chapitre 18 : cher Théoxane

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Le trajet jusqu’à l’aile Ouest fut surement le plus long de toute son existence. Elle marchait d’un pas mécanique, son esprit toujours occupé par la voix glaçante de Miza. Elle revoyait son visage, ses yeux morts et sa peau pâle à chaque fois qu’elle fermait les paupières. La présence de la déesse flottait sur elle comme une ombre mortuaire, un chaperon qui la tuerait au moindre faux pas. Malgré cela, elle ne pouvait s’empêcher de penser à Théoxane. Même à l’autre bout du monde, il était le seul à pouvoir l’apaiser.

A mesure qu’elle marchait, le garde prenait sur elle une avance considérable. De temps en temps, il jetait un regard en arrière, vérifiant qu’elle était toujours là. Rubie lui souriait alors, mais jamais il ne lui avait rendu son sourire.

Elle ne cessa de le considérer, lui et son allure morose, jusqu’à ce qu’il ne laisse échapper une vieille image, jaunie par le temps. C’était une photographie, celle d’une petite fille en robe rose courant dans un champ de coquelicots rouges. Elle avait l’air heureuse, douce et naïve, presque touchante.

- Ne touche pas à ça ! s’exclama le garde en lui retirant la photo. Ça ne t’appartient pas !

- C’est votre fille ?

L’homme se glaça. Ces simples mots firent perler au bord de ses cils de petites larmes angevines.

- C’était, dit-il simplement avant de replonger à tout jamais le papier dans sa cuirasse.

- Que lui est-il arrivé ?

Il ne répondit pas. Rubie, qui connaissait parfaitement la valeur du silence, décida de ne pas insister.

- J’ai perdu des proches moi aussi, ajouta-t-elle tout de même.

La silhouette imposante du garde se figea net.

- Tu devrais les oublier, lui répondit-il sans la moindre émotion, sinon la douleur de leur souvenir te consumera de l’intérieur. Crois-moi ma petite, tu vas déjà bien assez en baver ici pour apporter avec toi ton propre bagage de souffrance.

Ne sachant quoi penser de ses paroles, Rubie lui lâcha un sourire mécanique. Un sourire qu’il lui rendit enfin. Ils semblaient compatir l’un l’autre à la déchirure qui leur ciselait le cœur. Ceci était d’autant plus triste que ce fut la dernière fois qu’ils s’adressèrent la parole.

Ils marchèrent encore de longues minutes avant que leur environnement ne daigne enfin changer. Les luxures devinrent plus softs, les murs se vidaient de leurs tableaux, les plafonds de leurs dorures et les planchers cristallins se troublaient. Même les domestiques, qui arpentaient d'ordinaire les couloirs, devenaient rares dans cette partie du château. Il n’y avait personne, rien de plus que le silence pesant de la solitude. Bienvenue dans l’aile Ouest.

Sans croiser davantage de compagnie, les deux compères arrivèrent devant une porte en bois poli. Le garde tendit à Rubie une petite clef d’argent, qu’elle s’empressa d’engouffrer dans la serrure.

- Merci, bredouilla-t-elle avant qu’il ne parte.

Mais il ne daigna pas même se retourner.

En poussant le battant, la jeune fille découvrit une pièce plus grande que ce à quoi elle s’attendait, garnie de deux lits à baldaquin, deux fauteuils de cuir blanc et des bureaux en bois de chêne. Un lustre à bougie servait d’éclairage nocturne quand les rayons naturels du jour ne perçaient plus le cristal plafonnier.

Epuisée, Rubie s’affala sur le lit, moelleux, et se mit à tester du doigt le lin qui en confectionnait les draps. Sur le point de s’endormir, elle prit soudain conscience de la tenue qu’elle portait. Elle se redressa doucement, de sorte à ne pas s’accabler de vertige, et découvrit une malle rangée sous le sommier. Lorsqu’elle l’ouvrit, elle vit s’étaler devant elle des dizaines, des centaines de vêtements blancs, allant de la robe de bal jusqu’au chemisier de nuit. Parfait. Elle s’accommoda d’une petite nuisette en soie, légère mais confortable, qui cachait presque le bas de ses cuisses.

Mais dans des habits propres, son corps lui semblait encore plus sale. Elle imaginait déjà la chaleur de l’eau coulant sur sa peau abîmée et les odeurs fruitées des savons pénétrant ses narines. A peine s’était-elle glissée dans la baignoire que ses yeux se fermèrent. Lorsqu’elle les rouvrit, elle remarqua à la couleur du ciel que plusieurs heures s’étaient déjà écoulées. L’eau en était presque devenue froide. Oups. Elle attrapa à la volée un peignoir accroché au mur et s’empressa de sortir. Ses cheveux pleuraient sur ses épaules, mais elle ne parvenait pas à les essorer tant ses bras s’étaient vidés de leur force.

Son lit l’appelait. Elle s’y rallongea volontier, mais ne parvint pas à trouver le sommeil. Des pensées l’assaillaient à chaque fois qu’elle tentait de se vider la tête, coupant parfois sa respiration, jusqu’à la laisser au bord de la crise d’angoisse. Elle choisit donc de balader son regard dans l’immensité de l’espace, espérant y dénicher un soupçon de sérénité cachée.

Cette pièce, bien que simpliste comparée à ce qu’elle avait déjà vu, demeurait bien plus confortable que son petit appartement d’Avem. Malheureusement, le luxe ne s’était jamais compté parmi ses désirs les plus inavouables, bien au contraire, et l’intimité de sa chambre d’ado lui manquait. Sa chambre, parmi tant d’autres choses...

D’un coup, elle se sentit emprise d’une envie incontrôlable, si forte qu’elle en balaya son stress. Elle se releva, trop vite pour éviter les vertiges, et s’installa à l’un des bureaux. Elle y trouva de nombreuses feuilles vierges, une plume et de l’encre. Génial. Maintenant parfaitement équipée, elle pouvait écrire.

Cher Théoxane,

Je t’écris cette lettre que tu ne liras jamais pour te dire que je vais bien. Je sais, ça n’a pas beaucoup de sens, mais l’on ne fait pas les choses pour le sens qu’elles ont. Je n’écrirai rien à Andréas, du moins pas pour le moment. Je ne suis pas encore prête à lui pardonner, mais il reste mon frère et je l’aime pour cela. Dis-lui, s’il te plait.

J’aurais également un service à te demander. Maintenant que cet imbécile est devenu le chef de notre clan, il va devoir faire face à la montée avide du pouvoir et aux manigances qui l’accompagnent. Veille sur lui, pour moi. Protège-le des autres, et protège-le aussi de lui-même. J’imagine qu’il doit s’en vouloir à propos de ma disparition. Rappel lui que ce n’est pas sa faute. En réalité, je commence à croire que ce n’est la faute de personne, si non celle du destin.

Ne reste pas non plus trop longtemps à broyer du noir. La vie est faite de trop de belles choses pour perdre son temps à se rappeler les mauvaises. Sois heureux, et je te promets d’essayer de faire de même là où je suis. Si seulement tu pouvais voir cet endroit, il est encore plus beau que tout ce que nous avons imaginé. Je te promets de t’en dire plus à mon retour, car oui, je reviendrais. Je ne sais pas encore quand, mais je peux te jurer qu’un jour nous nous reverrons. Attends une minute, ça ne te rappelle pas la tirade d’un film romantique ? Pour rester dans le thème, il y a encore une autre chose que j’aimerais que tu fasses durant mon absence. Pourrais-tu monter sur le toit de la septième tour lorsque la nuit est la plus noire, et regarder l’étoile la plus brillante. C’est un peu cliché mais sache que moi je le ferais, en pensant à toi. Ce sera notre façon de communiquer malgré la distance. Tout ce que tu confieras à cette étoile, je le recevrai. Et quand je la contemplerai, je te sentirai auprès de moi.

Je te souhaite le meilleur du monde, à toi qui as toujours su rendre mon monde meilleur.

En espérant que tu puisses recevoir cette lettre,

Ta Rubie

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