Chapitre 13 : Salomé Neverland

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Lorsqu’elle rouvrit les yeux, les milliers de tableaux s’étaient tous évanouis. A leur place, la pureté éclatante d’un ciel d’été, couvert d’oiseaux en nuage et de brume en plumes colorées. Sous cette voûte céleste, des bâtiments tombaient en pluie, décorés de moulures gothiques, de colonnes antiques et d’arches sculptées à l’orientale. Au coin de la rue pavée, on apercevait un carrousel qui sentait bon le popcorn et la vanille. Il chantait comme une boite à musique.

En face, la terrasse d’un restaurant débordait sous la vitrine d’une boutique bondée. Les passants s’asseyaient boire leurs verres, des glaces aux enfants et aux parents des cafés. Sur la place enfin s’étalaient les épices d’un marché, installé autour d’une fontaine d’eau ivoire. Parfois on apercevait des statues émergeant du sol en puissance souveraine, faites de marbre blanc et de porcelaine.

Ici flânaient les riches et les pauvres, mais les pauvres surtout. Des pauvres qui étaient les riches d’Avem, bien vêtus, bien portant, parés de rien mais précieux de tout. Au détour d’un lampadaire, un homme embrassait une femme et, sous le suivant, un homme embrassait un homme sans que personne n’y trouve rien à redire.

C’était déboussolant, hypnotisant et idéal. Figée au milieu de la foule, Rubie n’osa percer cette beauté merveilleuse. Elle savait que tout cela était réel, pourtant elle avait l’étrange impression d’être l’unique être vivant au milieu d’un songe.

- Falcon !

Son nom perça le mirage, comme il le faisait toujours, et celui qui l’avait prononcé avait un regard familier. Les yeux dorés du petit garçon s’évanouirent de nouveau. Elle voulait le laisser partir, mais elle avait trop de questions qui attendaient des réponses que lui seul pouvait lui donner. Elle devait comprendre. Elle en avait besoin.

Alors Rubie se mit à courir, de nouveau, face au vent qui balayait son simple t-shirt noir. Les passants la dévisageaient, et leurs regards malsains étaient la seule chose dans cet endroit qui lui faisait écho. Ils étaient exactement comme ceux qu’elle trouvait à Avem, quand les gens ne la considéraient que par sa différence. Aujourd’hui, ils ne la dérangeaient plus. Elle n’avait pas le temps de prouver aux autres qui elle était, puisqu’elle devait déjà le découvrir elle-même.

Telle une mauvaise farce, l’enfant s’arrêta une fois de plus devant la porte d’un bar. Il n’y avait ni drogue ni fumée malodorante, seulement des centaines de lumières qui pétillaient comme des lucioles. Le « Sunrise » à ce qu’en disait le panneau. Un nom étrange, mais toutefois accueillant. Lorsqu’elle entra, Rubie découvrit une brasserie vintage dont l’air humide sentait les embruns. Il y avait, à l’une de ses tables, une jeune fille qui tentait désespérément de déchiffrer une carte. Ecrit en italique, Rubie entrevit le mot « Avem » se détachant d’un relief montagneux.

Pour la première fois depuis des heures, elle sentit son cœur se desserrer. Elle maitrisait enfin quelque-chose.

- Excusez-moi, dit-elle en s’asseyant, où avez-vous trouvé cette carte ?

- Bonjour… répondit la demoiselle, le visage crispé d’étonnement. Je l’ai achetée il y a longtemps, pourquoi ?

Dans son excitation, Rubie avait perdu toutes ses bonnes manières, et ce n’était pas la meilleure façon de se faire des amies.

- Désolé, je ne voulais pas vous agresser comme ça, je m’appelle…

Son nom avait déjà effrayé bien trop de personnes.

- Je m’appelle Elya Falcon.

- Salomé Neverland. Vous voulez boire quelque-chose ?

Les gens de ce pays avaient donc le sens de l’hospitalité. C’était une chose bonne à savoir.

- Pourquoi pas.

Rubie balaya la carte et commanda la première chose qui lui tomba sous les yeux.

- Un café au poivre chaud.

Elle prononça ces mots avec tant de dégoût qu’il était impossible de croire qu’elle y avait déjà goûté. Au moment de payer, la moue du serveur se décomposa à la vue du billet qu’elle tira de son soutien-gorge. Amusée, Salomé se proposa de régler à sa place.

- Merci, c’est très gentil.

- Ce n’est rien. On tire tous des séquelles d’un trop long voyage sur le continent. Vous venez donc d’Avem.

- Comment avez-vous deviné ? ironisa Rubie, laissant croire qu’elle contrôlait parfaitement la situation.

- Eh bien déjà, parce que vous avez commandé un café au poivre chaud. Sérieusement, personne ne boirait cette atrocité délibérément. Et deuxièmement, parce qu’on ne trouve pas ce genre de monnaie part-ici.

- Vous avez l’air de bien vous y connaitre en… Continent.

Rubie articula chaque syllabe de ce terme nouveau qui peinait à se former dans sa bouche.

- Je ne dirais pas ça. Mais j’aime bien la géographie, tout ce qu’il y a au-delà de la Capitale me fascine.

Hier encore, elle pensait exactement la même chose de ce qui se situait après l’épaisse forêt bordant la septième tour. Désormais, elle aurait tout donné pour y retourner.

- Quelle tour à Avem ?

- Comment-ça ?

- Dans quelle tour avez-vous résidée ?

- Oh, la septième.

Salomé haussa les sourcils dans un mouvement dédaigneux.

- Ah, je comprends mieux, vous avez pris la 513. Les passeurs l’ont mise en service ce matin. Elle n’est pas totalement au point, ce qui explique que vous ayez atteri ici.

Ici ? Pourquoi n’aurait-elle pas dû se retrouver ici ?

- J’étais encore jeune lorsque j’ai quitté la Capitale, mentit Rubie avec une aisance qu’elle ne se connaissait pas, et je ne me souviens pas de grand-chose. Pourriez-vous me dire ce qui cloche avec cet endroit ?

- Disons que les portes donnent d’ordinaire sur des quartiers plus… jolis.

Eh bien, cet endroit défiait de loin tout le luxe qu’Avem pouvait rassembler. De quel type d’insolence pouvait alors être les beaux quartiers ?

- Et vous savez comment vous y rendre ?

Salomé soupira.

- Je ne le sais que trop bien, j’y ai résidé toute ma vie. Et j’aimerais pouvoir les fuir avant que les Condors ne remettent les pieds dans cette partie de la ville.

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