Chapitre 62 : les sorcières n'existent pas

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- T’es comme ça, toi, tu fais la sieste pendant que les autres bosses !

Rubie avait hésité un instant à rejoindre le théâtre, puisque sa cheville ne lui faisait plus mal, mais la simple idée de danser encore parmi ces petites plumes blanches l’avait ravisée. Au lieu de cela, elle était partie se reposer dans sa chambre, un repos qu’elle jugeait bien mérité.

Lorsque Salomé entra dans la chambre et la vit, elle ne s’imagina pas une seconde l’ampleur des périples qu’elle avait pu traverser. Rubie lui raconta, non sans ponctuer ses phrases de quelques commentaires, et Salomé rit de ses mésaventures.

- Et donc, ce Marco, ce n’est qu’un ami…

- Tu ne vas pas t’y mettre, Nala m’a déjà bien assez pris la tête comme ça.

- Comme tu veux, déclara-t-elle tout en s’allongeant sur le lit. Dans ce cas, parle-moi du Continent.

Rubie manqua de s’étouffer avec sa propre salive. Ici, le Continent n’était pas un sujet abordable. Elle en parlait si peu qu’elle avait presque oublié ne pas être la seule à le connaitre.

- Qu’est-ce que tu veux que je te raconte ?

- Tout. Tout ce qui peut être intéressant à raconter.

Elle s’était installée telle une enfant qui attendait sagement qu’on lui conte une histoire avant l’heure du couché.

- Eh bien, commença Rubie, je vivais dans un petit appartement avec mon frère ainé. Je n’ai jamais connu mon père et ma mère est décédée le jour de ma naissance.

- Oh, je suis désolé. Alors les femmes meurent aussi en couche sur le Continent.

- Elle n’est pas… elle n’est pas morte en couche.

L’intérêt de Salomé s’accentua. Peut-être cette curiosité était-elle malsaine, qu’importe.

- Ma mère a passée toute sa vie dans la septième tour d’Avem. Ses parents n’étaient pas très riches, ils tenaient une boutique de jouets et gagnaient juste assez pour faire vivre leurs deux enfants. Mon oncle, lui, s’intéressait davantage à la fête et à la débauche qu’à l’éducation qu’ils tentaient désespérément de lui donner. Quand elle était encore enfant, elle s’est liée d’amitié avec Nora Vigilate, la fille cadette des gérants du « bienvenu chez-nous », un restaurant familial dont tout le monde connait encore le nom. Ensemble, elles sont devenues les deux premières femmes à prendre la tête d’un clan. Nora Vigilate, chef du clan Milan, et Victoria Falcon, chef du clan Faucon. Quelques années plus tard, elles ont chacune eut un fils. Mon frère, Andréas, et Théoxane, mon meilleur ami. Mais quand ma mère est devenue chef, mon oncle a prit cela comme un affront. Tombé dans la drogue depuis longtemps, il a tenté de rejoindre le clan de ses dealers, le seul auquel l’on n’accède pas par la naissance, mais par la mort. Pour cela, il devait tuer une personne dont il était proche.

- Attends, tu veux dire que…

Rubie ne put acquiescer.

- J’ai poussé mon premier cri, poursuivit-elle, et elle son dernier. Pour ne rien arrangé, je suis née les yeux rouges et des pouvoirs magiques pleins les mains. Andréas voulait que je les dissimule, et ces cachoteries incessantes faisait courir le bruit que j’étais une sorte de sorcière maudite. Peut-être le suis-je, finalement.

- Tu n’es pas une sorcière, les sorcières n’existent pas.

Rubie laissa échapper un rire qu’elle ne prit pas la peine d’étouffer.

- Il y a encore quelques semaines, je pensais qu’Avem était la seule terre qui peuplait ce monde. Je pensais également que j’étais la seule personne à pouvoir… enfin… tu as compris. De toute évidence, je me trompais. Depuis, je ne m’avance plus sur ce qui existe ou non.

Salomé sourit. Il y avait dans ces paroles une perspicacité qu’elle ne pouvait nier.

- Parle moi encore de ton frère et de ton meilleur ami.

- Andréas est… c’est un idiot. Il sait que je n’ai que lui au monde et pourtant, il n’a rien trouvé de mieux que de se jeter dans un combat à mort pour prendre la tête de notre clan. Il aurait perdu, si je n’étais pas intervenue.

Ces souvenirs firent remonter en elle des émotions qu’elle pensait disparues. De la colère… de la rage… de la douleur.

- Maintenant il doit être chef… j’imagine. Quant à Théoxane, il est la perfection imparfaite, l’enfance qui refuse de grandir. C’est un paradoxe humain, une contradiction vivante qui pousserait la bonne société hors de ses gonds. Mais… il est le seul qui réussissait toujours à me faire sourire, à oublier mes problèmes même quand ils me paraissaient insurmontable.

- Il te manque ?

Cette question n’avait pas besoin de réponse.

- Il y avait des fêtes, dit-elle afin de détourner la conversation, dans un club appelé le Démonium, qui t’auraient surement retourné la tête. On y jouait du vice comme c’est indécent de le faire, et alors le temps se figeait. J’aimais y danser, danser et danser encore, jusqu’à ce que mes jambes ne puissent plus supporter mon propre poids. Cet endroit était certes le plus sordide que je n’ai jamais connu, mais c’était un temple de la liberté comme la Capitale n’en connait aucun.

Puis elles continuèrent à parler, parler et parler pendant des heures. Rubie lui détailla son enfance, son école qu’elle détestait, les amis qu’elle peinaient à se faire. Elle lui parlait des anniversaires, de ses bougies qu’elle avait prit l’habitude de souffler sur des crayons de papier car Andréas n’arrivait pas à craquer la sécurité enfant des briquets. Elle lui dépeignit les nuées d’oiseaux volants dans le ciel, et l’arène dans laquelle les combattants se battaient à la mort d’un commandant. Elle lui dit tout, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus en elle une anecdote qu’elle se souvenait ne pas avoir partagée. Sur le récit d’un rencard raté, les deux jeunes filles s’endormirent.

Quand elle se réveilla, le lendemain matin, Rubie trouva à ses côtés une place chaude, mais vide. Salomé commençait plus tôt qu’elle. Elle le savait, mais cela l’attristait toujours.

Maintenant qu’elles étaient amies, de véritables amies, elle aurait aimé passer plus temps avec elle. C’est ainsi qu’agissaient les gens normaux, n’est-ce pas ? L’amitié n’était pas une discipline dans laquelle elle possédait une grande expérience. Elle voulait bien faire, mais ne savait pas trop comment s’y prendre. Avec Nala, tout était tellement plus simple. Si elles venaient à se disputer, et que la jeune fille sortait définitivement de sa vie, Rubie savait qu’elle s’en remettrait. Mais Salomé… Son départ laisserait en elle un vide qu’elle ne pourrait combler. Elle était sa protectrice, quelque-chose les liaient au-delà de leur volonté.

A mesure qu’elle se préparait, ses pensées passèrent de Salomé à Marco. Allait-elle le revoir aujourd’hui, lui qui l’avait si étrangement guérit de son mal ? Ce garçon l’intriguait, plus qu’elle ne l’aurait souhaité et plus qu’elle ne pouvait se le permettre. Son accent étranger, ses yeux charmeurs et ce don miraculeux pour la guérison, il cachait des secrets et elle voulait les découvrir. Une excuse, une de plus.

Rubie jeta un petit coup d’œil à l’horloge. Il lui restait environ dix minutes avant de rejoindre Nala, juste assez de temps pour gribouiller quelques mots dans son carnet. L’écriture était un art qu’elle avait commencé à pratiquer en arrivant à la Capitale, et elle y avait pris goût. Mais avant qu’elle n’ait pu saisir le petit calpin de cuir verni, quelqu’un vint tambouriner à sa porte.

Nala lui apparut, sale et fatiguée comme si elle venait de passer trois jours, seule, en pleine forêt. L’excitation dans ses yeux tranchait avec les deux énormes cernes qui lui balafraient le visage, un visage perdu entre euphorie et tourment.

- Qu’est-ce que tu as, lui demanda-t-elle en la faisant entrer.

Essoufflée, elle s’assis sur le lit puis finit par s’y écrouler.

- Dit à Rose que je suis malade, déclara-t-elle.

- Est-ce le cas, ou tu me caches quelque-chose ?

Nala ne répondit pas. A l’inverse de Rubie, elle n’avait aucun talent pour le mensonge.

- Rejoins-moi dans ma chambre ce soir, il faut que je te montre quelque-chose.

A ces mots, et avant que Rubie ne puisse répondre quoique ce soit, la jeune fille s’évapora dans le couloir.

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