Chapitre 91 : Le clash

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En replongeant dans la boulimie la tête la première, je compris que je n’étais pas complètement guérie, même si j’allais globalement mieux. Me retrouver seule dans une situation de crise avait réveillé mes anciens démons et mes insécurités d’enfant. Ma chance, c’est que mon métier m’offrait du temps et de l’argent, que j’étais bien décidée à mettre à profit pour me soigner.

Je réagis aussitôt en retournant voir Nicolle Ancelet, à Voiron, afin qu’elle me vienne à nouveau en aide. En vain. Je revins de mon séjour expéditif plus motivée, mais les crises ne cessèrent pas pour autant. Nicolle avait changé son fusil d’épaule et m’avait surtout coachée pour que je reprenne du poil de la bête et que je mette le holà sur les méthodes de Grégory, qu’elle considérait comme abusives. Ce dernier me parlait constamment mal, et ne me traitait guère mieux, alors elle m’incita à le faire cesser.

— Le problème c’est qu’il me fait du chantage, rétorquai-je. Il menace de me retirer la garde de ma fille à cause de mon travail.

— Mais se prostituer n’est pas illégal. Il n’a pas le droit, s’offusqua-t-elle.

— Si. Pour lui, ça fait de moi une mauvaise mère.

— Ben tiens. Rappelez-lui que c’est lui qui était en tort pendant des années. En étant marié avec vous, il était votre proxénète et vous pouvez le prouver.

Elle avait raison sur le fond mais, en réalité, jusqu’à notre rupture, nous ne savions ni l’un, ni l’autre, que c’était la vérité. Nous ne connaissions pas cette loi. Et je n’avais jamais soupçonné mon mari de mauvaises intentions, même si j’avais constaté qu’il en avait bien profité.

— Je ne veux pas aller sur ce terrain-là. C’est bas et ça ne me ressemble pas. C’est le père de ma fille et, par respect pour elle, je ne veux pas jouer à ça.

— D’accord, mais défendez-vous, ne le laissez pas faire. Même si vous ne le dénoncez pas, faite-lui croire que c’est un risque à courir. Imposez vos règles. Reprenez le contrôle de la situation.

Nicolle Ancelet était davantage devenue une coach qu’une thérapeute et c’est probablement ce dont j’avais besoin à ce moment-là. Le retour de la boulimie me fragilisait énormément émotionnellement et mon ex, encouragé par sa nouvelle copine, savait appuyer là où ça faisait mal pour me mettre plus bas que terre. Je ne voulais pas le trainer dans la boue, mais son comportement irrespectueux envers moi n’était plus tolérable. Notre fille avait bientôt deux ans et j’avais encore seize années devant moi à supporter cet homme dans ma vie. Si je ne réagissais pas de suite, il allait me réduire en purée, nerveusement et moralement, comme mon père l’avait fait autrefois avec ma mère.

Le problème de nos désaccords résidait dans l’absence de jugement définissant les règles de base de la garde de notre fille. Tant que notre cas n’était pas passé devant le tribunal, il n’y avait pas de cadre et tout reposait sur des décisions à l’amiable. Or, dans ce contexte, qui dura une bonne année, mon ex prit ses aises. Par exemple, il souhaitait s’occuper de sa gamine régulièrement, mais ne le faisait que quand ça le chantait et, la plupart du temps, j’étais prévenue au dernier moment. Ma vie était calquée sur la sienne, et je ne pouvais pas m’organiser à l’avance. Il ne paya aucune pension alimentaire pendant douze mois, car aucune loi ne l’y obligeait. Et quand je le lui fis remarquer, il m’envoya encore mon métier dans les dents :

— T’as pas besoin d’argent, t’as les moyens.

J’assumais tout, les frais d’éducation comme la garde principale, ce qui n’avait pas du tout été notre arrangement initial.

Lors de notre séparation, nous avions envisagé une garde alternée. En effet, il allait être en formation à Saint-Herblain, juste à côté de Nantes, ce qui était parfait, car j’avais l’intention de repartir dans ma ville d’origine. Après sa formation qui devait durer un an, et pour laquelle il était gracieusement logé, il prévoyait de trouver du travail sur le secteur. À juste titre, vu le bassin d’emplois que ce dernier représentait.

Parallèlement, il craignait que ses futurs horaires ne lui permettent pas de prendre la petite une semaine sur deux. Je lui avais donc assuré qu’il pourrait venir la chercher autant qu’il le souhaiterait, étant donné que nous serions à côté. Comme on lui prêterait un logement sur le site, il pourrait accueillir notre fille autant que possible. C’était l’idéal.

J’étais arrangeante et ne désirais vraiment pas m’accaparer notre enfant. Je préconisais un équilibre de garde entre nous deux, de quelque forme que cela soit, car il m’apparaissait essentiel pour elle, comme pour nous, qu’elle nous voie autant l’un que l’autre.

Concernant la pension alimentaire, son discours avait été très raisonnable aussi, lors de notre rupture :

— Je te verserai 10% de mon salaire en formation. C’est normal que je participe, c’est ma fille aussi.

Malheureusement, lorsqu’il rencontra Jennifer, tout changea. Dès qu’il considéra que c’était du sérieux avec elle, c’est-à-dire, environ dix minutes après l’avoir connue, il s’installa chez elle, à Saint Nazaire, sur la côte Atlantique, à l’opposé de sa future formation, et de moi, par la même occasion. Entre temps, j’avais déménagé et étais revenue à Nantes, comme convenu. Dire que je l’attendais aurait été exagéré, mais je pensais réellement que nous allions nous retrouver à proximité, par la force des choses. C’était sans compter la troisième personne de notre nouveau trio, qui intervenait dans la situation plus que de raison.

Je me retrouvai donc seule à Nantes, avec notre fille, alors qu’il vivait désormais en bord de mer. Contrairement à nos ambitions de départ, nous étions partis chacun de notre côté. Lorsque sa formation démarra enfin, plutôt que d’en profiter pour prendre sa fille au maximum, comme je l’y encourageais, il faisait la route tous les jours, matin et soir, pour retourner auprès de sa nouvelle nana, soit une heure trente de trajet aller-retour, au quotidien.

Je crus rêver. Ou cauchemarder plus exactement.

Notre fille était donc en garde principale chez moi et il s’en plaignit à chaque fois que l’on se croisait, lorsqu’il venait la chercher. Il grogna que je l’avais volontairement éloignée de lui.

— C’est une blague, j’espère ? lui répondis-je, écœurée.

Je riais jaune.

Jennifer, que je croisais ponctuellement, me prit un jour à partie :

— Moi, quand j’étais enfant, je ne voyais pas mon père et j’en souffrais beaucoup. Ma mère me privait de lui et Grégory ne doit pas subir la même chose avec sa fille.

J’étais en colère. Je lui rappelai que, sans son intervention, tout aurait pu fonctionner comme sur des roulettes et que père et fille n’auraient pas été séparés. Si on s’en était tenu au plan de départ, Grégory aurait vécu dans la même zone géographique que moi et donc, que sa fille. Mais il avait fait des choix, en vertu de ses nouvelles priorités. Quelle hypocrisie de me faire passer pour la méchante alors que j’avais toujours prôné une garde partagée équitablement.

Heureusement, malgré le grotesque de la situation et le fait qu’il considérait toujours que j’en étais la responsable, il se débrouillait quand même pour prendre notre fille autant qu’il le pouvait. C’était bien là ma seule consolation car, à côté de ça, nos relations devinrent extrêmement tendues.

Un jour, comme à pratiquement toutes nos entrevues, il me reprocha à nouveau d’être une mauvaise mère, de le priver de sa gamine, de mettre éloigner géographiquement de lui. Mais il ne me reprochait pas que ça. Tout y passait, la prostitution y comprit. Il en avait tellement honte qu’il refusait d’en parler à sa nouvelle compagne.

Lorsqu’excédée, je menaçai de cracher le morceau, le ton monta d’un cran et il m’insulta, de pute évidemment. Furieuse, je lui jetai une chaussure au visage en lui rappelant que la pute, elle l’avait bien entretenu pendant des années. Après avoir évité la godasse de justesse, par réflexe, il me colla une claque en retour, laquelle fit valdinguer mes lunettes.

J’avais notre fille dans les bras. Elle hurlait et pleurait tout son soûl, le visage rouge et brûlant à force de s’époumonner. Réalisant ce qu’il venait de faire, Grégory sortit précipitamment de la maison, honteux, mais enfonça néanmoins le clou, argumentant que je l’avais poussé à bout.

Je restai debout dans l’entrée, notre enfant en pleurs contre la poitrine, essayant de la rassurer. Mais moi aussi, je pleurais. J’étais choquée.

Je me revis, à six ans, dans l’entrée de ma maison d’enfant. J’avais été celle à qui on avait demandé de retirer ses lunettes, pour recevoir la claque de la honte. Et apparemment, j’étais toujours la même.

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