apparut. Cet homme avait tout l’air d’un ange. Il me rappelait ces êtres de lumière venus délivrer leur message aux prophètes, pour leur faire part de leur mission. Je repensai à son discours et le partageai à Stéphanie.

— Toutes ces choses qu’il m’a dites au sujet de ma transformation étaient très puissantes et m’ont fait réfléchir.

En en reparlant, j’étais toujours aussi bluffée que lorsque Yann me les avait déclarées.

— Je l’ai rencontré pour la première fois juste après la naissance de ma fille et c’est exactement à ce moment-là que j’ai repris ma vie en main. C’est incroyable que l’on se retrouve dix ans après et qu’il me dise cela !

À la fin de notre séance, j’avais presque entendu l’Univers sortir les cotillons et scander, en écho à ces propos : « c’est bon, tu as fini, et en voici la preuve. Maintenant, la boucle est bouclée ! Allez, on passe à l’étape suivante ! »

— En dehors de vous, personne ne m’a jamais fait remarquer combien j’avais changé. Au contraire, j’ai le sentiment qu’aux yeux de certaines personnes de mon entourage, je suis toujours la même. Et ma situation de célibataire endurcie n’a fait que renforcer cette impression. Mais Yann m’a vue telle que j’étais vraiment.

Grâce à lui, j’avais pu mesurer le chemin parcouru. Sa clairvoyance m’avait permis de réaliser que j’avais atteint une partie de mes objectifs. Je subodorais qu’avec un peu de bonne volonté, les autres seraient tout aussi accessibles. Mais il y avait encore un hic. Je n’avais pas anticipé un arrêt aussi brutal. J’avais tellement réduit mon temps d’exercice durant la dernière année que j’avais épuisé toutes mes réserves financières. Je ne regrettais rien puisque j’avais utilisé ce temps à bon escient, pour me concentrer sur ma passion. Je projetais toujours de me consacrer pleinement à l’écriture de la suite de mon autobiographie. Une seule question demeurait désormais : comment allai-je m’auto-financer ?

Malgré mes interrogations, je conclus mon entretien avec Stéphanie ainsi :

— L’Univers est de mon côté. Le grand moment est arrivé. Celui où je dois accepter de sauter dans le vide et de lui faire confiance. Lui seul va m’apporter des solutions.

Lunettes de soleil vissées sur le nez, je me mis à réfléchir au volant de ma voiture, durant tout le trajet du retour. En apprenant ma décision, je savais que Mathias m’accompagnerait dans cette transition. En tant que sportif accompli, devenu entraîneur de plus jeunes, il avait l’habitude de motiver des personnes et possédait la mentalité idéale pour m’épauler psychologiquement. Tel un mentor chevronné, auprès de moi, il prenait déjà son rôle très au sérieux. Depuis nos premiers échanges, il se présentait comme mon meilleur supporter. À présent, pour me rassurer complètement et me permettre de franchir le cap dans de bonnes conditions, j’avais besoin d’une sécurité matérielle. Il n’y avait qu’un endroit où je pouvais la trouver.

Contrairement à Mathias, ma mère n’avait pas l’âme d’une coach. D’un tempérament défaitiste, elle m’avait toujours habituée à m’attendre au pire. Sa célèbre réplique avait marqué toute mon enfance : « la vie est une tartine de merde, et on mange une bouchée tous les jours ». Cependant, malgré cette vision pessimiste de la vie, elle avait d’autres qualités. La première résidait dans son altruisme. Qu’importe la demande, si elle le pouvait, elle répondait toujours présente pour rendre service. D’une loyauté indéfectible, on pouvait vraiment compter sur elle. Sa générosité était sans égal et lorsque j’en avais eu besoin, elle ne m’avait jamais rien refuser.

Elle m’avait permis de m’installer et de prendre mon indépendance à 18 ans en m’équipant intégralement en meubles et en électroménager. Elle avait financé mon code et ma première voiture, et m’avait avancé l’argent pour la dernière, afin de m’éviter de souscrire un crédit. À la fin de ma grossesse, pour célébrer la naissance de ma fille, elle avait participé à l’achat du matériel de puériculture. Lorsque j’avais décidé d’aller à Voiron, avec mon mari et ma fille, pour rencontrer Nicolle Ancelet, j’étais toujours en congés maternité. Ma mère avait donc payé nos billets de train et une partie de la thérapie grâce à laquelle j’avais pu profiter d’un premier sevrage. Durant toutes ces années, elle m’avait régulièrement versé de l’argent, à chaque fois que ses parents lui en donnaient. Pas plus tard que l’année précédente, et ce, malgré nos relations tendues, j’avais encore reçu deux mille euros. Comme j’avais procuration sur ses comptes et elle sur les miens, je connaissais sa situation financière.

En rentrant de ma séance de thérapie, je décidai de l’appeler pour lui demander de l’aide. Je savais que c’était culotté de ma part étant donné que je l’avais rayée de ma vie six mois auparavant, mais c’était la seule personne sur Terre qui ne me laisserait jamais tomber. Dès que j’arrivai chez moi, j’attrapai mon téléphone, le cœur battant.

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