chapitre 56 : la chose qui compte le plus pour moi... c'est moi.

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Salomé apparu entre deux nuages brumeux et multicolores.

- Alors, tu t’es bien amusé ? lui demanda Sam encore vaseux.

- Plutôt oui. Et toi, je vois que tu as profité des fumées du Minuit. Comment étaient les étoiles ?

- Scintillantes… vraiment… scintillantes.

Profiter des fumées ?

Rubie se sentit idiote. La fumée dispersait des hallucinogènes, et ce ciel qu’elle avait tant admiré était en réalité une simple illusion dûe à la drogue. Peut-être que tout cet endroit n’était qu’un amas de mensonges, et qu’elle se réveillerait demain sans qu’il n’ait jamais existé. Pourtant, une chose lui semblait plus réelle que les autres, les néons roses du Crépuscule transperçaient son imaginaire tant et si bien qu’elle ne put douter de leur existence. Ce club était certes envoutant, mais il n’avait rien d’illusoire.

- J’aurais bien aimé les voir avec toi, ajouta Salomé le sourire aux lèvres, mais il faut absolument que nous rentrions.

- Très bien, à une prochaine fois alors, la salua Sam non sans adresser un dernier clin d’œil à Rubie.

Les trois jeunes filles disparurent de nouveau dans la pénombre des quartiers interdits. Au détour d’une ruelle elles croisèrent un passeur dont Salomé semblait mériter les services. En moins de temps qu’il le fallait pour le dire, elles se retrouvèrent dans les couloirs immaculés de l’aile Ouest. Leurs vêtements sombres empestaient la fête et la débauche, mais les gardes avaient depuis longtemps cessées leurs rondes.

- Je vous conseille de vous dépêcher si vous espérez encore pouvoir dormir cette nuit.

- Tu ne viens pas avec nous ? s’étonna Rubie.

- J’ai deux ou trois choses à régler. Je te rejoindrais, déclara la jeune fille avant de s’en aller.

Nala marchait d’un pas absent. Son esprit évoluait toujours dans les décors féériques de la Capitale. Elle sentait les pierres blanches sous ses pieds, la chaleur du thé sur sa langue et les commérages au seuil de ses oreilles. Elle y était encore, à tel point qu’elle partit sans adresser à Rubie un petit « à demain ».

Quand la jeune fille entra dans sa chambre, elle s’écroula sur son lit sans prendre le temps de se changer. Elle s’endormit dans la seconde, happée par les rêves du Minuit.

Le réveil fut plus difficile qu’elle ne l’aurait cru. Ses cils s’entrelaçaient si fermement qu’il lui était impossible de décoller ses paupières. Lorsqu’elle y parvint enfin, un rayon de soleil lui irradia la rétine jusqu’à lui décrocher une larme.

- C’est toujours comme ça au début, lui dit Salomé dont la fatigue n’avait absolument pas altéré les traits. Avec le temps, on s’habitue.

- J’espère, au moins pour Nala. Si elle doit espionner tous les soirs, ce serait mieux pour elle qu’elle ne soit pas dans cet état tous les matins.

- Tu l’aimes bien cette fille, non ?

Cette question, pourtant innocente, réveilla chaque cellule de l’esprit de Rubie qui se remit tout à coup à fonctionner.

- Ça dépend de ce que tu entends par-là ?

- Je veux dire que vous êtes amies. Tu tiens à elle, et elle tient à toi. Elle serait prête à mourir pour toi, j’espère que tu le sais.

A l’évidence, Nala appréciait Salomé bien plus que Rubie ne l’aurait imaginé. Elle s’était confiée à elle, comme elle ne l’avait jamais entendu se confier.

- Les amitiés à la Capitale, poursuivit-elle, sont bien plus forte que tout ce que tu as pu connaitre sur le Continent. Quand tu es seule au monde, la moindre personne à qui tu peux t’attacher devient pour toi un encrage. Sans elle, tu sombres littéralement. Je suis contente que tu ais trouvé quelqu’un comme ça pour être à tes côtés.

Ces paroles forcèrent la jeune fille à reconsidérer sa relation avec Nala. Elle tenait à elle, c’était certain, mais elle avait ce sentiment étrange que si elle mourait demain, sa vie continuerait à tourner. Sa présence lui faisait du bien, mais sa disparition ne la détruirait pas, et c’était cela qui l’inquiétait. Était-elle si renfermée qu’il lui était totalement impossible de s’attacher à quelqu’un ? Cette possibilité, pourtant terrifiante, l’aurait rassurée. Mais ce n’était pas cela. Il y avait une personne, ici à la Capitale, à qui elle tenait terriblement et pour qui elle serait prête à donner sa vie.

- Et toi, qui est ton encrage ?

Salomé se retourna, interrogative. C’était une question à laquelle elle n’avait jamais songée, sur laquelle elle n’osait s’attarder.

- Ça ne te regarde pas, déclara-t-elle pour se dédouaner de répondre.

Rubie semblait déçue. Alors qu’elle s’apprêtait à sortir, Salomé s’arrêta devant la porte.

- Je te le dis si tu réponds à une de mes questions.

Sans hésiter une seconde, la jeune fille accepta.

- Quelle est la chose la plus importante pour toi ?

- C’est ça ta question ? Je m’attendais à autre chose.

- Je n’ai besoin que de ta réponse pour savoir si oui ou non tu es quelqu’un qui mérite ma confiance. Alors, j’attends.

Rubie réfléchi un instant. L’enjeu était énorme, toute sa relation avec Salomé semblait se tenir là, pendue à ses lèvres. La sincérité, c’était la seule carte qui lui était légitime de jouer.

- La chose la plus importante pour moi… C’est moi.

Salomé arqua un sourcil. Venant d’une porteuse, cette réponse ne l’étonnait pas ; mais venant de Rubie, elle la décevait.

Pas la personne que je suis, reprit la jeune fille, mais la personne que je pourrais devenir. Ici, je n’ai ni amour, ni famille, ni même de réel ami. Je n’ai rien. Je n’ai que moi. Il n’y a que sur moi que j’ai de l’influence, il n’y a que mes actes que je peux contrôler. Alors oui, je crois que ce qui m’est le plus chère, c’est de devenir quelqu’un de bien. Pas forcément quelqu’un de respecté, mais quelqu’un de bien. Pour que le monde soit meilleur en ma présence qu’en mon absence. C’est tout ce que je souhaite.

Sans le savoir, Rubie venait de formuler les seuls et uniques mots que Salomé n’aurait jamais pu prévoir. Les seuls qu’elle désirait entendre.

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