chapitre 39 : les quatre couples

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Sans doute avait-elle été blessante, mais au moins elle avait la certitude que cette réflexion lui ferait passer l’envie de forcer la séduction. L’audace n’avait d’intérêt que lorsqu’elle lui plaisait. Sur certains visages, l’arrogance prenait les teintes fades de la suffisance. Morgan avait le goût d’un soda industriel. Pire que l’eau plate, il se croyait agréable lorsqu’il n’était que toxique, et toute la délicatesse de sa saveur s’effaçait derrière un parfum artificiel à l’intérêt vendeur. Il voulait être aimé, et Rubie ne l’aimait pas. Peut-être l’aurait-elle apprécié, dans d’autres circonstances… peut-être l’aurait-elle apprécié, si Marco n’avait pas été là, s’il ne l’avait pas fait douter de lui, si elle ne l’utilisait pas pour se dédouaner d’une faute qu’elle n’acceptait pas avoir commise. Merci, Morgan.

De nouveau seule, elle s'assit contre le battant de la porte qui menait à la salle commune. Elle voulait entrer, elle devait entrer, mais une force la retenait à l’extérieur, le même genre de force qui cloue au lit un matin de rentrée scolaire. Elle désirait, mais pas assez ardemment pour faire, et son cœur brûlait de raison plus que d’envie.

Juste en face d’elle, brillant à la lueur de l’interdit, une autre porte l’attirait. Le Palais de Cristal et ses mystères, loin du blanc artificiel de l’aile Ouest. Salomé avait raison, il était temps qu’elle impose au jeu ses propres règles.

La jeune fille traversa l’allée d’un pas décidé. Elle posa sa main sur la poignée, certaine de ne pas revenir en arrière. Son cœur battait vite, très vite, et elle aimait se rappeler qu’elle était vivante. Un faisceau de lumière balaya l’entrebâillement, la laissant apercevoir ce qui lui était inaccessible. Puis il y eut cette silhouette, une silhouette qu’elle ne connaissait que trop bien.

Pourquoi Nala se trouvait-elle dehors ?

Elle referma la porte, ne désirant pas répondre à la question, préférant la confiance aveugle au risque d'une décéption. La jeune fille devait avoir ses raisons. Elle pria seulement pour que celles-ci ne soient pas trop grave. Nala était sa seule amie dans cette partie du monde, trop unique, trop précieuse pour être perdue.

Chamboulée, elle pénétra dans la salle commune.

- Elya ! s’exclama Luciana Uculminawe. Je suis trop contente de te voir ! Je commençais à m’inquiéter pour toi, après ce qui est arrivé à Marco. Vous aviez l’air proche, est-ce que ça va ?

Elle ne sut quoi répondre. Était-elle seulement légitime d’étaler sa tristesse ? Ne valait-il pas mieux ne rien dire pour oublier ?

- Il ne méritait pas ça, déclara-t-elle finalement. Mais je vais bien, merci.

Elle sourit, presque rassurée de voir qu’elle s’améliorait dans l’art du mensonge.

Luciana était une petite fille, et l’adjectif « petit » n’avait rien de décoratif. Son visage pétillait d’enthousiasme même dans les moments les plus sombres, la joie semblait suivre son modèle. Elle prêtait à tout le monde l’attention que chacun attendait. Elle voulait que ce palais transpire le bonheur comme elle pouvait en déborder. Dommage, Luciana, que tes rêves ne deviennent pas réalité.

- Tant mieux, ça me rassure. Mely, Alondra et moi avons commencé une partie des « quatre couples », tu veux venir jouer avec nous ?

Les « quatre couples », de tous les jeux de cartes qui pouvaient exister, elles devaient choisir celui qui avait manqué leur ôter la vie ? Les adolescentes sont étranges, autant qu’est étrange la désinvolture adolescente.

Rubie voulut refuser l’invitation. A quoi bon se fatiguer, Luciana ne s’intéressait pas réellement à elle, pas plus qu’à toutes les autres filles, et elle le savait. La gentillesse est une jolie façade au Palais de Cristal, un bonbon sucré qui garde dissimulées ses notes d’anis. Mais si elle ne serait jamais une amie, la belle Luciana était une porte ouverte sur le monde, une porte qu’il serait mal venu de refermer.

- C’est gentil de proposer, j’accepte avec plaisir.

Elle prit place autour d’une adorable table ronde, et saisit l’un des paquets préalablement distribués. Le but de cette partie était heureusement des plus banals, obtenir les quatre couples de rois et reines, par pioche ou échanges, sans ne jamais avoir entre ses mains un roi et une reine de symboles différents si l’on ne possédait pas leur carte complémentaire. Simple, presque ennuyeux.

Rubie gagna la première manche. Puis la deuxième, et la troisième ne fit pas exception. Elle avait de l’expérience, des soirées entières, passées seules avec Andréas à exercer cette activité stupide. Les « quatre couples » avaient rythmé son enfance, et aujourd’hui, si loin de ces rêveries naïves, elle ne pouvait plus se les voir en peinture.

- Dis-moi Elya, j’ignorais que tu avais un talent caché pour ce jeu.

- Ce n’est plus du talent à ce stade, ajouta Alondra en attrapant un petit gâteau, c’est de la véritable maîtrise.

- Je me suis entrainée avec mon frère, avoua la jeune fille. Mais j’ignorais être encore capable de gagner.

Les demoiselles sourirent. Elles souriaient tout le temps, et il était impossible de connaitre les réels sentiments que dissimulaient leurs rictus artificiels.

- Je ne sais pas vous, finit par rétorquer Mely au bout de quelques minutes de silences, mais perdre me fatigue. Je n’ai plus vraiment envie de jouer. En revanche, j’ai très envie de discuter un peu.

Babillages et tasse de thé, déballons les potins de la Capitale.

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