Chapitre 68 : Le gentleman

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Grégory me recontacta par message, quelques jours plus tard.

— Libre ce soir ?

Je venais à l’instant de dire au revoir à mon dernier client et il était déjà presque 21h. Avec l’arrivée proche de l’été, mes journées se rallongeaient excessivement, puisque le soleil se couchait de plus en plus tard et que ma règle me limitait à ne pas recevoir après la tombée de la nuit. De plus, j’acceptais davantage de clients qu’à mes débuts. Emportée par mon succès, j’avais de plus en plus de mal à dire non et avais progressivement augmenté mes heures de boulot, jusqu’à faire trois ou quatre clients par jour, plusieurs fois par semaine. Après une période de latence où j’avais travaillé très sporadiquement, je profitais désormais de cette affluence pour faire rentrer de plus en plus d’argent. Je ne le faisais pas à contrecœur, bien au contraire. J’étais à présent prête à sacrifier davantage de mon temps libre pour pouvoir m’acheter toutes les nouvelles choses que je convoitais.

Après une douche rapide, je lui écrivis :

— Pas disponible, désolée.

Je disais vrai. Je m’apprêtais à présent à recevoir mon nouvel amant. Je ne le précisai pas dans mon message. Certes, je n’avais pas à me justifier auprès d’un de mes clients mais, étrangement, en gardant cette information secrète, je me sentais presque en faute. Je conservais un bon souvenir de ma première rencontre avec Grégory, mais il était hors-de-question que cela n’aille plus loin qu’une simple relation tarifée.

En outre, je ne comprenais pas l’intérêt de cette demande, étant donné les dernières déclarations qu’il m’avait tenues avant de quitter mon appartement. Cette relance m’intrigua. Voulait-il me revoir en tant que masseuse érotique ou en tant que... que quoi, au juste ? Qu’espérait-il ? Il n’insista pas et me souhaita une bonne soirée. Il conclut son texto par un « à bientôt » que je jugeais énigmatique, auquel je ne savais pas quoi répondre, pas plus que je savais comment l’interpréter.

Je voyais quelqu’un depuis peu. Ce jeune homme ne m’avait pas contacté via mon annonce. Nous nous étions croisés sur un site de rencontre, avant d’organiser une rencontre IRL à son domicile. Contrairement aux clients, je n’avais pas peur à cette époque de débarquer chez un inconnu. La soirée, puis la nuit, avaient été si plaisantes que j’étais impatiente de les réitérer. Depuis ma séparation d’avec mon détenu, quelques mois auparavant, j’étais en pleine effervescence sexuelle. Après quatre années de frustration à ne me faire baiser qu’à la sauvage, entre deux portes vitrées, et de façon chronométrée, je redécouvrais le plaisir des vraies nuits de sexe, de celles qui s’éternisent jusqu’à l’épuisement.

Ce jeune amant, je ne l’avais bien évidemment pas averti de ma sulfureuse activité. Quelques détails me reviennent de lui : grand, bien gaulé, blond aux yeux bleus, plus jeune que moi (vingt-et-un ans), et tellement gâté par la nature qu’il ne pouvait jamais me pénétrer jusqu’à la garde. C’était un problème récurrent rencontré avec nombre de ses partenaires. Avec Grégory, il était le deuxième mâle qui s’en plaignit ouvertement. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les hommes bien pourvus souffraient eux aussi de la taille de leur sexe. Décidemment, la nature était parfois vraiment mal faite.

Ce soir-là, bien que crevée par mes rendez-vous du jour, j’attendis mon bel étalon blond de pied ferme. Nous passâmes une nuit délicieuse, faisant et refaisant l’amour, sans jamais aller jusqu’au bout, ni lui, ni moi et ce, en écoutant en fond sonore, un seul et unique morceau en boucle. Je me souviens encore du tempo lent de ce chef d’œuvre techno, de sa rythmique envoûtante, presque hypnotique. J’en entends encore des bribes aujourd’hui. Elles résonnent en moi comme si c’était hier, symbolisant à jamais les dernières heures de ma vie de jeune femme « insouciante » et sans attaches...

Quelques jours plus tard, Grégory me relança encore. Je fus plus claire que la fois précédente, lui expliquant que j’étais d’accord pour le revoir de nouveau, mais toujours dans le contexte pour lequel il m’avait sollicitée au départ. En gros, il n’était pas question qu’il me baise à l’œil. Il accepta. Comme nous conversions par sms, ce que je ne faisais pas, en général, avec mes clients, je ne savais pas s’il le faisait de bonne ou de mauvaise grâce. Quoi qu’il en soit, il revint me voir un soir, toujours tard, et toujours à prix réduit. Il était un peu plus détendu que la fois précédente, même si je ne le sentais pas encore complètement à l’aise. Il remarqua ma nouvelle télé. J’avais troqué mon vieux tube cathodique pour un écran plat qui me donnait l’impression d’avoir désormais un home cinéma à la maison. Ce fut mon premier gros achat depuis le début de ma nouvelle activité. Je ne lui révélai pas que c’était en partie grâce à lui et à l’argent gagné lors de notre dernier rendez-vous que j’avais pu me la payer.

Pendant le rapport, nous connûmes le même scénario que la première fois. Comme il ne venait toujours pas, je lui enlevai la capote et lui demandai de continuer sans protection, en exigeant qu’il se retire avant de jouir. Il n’eut pas besoin de le faire car il ne vint jamais. J’eus beau changer de position, le sucer, rechanger de position, lassée, j’abandonnai. C’était la deuxième fois que ce client un peu spécial ne prenait pas son pied. Pourquoi donc était-il venu alors ?

Et pourquoi avais-je pris de tels risques ? Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez nous ?

Dieu seul le savait.

À ce moment-là, voyant tout le pognon que j’amassais, j’envisageais sérieusement de déménager. Comme je l’ai indiqué précédemment, je ressentais un profond besoin de renouveau dans ma vie et l’objectif premier de cette manne financière était d’y répondre. Après avoir relooké mon dressing, je désirais à présent changer de décor. J’avais déjà commencé à visiter de grands appartements ou des petites maisons aux alentours de ma ville. Comme je voulais un logement plus spacieux et un lieu de vie plus proche de la nature, il fallait que je m’éloigne de Nantes. Mes premières visites n’avaient pas été concluantes. Les locations s’enchainaient, toutes plus flippantes les unes que les autres. Dans l’une d’elles, la chambre parentale se situait dans un grenier aménagé. Il y avait un escalier très étroit pour y monter. La pièce ne disposant pas d’une salle de bain indépendante, il fallait se rendre aux toilettes en bas. Je m’imaginais déjà la mort qui m’attendait, lorsqu’en pleine nuit, en voulant soulager ma vessie, je louperais une marche et dévalerais l’escalier pour m’écraser au sol.

J’en riais encore lorsque je racontai cette anecdote à Grégory au cours de notre seconde discussion post-coïtale. Ce dernier sauta alors sur l’occasion pour me proposer de l’aide. Il me promit de se renseigner de son côté. Je lui expliquai brièvement ma situation : comme je ne déclarais pas les sommes que je touchais, je ne disposais pas de preuves de ma solvabilité. C’était un problème pour partir dans le privé.

Dès le lendemain, je reçus de ses nouvelles. Il m’informa qu’il avait trouvé une opportunité intéressante à cinquante kilomètres de mon lieu de résidence. Elle correspondait en tout point à ma recherche, dont le principal critère était deux chambres, car je prévoyais une pièce pour exercer mon activité. Il était enthousiaste. Le logement ne trouvant pas de preneur depuis des mois, les propriétaires accordaient une chance à mon dossier. Moyennant la signature d’un cautionnaire, il m’assura qu’ils étaient prêts à fermer les yeux sur mon manque de garanties.

Dès lors que Grégory m’appela pour me parler de la perle rare qu’il avait déniché, mon regard sur lui évolua. De client, il devint mon sauveur. Puis, après que mon dossier eut été accepté par le couple bailleur, je rentrai chez moi toute guillerette en pensant à lui et à ce qu’il avait fait pour moi. De sauveur, il se transforma en bonne fée, celui qui avait rendu possible un de mes souhaits. Je le tins aussitôt au courant de la bonne nouvelle. Lorsqu’il me demanda si je voulais des cartons pour emballer mes affaires, j’acceptai de nouveau son offre. De bonne fée, il se mua en chevalier servant. Il me les déposa le soir-même et repartit aussi vite, sans rien attendre en retour.

Contrairement à la majorité des hommes que j’avais croisé ces dernières années, le mec ne s’intéressait pas du tout à mon cul. À mes yeux, il devint un gentleman.

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