chapitre 10 : tuer la mort

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Le silence.

Encore lui.

A l’instant où la porte de l’entrepôt claqua, éprise de colère, plus personne n’osa parler. Même la musique choisit de se taire, effrayé par ce visage déshumanisé dont le torse perdait du sang. Rubie se redressa doucement, elle savait pertinemment que seule la mort accompagnait le silence.

Les yeux d’Andréas brûlaient, aussi ardemment que son cœur qui pulsait des torrents de lave dans ses veines. Il sentait ce feu le consumer de l’intérieur, prendre le contrôle de son esprit, de ses gestes… A la peur qu’il découvrait encore, la rage était entrain de se lier. Toutes ses pensées disparurent une à une, il était telle une petite braise qu’une simple vision pouvait enflammer. Et celle de sa sœur nue, allongée sur un divan dans les bras d’un homme, lui fit perdre la tête.

Quand il se mit à frapper, ce n’était plus un Vautour qui mourrait sous ses coups. Les Condors, son oncle, ses adversaires dans l’arène… tous ceux qui avaient participé à gâcher sa vie apparurent un à un devant lui et à la fin, ce fut son propre visage qu’il se voyait massacrer.

Les coups pleuvaient en grêle d’hiver. Rubie tenta de s’interposer, mais Andréas ne faisait plus aucune différence entre ennemis et alliés. Il l’envoya valser d’un revers de la main, et la jeune fille s’écrasa sur la piste de danse. Le rouge de son sang vint se mêler à celui de son regard. Elle ne pouvait que demeurer immobile, l’effroi la tétanisait.

Bientôt, les muscles de l’amant se raidirent, ses paupières se fermèrent et sa respiration devint silencieuse. Pourtant Andréas ne cessa pas son effort, s’acharnant davantage, prêt à tuer la mort. Il hurlait comme un loup sous la lune, un loup qui venait de déchirer la nuit.

Puis la conscience lui revint. Il lâcha sa pauvre victime, dont le corps glacé nageait dans un sol carmin. Ses mains tremblaient, déchirées par la hargne. Il ne se reconnaissait plus, et Rubie encore moins. Le calme qui le rendait ennuyeux avait disparu, et l’eau plate était devenue la plus empoisonnée des absinthes.

- Rubie, dit-il d’une voix étouffée, je peux t’expliquer.

Il tendit sa paume vers elle, mais elle ne trouva pas preneuse.

- Il n’y a rien à expliquer, lâcha-t-elle avec dégoût. Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi. Jamais.

Elle était calme, étrangement calme, et elle ne pleurait pas. Il semblerait que ses émotions aient préféré s’enfuir. Pour suivre leur exemple, ses jambes se mirent à courir mécaniquement aussi loin qu’elles le pouvaient. Elle avançait sans réellement savoir où elle allait, se contentant de s’éloigner. A la lumière des étoiles, elle priait pour apercevoir Théoxane. Ici et maintenant, lui seul pouvait la rassurer.

Puis elle se posa sous l’ampoule faiblissante d’un lampadaire, et les larmes se mirent à couler. Elles cisaillaient ses joues dorées sans tenter de comprendre ce qu’elles faisaient dehors. Rubie elle-même ne savait pas. Cette eau évacuait tout de qui était resté enfermé à l’intérieur, tout ce qu’elle ne voulait plus avoir à affronter. Elle ne savait pas encore où elle passerait la nuit – ici, sans doute, dans cette rue lugubre – et cela ne l’inquiétait pas. Elle n’avait que faire du froid, les démons de l’extérieur seraient les meilleurs gardiens de ses cauchemars.

- Pourquoi tu pleures ?

Elle se retourna doucement, laissant ses longs cheveux voler au-dessus de son épaule. Juste derrière elle, dans la pénombre d’une porte cochère, un petit garçon la regardait timidement.

Il y avait en lui toute la délicatesse du monde, assez adorable pour décrocher à Rubie un faible sourire.

- Des problèmes de grands, répondit-elle en épongeant l’humidité de son chagrin, rien de bien grave. Et toi, qu’est que tu fais dehors, tout seul ?

- Mes parents se disputaient, expliqua le petit. Ils criaient très très fort et moi, j’aime pas trop quand ils crient. Alors je suis parti. Je voulais aller loin loin loin, mais je me suis perdu.

Il la toucha au plus profond de son âme, là où elle ne pensait plus qu’il restait quelque-chose à toucher. Ses yeux dorés la transpercèrent, littéralement. Cet enfant était elle, totalement elle, comme le miroir de sa propre détresse. Au fond, il lui semblait se sauver elle-même en acceptant de l’aider.

- T’inquiète-pas mon grand, je vais te ramener chez-toi. Elle ressemble à quoi ta maison ?

- Elle est rouge, toute rouge, avec de grands volets noirs et une porte qui brille.

Rubie reconnaissait cet immeuble, il dénotait dans la pâleur ambiante, il ne lui serait pas difficile de le retrouver.

- Ce n’est pas très loin. Donne-moi la main, on va y aller tous les deux.

Le petit lui empoigna le bras et ils commencèrent à marcher. Au bout de quelques mètres il accéléra le pas et l’entraina à travers la ville. Pour son jeune âge, il avait la force d’un homme. Il finit par les mener dans un quartier sordide, à la porte d’un bar qui sentait le tabac et la drogue bon marché. Essoufflée, Rubie profita de son ralentissement pour faire une pause, mais l’enfant se faufila à l’intérieur.

- Attends ! hurla-t-elle.

Mais elle ne l’empêcha pas d’entrer. Elle finit par pousser la porte à son tour, surprise de voir que l’établissement était totalement vide. L’odeur ne quittait pas les murs et les tabourets étaient tirés, pourtant aucune chaleur humaine n’emplissait l’endroit. Elle appela le petit garçon, le cherchant avec ardeur, inspectant chaque placard, chaque dessous de table, chaque derrière de rideau où il aurait pu se cacher. Rien.

Soudain, elle entendit un bruit dans l’arrière-salle, le son métallique d’une casserole heurtant le plancher. Elle s’y précipita, mais ne trouva qu’un pot de confiture déjà entamé.

Nul ne sait pourquoi elle décida d’y goûter, mais ce choix rythmerait désormais l’entièreté de son existence.

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