Rubie avait souvent entendu Andréas parler de Condors quand il la croyait endormie. Ces grands oiseaux dorés hantaient ses cauchemars telles des ombres mystiques, elle n’imaginait pas les voir un jour personnifiés.

- Vous craignez les Condors ? crut-elle bon de demander. Pourquoi ?

- A vrai dire je… je suis une protectrice.

La simple mine désorientée de Rubie suffit à Salomé pour comprendre qu’elle n’avait pas été comprise.

- Vous étiez vraiment jeune quand vous avez quitté la Capitale. Vos parents ne vous ont jamais parlé des porteuses de sphère ?

Encore aurait-il fallu qu’elle eût des parents.

- Très bien. Vous avez de la chance qu’il me reste encore quelques heures avant que mon passeur n’arrive.

La jeune fille aspira une longue gorgée de thé à la fraise et se mit à raconter.

- Dans chacune des villes du Continent se trouve une fille dotée d’importants pouvoirs magiques, une porteuse de sphère. Chaque année, les Condors parcourent le ciel à leur recherche afin de les ramener ici pour ce que le Conseil aime appeler : le grand spectacle. Toutes les porteuses sont alors enfermées au Palais de Cristal où elles apprennent à contrôler leur magie, et y rencontrent les fils des familles les plus nobles de la Capitale. Au cas où vous ne l’aviez pas encore deviné, toute cette mascarade ne sert en réalité qu’à former des unions qui renforceront encore davantage le pouvoir des puissants de ce monde. Et bien sûr, la totalité de leur séjour au palais est retransmis à l’ensemble des habitants de la ville dans le plus parfait des directs.

Lorsque le dernier point de cette histoire fut posé, Rubie sentit ses mains trembler sur ses genoux. Bien que fatigué par tout ce qu’il avait déjà rencontré, son esprit n’avait pas mis longtemps pour comprendre qu’elle faisait partie de ces fameuses porteuses dont Salomé parlait. Cette révélation ne l’avait, pour le moment, ni rassurée, ni stressée davantage. Elle souhaitait simplement apprendre si son interlocutrice se comptait parmi ses alliées.

- C’est… eh bien… un concept étrange. Là où j’ai grandi, ce sont généralement les sites de rencontres qui engendrent les mariages. Mais vous ne m’avez pas encore parlé du rôle que les protectrices avaient dans cette histoire.

- Je pensais que ça coulait de source. Les protectrices sont là pour… protéger… les porteuses de sphère. On est censé faire en sorte qu’il ne leur arrive rien.

- Ça me parait plutôt louable, pourquoi cherchez-vous à l’éviter ?

- Croyez-moi, si vous étiez à ma place, vous n’auriez pas envie de passer plusieurs semaines enfermée au Palais de Cristal. Cet endroit est loin d’être aussi féérique qu’il ne le laisse paraître.

Voilà quelque chose de fâcheux.

- Alors vous allez vous enfuir. Ce soir.

- Perspicace.

- Et vous vous risquez à raconter tout cela à une inconnue ?

Salomé esquissa un sourire en coin.

- Quand bien même vous voudriez m’arrêter, vous n’y arriveriez pas. De plus, j’imagine que vous avez des projets plus intéressants que de gâcher la vie d’une adolescente.

- En réalité, j’aimerais voir à quoi ressemble ce Palais de Cristal vu de l’extérieur.

- Je n’ai donc pas réussi à vous en dégoûter.

Il fallait croire que non, malheureusement.

- Le souci, c’est que je ne sais absolument pas comment m’y rendre. Vous pourriez peut-être me renseigner ?

Toujours aussi souriante, elle finit sa tasse et pointa du doigt un miroir placé au cœur de la décoration.

- C’est une porte secrète, conçue par un passeur clandestin. Elle vous mènera au palais.

- C’est gentil, vraiment, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans vous.

- Au plaisir.

Et Rubie plongea littéralement dans un miroir.