Maya
La belle Maya à la chevelure ébène avançait vers l'estrade en bois. Sa silhouette fine à la peau mordorée était mise en valeur par une robe aux teintes anthracites. Le tissu laissait entrevoir des courbes parfaites. Des chaînes d'argent liaient ses mains. Les seigneurs craignaient ses pouvoirs. Encore en ces temps futuristes, les légendes urbaines laissaient à penser que si ses doigts s'unissaient, la fille aux yeux d'émeraude pourraient les foudroyer sur place. Ils ignoraient l'étendue de sa maîtrise et allaient le regretter. Pour les chasseurs qui l'avaient faite prisonnière, la cabale se concluerait en cette fin d'après-midi au soleil couchant. Le jugement avait été prononcé en place publique, les mots durs et glaciaux furent sans appel. Aucune échappatoire ne semblait possible. Aucune chance ne lui avait été accordée. Pour sa défense, on lui avait désigné son propre bourreau qui derrière son masque se réjouissait de pouvoir lui retirer son dernier souffle. Impassible, dans ses yeux l'étincelle de vie crépitait, plus vive que jamais. Autour de la place, la foule s'empressait de découvrir celle que tous craignaient. L'onde de son arrestation s'était propagée à des kilomètres à la ronde. Les pires commérages s'étaient répandus et des déferlantes de paroles calomnieuses accompagnaient son ascension vers l'échafaud. Les malveillants s'enorgueillaient d'avoir réussi un sacré coup de filet. Les badeaux se bousculaient pour obtenir la meilleure place, les hommes se poussaient pour reluquer cette femme insaisissable. Combien auraient voulu caresser le galbe de ses seins si parfaitement dessinés ? Les femmes jalouses de sa beauté éternelle ne souhaitaient qu'une chose : la voir s'évaporer léchée par les flammes du bûcher avant de se consumer en enfer. Les enfants s'accrochaient aux jupons de leurs mères, ne comprenant pas ce qui se passait, certains criaient et d'autres pleuraient. Dans le sillage du cortège, une odeur de mort se diffusait. Rien ne le stopperait. Les spectateurs, emplis d'alacrité, s'enthousiasmaient.
Un tatouage partait de son poignet, s'enroulait autour de son bras pour se perdre dans son décolleté, un chèvrefeuille se frayait un chemin sur sa peau. À chaque extrémité, une pierre précieuse incrustée. Celle visible de tous sur la clavicule était une thulite. Symbole d'amour, de passion, et de confiance en soi, elle devenait dangereuse. L'élite était prête à châtier le moindre signe de compassion et de bienveillance qui en émanait. Leur principal objectif étant de soumettre la population aux plus viles activités, où la peur se nourrissait de la haine. Celle qui portait ce bijou était devenue un symbole à éradiquer, sa pureté, une menace pour leur légitimité. La seconde pierre était dissimulée à la naissance de ses seins, personne n'avait pu poser le regard sur ce bijou. Il serait mis au grand jour au cours du sacrifice, ainsi avec elle disparaîtrait tout signe de bonheur. Leur mission accomplie, les seigneurs de l'Ordre du Déclin assèneraient le coup de grâce. Plus rien ne les arrêterait.
Maya avançait tête haute entre les habitants des environs. Dans leurs yeux médisants, malfaisants, elle percevait la détresse d'un peuple prisonnier de la terreur imposée. Le gouvernement avait effacé de leur mémoire l'envie de liberté. Ils étaient de simples moutons apeurés, livrés à une meute de loups enragés. Elle ressentait leur détresse. Derrière leurs hurlements, elle cherchait une lueur d'espoir. Pourrait-elle puiser dans leurs hurlements assez de force pour se libérer de ses entraves ? Il ne lui faudrait qu'un seul sourire. Elle n'avait besoin que de ce minuscule rien pour échapper à ses agresseurs.
Le crépuscule jouait en sa faveur, les visages devenaient des ombres, elle ne percevait que les murmures de cette horde de messagers des ténèbres. Seul le foyer prêt à embraser l'échafaud offrait un point lumineux. Elle sentit des mains effleurer sa peau, des griffures lacérer ses chairs. Les hommes se comportaient en animaux ou simplement prenaient-ils leur véritable forme la nuit venue ? Le plan des nouveaux maîtres était-il d'éteindre toute trace d'humanité ? Eradiquaient-ils de cette façon toute forme d'espoir ? Sa marche se faisait plus lente, elle ressentait le poids de ces monstres entravant ses pas. Ils ralentissaient peu à peu sans le vouloir son dernier voyage, l'escorte ne voulait pas freiner la progression vers le but final. Ils poussèrent avec violence, à coup de pieds, de fouets et de bâtons, les malheureux accrochés à ses jupons.
C'était une nuit sans lune. Pourtant en tournant à l'angle de la rue, elle aperçut deux perles couleur améthyste briller dans la noirceur de la cité. Elle ne les quitta pas des yeux, ses battements de coeurs s'apaisèrent. Il était là, tout prêt. Un parangon de courage venait d'annoncer sa présence à ses côtés. Il était passé inaperçu dans la populace, un caméléon en toutes situations. Il se montrait. Il avait retrouvé sa trace, la rhodonite dissimulée dans son décoleté, l'avait guidé. Il attendait le moment idéal pour lui venir en aide.
Une fois devant les escaliers, ses gardiens la poussèrent sans ménagement. Maya rata la première marche et termina à genoux. Le géant avec une poigne de fer la souleva sans effort et la jeta à terre sur le ponton. Elle termina la tête la première sur le poteau. Le choc la sonna un bref instant. Ils l'attachèrent au mât, la soulevèrent comme une poupée de chiffon. Son ami se tenait prêt à agir, d'un sourire elle le lui interdit, il n'était pas l'heure. Ils devaient patienter. Attendre son signal. Le chef des Obscurs était trop loin d'elle, il fallait qu'il approche. Elle devait lui donner l'occasion de faire surgir sa colère et profiter de ce moment de faiblesse pour passer à l'action.
Le silence se fit, son corps se balançait dans le vide. Ses bourreaux émettaient des râles de plaisir, un ineffable bonheur s'élevait de l'assemblée. Maya était devenue un simple jouet, un pantin qu'ils pouvaient malmener. Son corps oscillait sous les coups de fouets. Les lanières lacéraient sa peau, le tissu de sa robe partait en lambeaux. Ils exultaient, elle ne disait mot. Aucun cri ne s'échappait de sa bouche, ses lèvres s'étiraient en un large sourire. À l'angle de la rue, son ami supportait de moins en moins de la voir subir un tel traitement. Il résistait parce qu'elle lui avait fait promettre. Mais combien de temps pourrait-il accepter qu'on la traite ainsi ?
Le Seigneur qui profitait du spectacle, assis sur son trône d'albâtre, s'impatientait. Les traitements infligés devaient la faire plier, au lieu de ça, il percevait son aura s'élever. Elle transperçait la nuit sombre. D'un geste sans appel, il ordonna à son bourreau d'arracher les derniers morceaux de soie qui recouvraient sa peau. Une onde dans la foule se propagea, la pierre de rhodonite se révéla. Le chèvrefeuille s'enroulait autour de son sein droit pour finir sa course à la naissance de sa poitrine. La sève de vie circulait en elle, il était temps pour les Chevaliers de l'Obscur d'éteindre tout espoir. La flamme qu'elle dégageait s'épuiserait tôt ou tard.
Maya souffrait mais résistait, il lui fallait juste attendre en espérant que la force qui l'habitait serait suffisante. Le sage des montagnes du Zénith l'avait bien formée, elle était prête. Pendant de longues heures, elle avait appris à supporter la douleur en s'extrayant de son corps. Celui-ci n'était que sa carapace charnelle dans ce monde présent. La lumière qui émanait des pierres reflétait son âme. Ses battements de coeur ralentirent inexorablement, elle était fin prête. Dans le ciel, apparut un dragon de feu, il transperçait les cieux de ses ailes majestueuses.
Un cri s'échappa de la horde de la foule. Dans les yeux du céleste animal brillaient la thulite et la rhodonite. Le signal était donné. Il piqua en direction de l'échafaud et de ses griffes acérés arracha les liens d'argent puis saisit le corps de la prisonnière délicatement dans sa gueule. Au passage, son ami qui jusque là était resté en retrait grimpa sur son dos. Les Chevaliers de l'Obscur ruminaient, leur fureur s'élevait dans les airs, lançant des éclairs pour transpercer l'animal qui s'éloignait. Le combat des deux mondes venait de commencer.
Attrape rêve
en réponse à un défi à "l'angle d'une rue".
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