Horizons

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La brise était fraîche et légère en cette nouvelle matinée. Les premiers rayons de soleil commençaient à briller au loin, éteignant progressivement les lumières de la ville encore endormie dans sa grande majorité. Sa chevelure se mit à flotter avec douceur, ondulant au rythme des courants d'air qui effleuraient sa peau. Elle balançait ses jambes lentement dans le vide, frissonnant légèrement devant le spectacle qui s'offrait à elle et qui lui donnait l'impression d'assister à une lente danse nuptiales de lucioles. Elle n'en avait jamais vu, des lucioles, mais elle se plaisait à imaginer que leur mouvement aurait été identique à ce qu'elle voyait. Genève, quarante-deuxième siècle. Elle réfléchit un instant à ce à quoi la vieille métropole ressemblait une vingtaine de siècles auparavant. Les descriptions qu'elle avait l'habitude de lire dans le livre qu'elle tenait en main lui faisaient rêver de maisons à l'architecture ancienne et pitoresque parsemées au milieu de grandes plaines entre le mythique Lac Léman et les grandes montagnes de l'Ancienne France. La vieille Dame, reste d'une cathédrale représentant les anciennes croyances païennes, se serait tenue au milieu de bâtiments disposés en cercle autour d'elle, grande et majestueuse, dominant le ciel et donnant presque l'impression de le caresser. Du haut de son building, elle aurait aperçu tout en bas une fourmilière colorée qui se serait sans cesse agitée sur des rythmes différents en fonction du moment de la journée. Tantôt très dense, tantôt très calme. Au fond, cela n'aurait pas été très différent de ce qu'elle connaissait, mais le côté romanesque lui plaisait. Elle imaginait des odeurs sucrées de nourriture qui lui auraient chatouillé les narines, des sortes de mets énormes en forme de cercles mélangeant viandes et feuilles qui lui auraient fait saliver, le tout agrémenté d'une sorte de liquide visqueux qui aurait produit une explosion de saveurs. Elle entendait les cris et les rires, les pleurs, les colères, mêlés aux tintements de véhicules primitifs roulant sur des sortes de tubes en caoutchouc. Elle se promenait au milieu de tous ces gens à la fois pressés et curieux, qui couraient pour faire la queue devant un monument dont elle n'avait pas entièrement saisi l'utilité rélle: une grande roue sur lequel des sièges étaient installés. Elle souffla légèrement lorsque le bip caractéristique de l'androïde tinta.

-"Cela faisait plusieurs jours que je n'étais pas sortie, j'avais oublié la sensation du plein air."

-"Le Professeur est-il au courant que tu es sortie de ton lit ?"

Elle secoua légèrement la tête de gauche à droite en guise de réponse.

-"Mes capteurs indiquent une réponse émotionnelle forte, et du stress. J'en déduis qu'il ne le sait pas. Tu devrais retourner dans ton lit. Ton état ne te permet pas de..."

-"De sortir et de respirer les particules nocives pour mon bio-organisme. Je risque de tomber et de me fracturer le bras, de faire une crise vasculaire, être victime d'une céphalée, bla bla bla." Elle se tourna à nouveau vers l'horizon. "C'est magnifique, vous ne trouvez pas ? Vous pensez que c'était semblable à l'époque ? Je veux dire, lorsqu'il n'y avait pas tout ça..."

-"Tout ça ?"

-"Oui, lorsque le soleil était naturel.. Lorsque les plantes poussaient en nombre dans les grandes vallées, que les animaux chantaient en trottant sur terre. Lorsque l'eau tombait du ciel..."

Elle sentit la pointe de l'aiguille s'insérer profondément dans son rachis. Ses yeux se fermèrent et elle s'effondra presque instantanément sous la pression du poids de son corps. Le grand homme la rattrappa in-extremis dans sa chute.

-"Pourquoi est-elle sortie ? J'avais spécifiquement indiqué aucune sortie. Elle n'est pas en état."

-"Je m'excuse, Professeur. Elle a échappé à notre vigilence." répliqua l' androïde.

-"Et comment a-t-elle fait pour échapper à "votre vigilence" ?"

-"Aucune information disponible à ce sujet dans les enregistrements."

-"Comment ca aucun enregistrement ? Aucune donnée biométrique ? Capteurs de mouvements ? Senseurs ? Traceurs ? Demande d'accès non autorisée ? Elle n'a pas pu se retrouver sur le toit sans avoir bougé de sa chambre ni avoir été détecté par quoique ce soit."

-"Négatif, Professeur. Les capteurs n'ont rien enregistrés d'anormal."

Le scientifique baissa les yeux vers la jeune fille endormie dans ses bras. Elle ne souriait pas, elle était totalement inerte, mais ses paupières frémissaient. Il savait qu'elle commençait à avoir de nouveau une douleur insupportable.

-"Aidez-moi à la ramener à l'intérieur. Elle a besoin de ses anti-douleurs."

Un gémissement, puis un deuxième, et un troisième. Elle entendait des petits cliquetis au fur et à mesure qu'elle s'approchait de la porte entreouverte. Elle passa un oeil dans l'entrebaillement. La pièce était sombre, à peine éclairée par une lueur provenant du fond. Elle essaya de basculer légèrement sur la droite en appuyant sur sa cheville pour mieux y voir. Il y avait une ombre, qui lui semblait assise, légèrement penchée vers l'avant devant une sorte de plaque de verre lumineuse. Cette masse semblait plutôt grande, et allait en s'affinant verticalement jusqu'au deux-tiers, avant de redevenir bien plus large. Elle essaya d'habituer progressivement ses pupilles à l'obscurité, malgré qu'elle était légèrement éblouie par la source lumineuse. Son regard luttait pour ne pas devenir flou et pour essayer de percevoir des détails. Elle ressentait les picotements et ne put s'empêcher de cligner une fois, puis deux, puis trois. C'est alors qu'elle les vit: ces deux grands globes qui la fixaient désormais, menaçant et froids. Ils étaient d'un rouge intense, clairsemés par de petits cercles concentriques allant progressivement de l'extérieur vers l'intérieur. Leur centre était en forme de croissant noir parfaitement symétrique l'un de l'autre. Elle vit au fond d'eux son propre reflet, frêle, petite et insignifiante. Cette chose l'avait vue et l'observait maintenant d'une manière agressive. Un frisson glacé lui parcourut l'échine, et elle recula machinalement, tombant sur ses fesses. L'Ombre se leva et se dirigea vers la jeune femme précipitemment jusqu'à qu'elle puisse sentir son souffle. Elle se mit à hurler du plus profond de son être, tout en continuant à l'observer. Elle ne pouvait pas fermer les yeux. Elle ne voulait pas quitter cette créature du regard.

-"Calme toi ! Calme toi... Ce n'est qu'un cauchemar. Tu es en sécurité. Reprends ton calme, inspire et expire lentement."

Ses pupilles se dilatèrent, et sa respiration était haletante. Elle se saisit machinalement de son poignet droit sur lequel elle sentait la pression de la main du Professeur.

-"Rythme cardiaque normal, température normale." annonça une voix froide et mécanique.

-"Tout va bien, on t'a fait une injection de Paramorthène pour soulager la douleur. Je sais que c'est toujours douloureux quand on te le fait, mais ca va aller. Tu vas te sentir mieux après."

La femme secoua la tête alors que sa respiration redevenait progressivement normal. Sa vision était claire, le Professeur se tenait droit devant elle, toujours parfaitement bien enquillé dans sa blouse blanche. Sa chevelure brune était parfaitement carrée comme à son habitude, et aucune mèche ne dépassait. Elle tourna rapidement la tête, tantôt vers droite, puis vers gauche. Elle vit l'appareillage de sa chambre plongée dans le noir. L'ambiance aurait pu être vraiment glauque si le silence n'était pas perturbé par les tintillements du cardiogramme et de l'encéphalogramme. Elle plaça ensuite d'un mouvement brusque ses mains au niveau de son coeur dont elle avait l'impression qu'il allait exploer, mais elle le sentit battre normalement. Elle avait aussi l'impression d'être trempée, et pourtant elle ne transpirait pas le moins du monde.

-"Où.. où suis-je... Où.. où est le..." finit-elle par lâcher.

-"Dans ta chambre, tu es en sécurité. Il n'y a rien d'autres à part moi et Cal."

-"Mais.. Mais, il y avait cette ombre, et ces ronds et..."

-"Il n'y a rien de tout ça. Tu es sortie dehors malgré mes interdictions. Ton biocorps a commencé à réagir, j'ai dû de te mettre en épistase pour qu'on ait le temps de te ramener ici. Ecoute, je sais que tu as passée de longs mois ici, enfermée, mais te souviens-tu de pourquoi je t'ai interdit de sortir à l'extérieur ?"

Elle sentit soudain un sentiment de honte envahir sa conscience. Elle hôcha la tête et balbutia un oui à peine audible, même si elle avait envie de lui mettre son poing dans la figure lorsqu'il se mettait à lui parler comme une gamine.

-"Bien. Nous essayons de te soigner et de comprendre ce que tu as depuis toutes ces années. Il faut que tu y mettes du tien." Il lui frotta les cheveux en souriant tendrement. "Toutes tes constantes sont normales, et les derniers tests n'ont pas donné grand chose. Nous allons devoir continuer à faire des prélèvements. Cela te convient ?"

Elle soupira et se tourna sur le côté, à la fois en guise de réponse et pour donner l'impression qu'elle se remettait à l'aise.

-"Je vais prendre ça pour un oui. Bien, je te laisse à présent. On se voit plus tard."

La jeune femme se retourna à nouveau dans son lit lorsque la porte claqua, signalant le départ des deux individus. Elle se mit à réfléchir. Ce qu'elle avait vu n'était de toute évidence pas un rêve ou une hallucination, c'était réel. Cette sensation, ces frissons, ce froid qu'elle avait ressenti au moment où cette chose s'était approchée... Ces sons, ces couleurs... Il y avait forcément une explication.

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