chapitre 11 : des couleurs qui n'existaient pas

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Quand ils étaient enfants, Rubie et Andréas jouaient à imaginer des couleurs qui n’existaient pas. Toute sa vie la jeune fille avait pensé cet exercice impossible, pourtant aujourd’hui s’étalait devant ses yeux toute une palette de couleurs inconnues.

Elle se trouvait dans un endroit n’ayant pour seule limite que les frontières stellaires, s’étendant de colonnes en moulures jusque dans un ciel étoilé. Les pierres blanches qui en recouvraient les murs formaient des niches et des balcons où s’attelaient une bonne centaine d’ouvriers. Ces petits bonshommes semblaient ranger le matériel d’une périlleuse construction. Jamais Rubie n’avait rencontré de créatures de ce genre, minuscules et dodus comme des nains de jardins, dont le nez se voulait plus rond et les oreilles plus pointues que la normale. Quand elle baissa la tête, sentant se glisser dans son cou les crampes de la grandeur, elle remarqua un comptoir derrière lequel se tenait un grand dadais en uniforme rouge.

D’un pas réticent, elle s’avança, chaque millimètre parcouru dans ce monde se devait d’être calculé avec minutie. La silhouette du mystérieux personnage se dessinait à mesure qu’elle s’approchait de lui. Il était différent de ceux qu’elle venait de voir, singulier autant par sa hauteur que par sa finesse. Sa chevelure rousse remuait sous son chapeau haute forme, dansant au même rythme que ses moustaches parfaitement taillées dont l’entre-brasure laissait apercevoir la blancheur intacte de ses dents. Une montre à gousset s’était échappée de son costume trois pièces, et Rubie s’étonna de voir que le temps n’y tournait pas.

Il s’appelait Willy, ou du moins s’était ce qu’indiquait l’étiquette fixée à la poche de sa veste. Ce prénom le personnifiait, mais la jeune fille ne voulait pas admettre qu’il pouvait être réel.

- Bien le bonjour mademoiselle, charmante, jolie et belle ! Nous vous remercions d’avoir choisi notre compagnie pour votre voyage, en quoi puis-je vous aider ?

Il parlait d’une voix guillerette, et son sourire n’avait rien de commercial, pourtant Rubie ne sut quoi lui répondre.

- Eh bien… je…

« Je n’ai aucune idée de ce que je fous ici ! hurla-t-elle en pensée. »

- Je crois que je me suis perdue, dit-elle simplement. Pouvez-vous m’indiquer où nous sommes ?

La tonalité de ses mots sonnait étrange à son oreille. Un instant elle avait cru qu’elle rêvait, ou qu’elle était en train de cuver quelque part dans les rues d’Avem. Peut-être même qu’Andréas l’avait tuée, qui sait ? Mais maintenant qu’elle avait lâchée cette première phrase, elle ne pouvait s’empêcher de croire que tout cela appartenait en fait à la réalité.

Elle analysa brièvement son environnement : des lutins, des murs sans plafond et quelqu’un de joyeux travaillant à l’administration. Tout ceci était tout bonnement incroyable, et pas dans le bon sens du terme. S’il s’était agi du scénario d’un roman fantastique, elle l’aurait surement trouvé cliché. Envoyer une jeune fille banale dans un univers merveilleux n’avait presque plus rien de surprenant à la lecture, mais tout devenait différent quand il était temps de le vivre. Elle rejeta vite cette idée incongrue de son esprit. Un rêve, ce n’était rien d’autre qu’un putain de rêve.

- Bien sûr, répondit Willy, toujours aussi jovial. Nous sommes à la porte 513 en direction de la Capitale !

- La porte ?

Cette fois, son interrogation lui sauta de la bouche sans qu’elle ne pût la retenir. Même si elle rêvait, elle bouillait d’envie d’en apprendre davantage.

- Une porte, un portail, un passage, appelez cela comme bon vous semble ! Je ne suis pas du genre à faire des chichis !

Puis le jeune homme se mit à fouiller dans une pile de papiers entassées, cherchant vraisemblablement quelque chose.

- Alors, alors… voilà ! Veuillez remplir ce formulaire je vous prie ! Indiquez ici votre nom, la durée de votre séjour ainsi que sa raison, votre lieu de résidence, de provenance et de direction, votre clan ainsi que toute utilisation de magie éventuelle. Ah, et votre passeport s’il vous plait !

- Je… je n’ai pas… je n’ai pas de passeport, tenta-t-elle d’articuler. J’ai dû l’oublier chez-moi, je devrais sans doute y retourner.

Sans attendre de réponse, elle fit demi-tour, s’imaginant trouver derrière elle le chemin par lequel elle était entrée. Au lieu de cela, elle heurta violement un pauvre travailleur qui laissa tomber son plateau.

- Excusez-moi, renchérit le rouquin, mais notre porte est nouvelle, il nous faut encore l’aménager. Pour ce qui est de votre passeport, je suis sûr que nous pouvons trouver une solution. Vous êtes surement enregistrée dans notre base de données, quel est votre nom ?

- Falcon. Rubie Falcon.

Décliner son identité lui parut la meilleure chose à faire, mais la simple entente de ces mots fit faire à Willy un bon en arrière. Il se figea, et son teint déjà blanchâtre devint livide. Lorsqu’il reprit ses esprits, il se tourna vers le rideau qui décorait son dos, criant à travers avec la délicatesse d’un pachyderme.

- Pierrot ! Pierrot ! Nous avons un code 7 ! Un code 7 !

Un petit bonhomme surgit de derrière la tenture. Il avait la même allure que les ouvriers, trapu et rondouillard, dissimulé derrière son monocle à moitié brisé, son costume à queue de pie et son haut-de-forme presque aussi grand que lui.

- Qu'y a-t-il encore ! bougonna-t-il. Tu ne peux donc rien faire tout seul sacrebleu !

- C’est un code 7, chuchota Willy en désignant Rubie du coin de l’œil.

Le gnome inspecta la jeune fille de son regard vitreux, épluchant chaque détail de son anatomie, puis se mit à railler.

- Ce n’est pas un code 7 pauvre nigaud ! C’est un code 12 ! Allez, appelle-moi le Conseil qu’on en finisse.

- Le Conseil ? Tu veux dire… LE Conseil ?

- Eh bien oui, lequel veux-tu que ce soit ! On ne vous a pas appris à gérer un code 12 dans votre petite école de merdeux !

- Si, mais…

- Alors décroche-moi ce téléphone avant que je te le mette là où je pense ! Un code 12 le premier jour, mais qu’ai-je bien pu faire aux déesses pour mériter ça ! se marmonna-t-il à lui-même tandis qu’il disparaissait déjà.

Le rouquin obéit, résigné, et Rubie l’observa, désemparée.

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