Chapitre 45 : Le détenu

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Après avoir passé plusieurs jours au lit à me morfondre, une fois n’était pas coutume, je repris du poil de la bête. Je retrouvai le moral d’autant plus vite que j’appris enfin quelques bonnes nouvelles. Le Crédit Mutuel, la seule banque qui me restait désormais, m’informa d’un geste commercial à mon encontre. Face aux menaces de mes grands-parents de les quitter (ce qu’ils n’auraient jamais fait), mon conseiller m’annonça que mille euros allaient m’être versés en dédommagement de mon ordinateur, encore sous garantie. Dans la foulée, mes grands-parents me firent un chèque de mille euros également, ce qui tenait, pour eux, de l’ordre du miracle. Enfin, la Caisse d’Épargne, chez qui j’avais clôturé mon compte, m’appela pour s’excuser d’une méprise qui avait eu lieu et me reverser l’intégralité de la somme qui avait été volée sur mon compte courant. J’en fus d’autant plus surprise que je les avais pourris en les quittant. Mais la loi était la loi et ils ne m’en tinrent pas rigueur. Ils s’en référèrent seulement aux garanties liées à mon ancien contrat. Mon assurance auto prit en charge les réparations de la voiture et mon assurance maison paya les frais liés au changement de la serrure que je devais effectuer, étant donné que les mecs possédaient toujours mes clefs et mon adresse.

J’étais désormais plus riche qu’avant mon cambriolage et, avec mes nouveaux papiers en cours de fabrication, presque remise à neuf. Un vent de fraîcheur soufflait sur ma vie. Pour autant, si mon état d’esprit redevenait plus léger, cela n’allait visiblement pas assez vite pour le beau métis que je fréquentais depuis quelques semaines. Il me planta au prétexte que j’étais devenue moins marrante. L’excuse me fit pourtant beaucoup rire.

Cela dit, je ne le retins pas, et plutôt que de m’appesantir sur ce départ, j’en profitai pour faire de nouvelles rencontres. Une, en particulier, allait être déterminante pour les années à venir. N’étant toujours pas une habituée du monde de la nuit ni une grande fan des endroits où les gens se rencontraient en temps normal, je voguais virtuellement au gré de mes envies. Le problème des sites internet résidait en l’absence de photos honnêtes. La plupart des jeunes hommes ne s’y montraient pas sous leur vrai jour. Lorsque je découvris S., lors de notre premier rencard dans un fastfood, je le trouvai gentil, mais pas du tout mon style. Son physique gringalet me déçut dès que je le vis. Néanmoins, je poursuivis le rendez-vous et rapidement, une de ses déclarations m’interpella :

— Mon meilleur ami est en prison.

Toutes mes antennes se mirent en branle pour capter la moindre parcelle d’information à ce sujet. En prison ? Intéressant. Où, quand, comment cela lui était-il arrivé ? S. me raconta toute l’histoire, ravi d’être enfin capable d’attiser ma curiosité. Je lui dédiai toute mon attention, suspendue à ses lèvres bavardes. Le meilleur ami en question avait vingt-quatre ans, comme nous deux. Selon les dires de mon interlocuteur, son pote avait été désigné, à tort, dans une sombre histoire de violence sur autrui. Lors de son premier procès, récent, il avait été reconnu comme le principal instigateur d’une vengeance, qui vira au drame. La victime n'était pas morte, mais salement amochée. Je connaissais les grandes lignes de cette terrible affaire, vieille de cinq ans, qui avait fait grand bruit à l’époque dans notre ville. La peine dont avait écopé l’accusé était à la hauteur de la médiatisation de cet affreux épisode judiciaire : dix-huit ans.

— Dix-huit ans ? Mais le gars n’est même pas mort ! m’offusquai-je. On prend moins quand on tue quelqu’un !

— Je sais. Et il n’a rien fait en plus.

— Mais comment est-ce possible ?

S. avait réponse à tout. Son meilleur ami, tombé en prison à l’âge de dix-neuf ans, était jusqu’à ce drame très connu des services de police. Gros dealer de son quartier, la brigade des stups l’avait dans le collimateur depuis des années, mais n’arrivait pas à le coffrer. Lorsqu’il fut mouillé directement dans l’agression de cet homme, que son nom apparut sur la liste des suspects, les flics chargèrent la mule et profitèrent de cette occasion en or pour le mettre enfin à l’ombre pour un moment. Pour cela, ils demandèrent à tous les autres interpellés de l’affaire, près d’une vingtaine de jeunes de tout âge, de désigner le meilleur ami de S. comme l’ « organisateur » de la vengeance qui avait très mal tourné.

Cinq ans après les faits, ce dernier criait toujours son innocence et attendait désormais son procès en appel, persuadé de pouvoir réduire sa peine pharaonique. Parmi tous ces renseignements énoncés, plusieurs retinrent mon attention. Premièrement, le détenu dont il était question avait dix-neuf ans lors de son arrestation, le même âge que mon frère lors de son décès. Deuxièmement, après cinq ans derrière les barreaux, pour une raison que beaucoup trouvaient mensongère, sa peine paraissait complètement disproportionnée par rapport à sa réelle participation aux faits. Je notai mentalement : injustice. Mon âme de révoltée amputée d’un membre de sa famille en prit bonne note. Troisièmement : l’accusé à tort était célibataire et, aux dires de son ami, devenu depuis plusieurs heures son impresario, très beau gosse.

Il ne m’en fallut pas plus pour quémander l’adresse du centre de détention où il était incarcéré, pour commencer à lui écrire. S. en fut comblé. Il n’avait pas gagné mes faveurs mais semblait sincèrement heureux d’avoir pécho pour son pote enfermé. Un joli exemple de solidarité masculine.

Ainsi démarra une relation épistolaire étrange entre ce jeune homme que je ne connaissais ni d’Adam, ni d’Ève, et moi. J’adorais lui tartiner des pages et des pages de blabla qui, je l’espérais, soulagerait la solitude, l’attente et la frustration auxquelles il était contraint. Au travers de ses mots, j’en découvris un peu plus sur lui et tombai sous le charme de sa personnalité, que je ressentais forte. Entre les lignes, je percevais ce que S. m’avait déjà décrit : un garçon au tempérament affirmé, rebelle mais intelligent. Ses traits de caractère ne pouvaient que me séduire, moi qui recherchais sans cesse des hommes à poigne avec une cervelle, des durs à cuire qui réfléchissaient.

Qui avait-il de plus attractif à mes yeux qu’un battant qui refusait de se soumettre en luttant sans cesse pour recouvrer sa liberté ? Rien. Toute son histoire résonnait en moi. Je n’avais pas réussi à sauver mon frangin d’une descente aux enfers qui l’avait mené à la tombe à dix-neuf ans. J’avais l’espoir de me racheter en participant au sauvetage d’un homme qui était tombé au même âge et voulait désormais plus que tout reprendre le cours de sa vie. Sans parler du fait que j’essayais de me sauver moi-même de ma propre prison personnelle. À mes yeux, mon addiction équivalait aux murs qui encerclaient mon correspondant malchanceux. Nous devions nous en affranchir tous les deux.

Nos lettres devinrent plus personnelles au fil des mois. Nous parlions de tout, mais principalement de religion, de Dieu et de foi, ce qui était, à ce moment-là, au centre de mes préoccupations. J’appréciais beaucoup cet aspect dans nos discussions. Quand il me suggéra de faire une demande de droit de visite pour le rencontrer au parloir, j’acceptai sans hésitation. J’avais hâte de connaître cet homme qui captait tant mon attention, faisait battre mon cœur et nourrissait mon âme uniquement avec ses mots. Malheureusement, à cause de l’arrivée prochaine du procès en appel, l’affaire était toujours en cours d’instruction et l’obtention de mon permis de visite me fut maintes fois refusée. Je finis par recevoir mon précieux sésame au bout d’un an d’attente et de frustration.

Dès lors, je fixai notre premier rendez-vous. Le frère de mon correspondant me proposa de m’accompagner. Nous avions des contacts sporadiques, mais j’acceptai son offre car j’étais assez stressée à l’idée de mettre le pied en prison, même en étant du bon côté, en tant que simple visiteuse.

C’est ainsi que se déroula cette rencontre insolite entre mon détenu et moi, sous le regard complice de son petit frère. Découvrir cet homme de visu après de longs mois à l’imaginer fût aussi bizarre que réjouissant.

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