chapitre 68 : Le seul gagnant de ce jeu funeste est en réalité celui qui n’y joue pas

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- Détaillez votre théorie, ma chère lionne, je suis curieuse d’en apprendre davantage.

Nala ne semblait pas une seconde perturbée parce qu’elle venait d’entendre. La chose lui paraissait naturelle, effrayamment normale.

La lionne avala d’un coup un grand verre de vin puis expliqua sa stratégie sur un fond de métaphores rosées.

- Imaginez, trois roses prenant le vent dans un jardin. Un homme, en mal d’amour, vient en cueillir une pour sa femme. Ainsi, les deux autres chercheront à le lacérer de leurs épines, aussi bien pour venger leur sœur défunte que pour se protéger elle-même. Mais en cherchant un homme dans une foule d’hommes semblables, d’autres risques fort de s’y piquer. Reste à voir par la suite qui des hommes ou des roses sortira vainqueur, et au fond qu’importe puisque chaque camp sera tout de même ébranlé. Le seul gagnant de ce jeu funeste est en réalité celui qui n’y joue pas.

- Soit, mais comment comptez-vous pousser un homme à faire ainsi faner une fleur qui lui apporte, au-delà de l’amour, un pouvoir absolu ?

- En ne lui laissant pas le choix. Il arrive parfois que le meilleur des engrais tue la plus robuste des plante ma chérie, et ce sans même en avoir conscience.

Un engrais ? Voilà une jolie allusion au poison. Si la réputation de cette arme en faisait un atout de femme, il était certain que jamais il n’avait été joué de la sorte. Empoisonné un homme pour qu’il contamine par la suite son amante, tout en sachant que les sœurs Shenren n’étaient pas sensibles aux mêmes substances que les humains, était un plan aussi subtil qu’intelligent, un véritable chef-d’œuvre de la mort programmée.

La lionne posa ensuite son verre et toutes les femmes qui se trouvaient autour d’elle se dispersèrent dans le cabinet.

- Vain dieu la chapelle, qu’il peut faire chaud ici ! s’exclama-t-elle en refermant d’un coup sec son éventail.

- Vous devriez retirer votre manteau, déclara Rubie tout en s’asseyant à ses côtés.

Un sourire se plaqua sur le visage de la lionne qui la dévisagea avec fierté. Aucune des grandes dames ici présentes n’auraient osé s’adresser à elle de la façon dont elle venait de le faire.

- Tu as raison ma chérie.

- Je le sais.

Son regard changea soudain, et on y retrouva la méfiance qui aurait toujours dû y régner.

- Y a-t-il une chose, mademoiselle, au sujet de laquelle vous souhaiteriez m’entretenir.

Rubie aussi se figea. Elle savait à qui elle parlait, elle savait que le faux pas n’était pas permis. Pourtant, elle craignait de se perdre en demeurant passive. Changer le monde était une pensée délicieuse, qui deviendrait vite cauchemardesque si le Conseil était balayé au profit d’un ordre encore plus cruel.

- Je n’aime pas vos pratiques, avoua finalement la jeune fille.

- Bien, se contenta de répondre la lionne. Je ne te savais pas ce caractère audacieux, pourrais-tu me détailler ta pensée ?

Elle prit une grande inspiration, espérant qu’il flottait dans l’air le courage qui ne pouvait plus lui manquer.

- Renverser la reine ne devrait pas, à mon sens, nécessiter la mort d’un cavalier innocent. Il y a forcément une autre manière de faire tomber les sages.

- Si c’était le cas, très chère, penses-tu que je ferais ainsi couler le sang ?

Pour la première fois depuis qu’elle l’entendait, la lionne avait parlé clairement, n’usant ni de périphrase ni de métaphore, ce qui n’avait rien de rassurant. Bien que tremblante à l’intérieur, Rubie ne faiblit pas, elle voulait faire entendre son opinion.

- Je pense que vous faites ce qui est pour vous le plus simple et le plus sûre et…

- Et que je n’ai aucune considération pour les vies humaines, que la mort ne saurait m’arrêter si elle me permet d’atteindre mes objectifs ?

- Est-ce le cas ?

Avant de répondre, la lionne frotta le collier qu’elle avait autour du cou et prit les mains de Rubie dans les siennes. Ses yeux plongèrent dans son regard si intensément que la jeune fille eut l’impression qu’elle percevait jusqu’à l’intérieur de son âme. Puis sa langue se délia enfin.

- Je ne suis pas une enfant de cœur, jeune fille, il m’est impossible de l’être. Je pourrais surement renverser la reine sans impliquer mon cavalier, mais alors qu’adviendrait-il des pions que nous sommes ? Vous avez grandi dans cette ville, vous n’êtes pas sans ignorer que des femmes innocentes y sont abusées tous les jours. Ils nous tuent, nous violent, nous brisent pour leur simple plaisir. Les hommes ne méritent pas notre compassion, pas plus que le Conseil. Ce jeune garçon n’est peut-être pas un de ceux-là, mais je puis parier qu’il le deviendra bientôt. Si ce n’était pas le cas, s’il n’était pas avide de pouvoir comme ses pères, pourquoi s’approchera-t-il ainsi de Miza ? Je me dois de vous parler sans détours, car vos doutes ne peuvent être tolérés dans cette situation qui est la nôtre. Vous devez comprendre que si la théorie dit le contraire, la pratique ne nous laisse aucun autre choix. Une vie. Une vie pour des milliers.

Malheureusement, elle avait raison.

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