Métro
Le flot ininterrompu de formes floues continuait à glisser sans arrêt sur la vitre. Ressemblant tantôt à des flash de lumière dégoulinant à l'horizontal, tantôt à des visages qui semblaient vouloir le dévisager avec curiosité, comme pour pénétrer dans ses pensées les plus profondes, tantôt à des monstres dont il avait une difficulté extrême à décrire tant ils lui inspiraient du dégoût. Le silence et l'odeur chloré laissait peu à peu place au bruit et à une odeur nauséabond de transpiration et d'alcool au fur à mesure que les passagers montaient. Chaque arrêt était un calvaire supplémentaire, une longue attente interminable qui s'ajoutait à une longueur trajet encore plus interminable. Un homme à l'odeur nacré passa devant lui, en le bousculant et il n'en fallait vraiment pas beaucoup pour qu'il vomisse le copieux repas qu'il avait pris avant de sortir. Sa main se mit à trembler, et il s'imagina saisissant le bras de cet africain, le tordant derrière son dos pour le mettre à genou en l'enjoignant de présenter ses excuses avant qu'il ne déloge son épaule de son emplacement.
- "Hé mec, t'a un problème ? C'quoi ? T'aime pas les Négros, c'est ca ? C'pour ca que tu m'regardes caum' ca ?" lui invectivait subitement une voix.
K. se rendit compte que ses yeux étaient restés fixés un long moment sur l'immense gaillard. L'homme avait un visage rugueux et sombre, aussi noir que le charbon, qui rendait quasi inivisble les mèches encore plus noir qui pendaient du haut de son crâne et qui lui servaient de cheveux. Ses mains faisaient peut-être 2 à 3 fois la taille de son cou, et ses pieds semblaient gigantesques. Bien qu'un tel phénomène ne pouvait exister d'après lui que dans son imagination, le binoclard ressentit rapidement son corps être broyé comme un citron à la pensée de ce que ces mains pouvaient lui faire. Il secoua rapidement la tête, et tourna rapidement le dos à ce troll pour s'en aller au fond de la rame.
-"Hé mec, j'te parle. OH, J'te PARLE GARS."
Bien que les injonctions continuaient, K. accéléra le pas, les yeux fermés, pour parcourir les 10 mètres qui le séparaient du mur du fond. Au fond de lui, il espérait que l'autre allait abandonner, mais il sentait sa présence le suivre. Il était impossible qu'il puisse le fuir, et personne d'autres n'allaient s'interposer ni l'aider. Il s'immobilisa et se recroquevilla à genou dans un coin, les mains sur le visage comme s'il s'apprêtait à être frappé. Il sentit alors un violent coup dans sa cuisse, une fois, deux fois puis trois fois, avant de tomber à la renverse à l'extérieur lorsque les portes s'ouvrit.
-"Mais qu'est ce que.. Rolala, poussez vous...". Il ouvrit les yeux et se rendit compte qu'il était indemne mais bousculé vers l'intérieur par un nouveau flot de passagers qui montaient dans la rame en râlant. Presque rouge de honte, K. se fit petit, toujours silencieux, tête baissé, n'osant pas regarder celles et ceux qui devaient maintenant le considérer comme un malade mental, qui devait certainement le dévisager ou se moquer de lui en cachette. A peine osait-il lever les yeux pour apercevoir les yeux verts d'une jeune fille qui semblait lui sourire, jusqu'à qu'il se rendit compte qu'elle souriait à un autre blondinet placé à côté de lui. Le sentiment de réconfort qui s'était installé l'espace de quelques nanosecondes s'envola presque instantanément pour laisser place à un sentiment de honte. C'est à ce moment là qu'il se rendit compte que l'autre animal n'était plus dans le métro. La honte laissa place au soulagement qui laissa place à l'anxiété dès qu'une idée flasha dans son esprit. D'un geste brusque, il passa sa main tremblante dans sa poche pour en sortir son téléphone, sans se rendre compte qu'il venait d'effleurer les cuisses d'une de ses voisines, et consulta rapidement son écran. Il s'empressa d'activer la notification qui l'attendait là depuis une bonne dizaine de minutes, tapota ensuite rapidement quelques lettres et attendit fébrilement de longues secondes jusqu'à qu'une nouvelle vibration finisse par le délivrer.
-"Hey, je croyais que tu ne t'étais pas encore réveillé.. Je n'ai pas voulu insister."
-"Dis pas de connerie, Patience. Je suis en enfer là..."
-"En enfer ? Je croyais que c'était seulement ta chambre, haha !"
-"Te fous pas de moi.." insista K. "Je suis en route, dans le métro, parmis les..." rajouta-t-il en levant les yeux. Sa voisine lui lançait un regard sombre, avant de lui jeter un "Pervers." à la figure en quittant la rame, ce qui ne manqua pas de le faire sourire, sans trop savoir pourquoi.
Tel un enfant, il retourna à sa conversation virtuelle avec Severn, qu'il avait rencontrée par hasard sur Moonter quelques mois auparavant. Ils avaient l'habitude de parler de tout et de rien de manière occasionnelle, lui, lui racontant ses déboires de tous les jours, elle, lui parlant de ses souvenirs d'enfance, surtout les soirs où ni l'un ni l'autre n'arrivaient à trouver le sommeil. Mais leur sujet de discussion favoris s'orientait régulièrement autour des grands mystères inexpliqués de la vie. Ils évitaient toutefois soigneusement d'évoquer leur vie privée, l'un et l'autre n'étant pas d'un naturel très bavard, mais ce qui était le plus frappant, c'était le nombre de points communs qu'ils partageaient sans qu'ils en aient réellement conscience, y compris dans leur incapacité à se faire confiance mutuellement. Les minutes s'égrénèrent les unes après les autres alors qu'ils abordaient leur avis sur les dernières sorties ou les derniers jeux. Puis, les lumières se mirent subitement à grésiller sans que cela l'inquiète, tandis que l'écran de son smartphone se brouilla l'espace d'une micro-seconde de manière à ce que son oeil ne puisse le percevoir.
-"Tu as vu ce matin sur Moonter ?"
-"Quoi donc ?" s'étonna K.
-"Ces messages bizzares.. Tous ces gens qui se sont agîtés dans la nuit et toute la matinée."
-"Encore une mode qu'on a loupé certainement. J'ai pas réellement fait attention."
-"Hmm.. Tu te souviens quand je t'ai dit que j'ai toujours pensé être faite pour faire de grandes choses ?"
-"Ouais. Diriger le monde, c'est ca ? Etre une prophétesse ? Réveiller les morts ? xD"
-"... Et si je te disais que c'était le moment ?" lui rétorqua la jeune femme à l'autre bout.
-"Le moment de quoi, Patience ?"
-"Il parait qu'il va se passer de grandes choses, j'ai envie de bouger un peu. J'ai trouvé un endroit super creepy, tu veux pas qu'on y aille ensemble ?"
Une sensation désagréable saisit K., alors que les lumières grisilèrent de nouveau. Cette fois, il le remarqua, sans y prêter attention. Un frisson lui parcourut le dos, avant qu'une sorte de raideur saisisse son cou. Machinalement, il se frotta la nuque, hésitant sur sa réponse.
-"Alors, tu te décides ? Tu viens ?" lui lança encore la jeune fille, exaspérée par les longues secondes sans réponse.
-"Ca a l'air dangereux ton truc, et je croyais que t'aimais pas les interdits..."
-"Vrai, mais je veux aller voir, il parait que ce sera grandiose et tout. Et puis, t'as pas dit que t'étais aussi fait pour faire de grandes choses ? C'est le moment de le prouver, mec."
-"Bon.. Ok, c'est où ?"
-"Tu y es."
-"Comment ça ?" s'étonna à nouveau le jeune homme.
Un bruit sourd le fit alors sursauter. Une fois, deux fois, puis trois fois, comme si le métal de la rame dans laquelle il se trouvait cédait. Une secousse le déséquilibra, son smartphone tombant au sol alors qu'il s'aggrippa à une rampe pour ne pas chuter. C'est alors qu'il le remarqua.
Le silence absolu régnait. Pas un souffle, pas un bruit, pas une odeur. Plus aucune trace d'aucune vie... Il n'y avait plus personne dans le wagon, à part lui. De petites étincelles éclatèrent ici et là, alors que le bruit sourd semblait se rapprocher. K. commença à agiter la tête dans tous les sens tandis qu'une forme d'anxiété commençait à le saisir. Machinalement, il se dirigea vers une porte et tenta de l'ouvrir. De toutes ses forces, il tenta d'écarter les portes avec ses minces biceps. Puis, la porte céda subitement dans un râle de douleur. Le garçon tomba à l'extérieur, le regard flou, une crampe à l'estomac et une envie subite de dégurgiter le prirent. Reprenant doucement son calme, il relava la tête et regarder au bout, tout au bout, dans l'obscurité.
Le smartphone s'illumina.
"Je l'ai trouvée."
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