Diagnostic

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Le plafond était si blanc.. Par endroit, elle pouvait observer des fissures qui allaient et venaient harmonieusement dans une sorte de labyrinthe, s'entrecoupant parfois pour former des motifs indiscernables autrement que par l'imagination. Puis les fissures s'aggrandissaient, et se ramifiaient pour former une sorte de réseau complexe qui finissait par disparaître derrière les matelas apposés contre le mur. Elle les imaginait continuer leur danse derrière les interstices des rembourages. Elle connaissait parfaitement cette cellule qu'elles avaient cotoyée si longtemps. Dans quelques heures, elle allait la quitter, et cette fois, pour de bon. Qu'est ce qui avait changé ? Elle avait toujours des envies de vengeance, de torture, de viol, de meurtre. Elle entendait toujours cette petite voix, dans sa tête, et qui avait vieilli au fil du temps, mais qui lui rappelait toujours sans cesse à quel point elle n'était qu'une moins que rien, qu'elle ne serait jamais capable de faire quoique ce soit de sa vie. Cette voix lui était familière, empreinte de la mélodie de la voix de sa mère, si tant elle se souvenait qui elle était. Elle revoyait ses petits camarades de classe qui se moquaient d'elle parce qu'elle begayait, parce qu'elle avait des idées originales, trop originales pour qu'ils puissent comprendre. Combien de fois avait-elle dûe user de ruse pour ne pas se retrouver la bouc-émissaire et faire en sorte que le chétif prenne tous les coups à sa place. Elle se plaisait à se nommer elle-même la Roublarde. D'ailleurs, c'était bien elle, la Roublarde, qui lui disait comment faire et quoi faire en tout temps pour s'en sortir. Mais de retour au foyer, elle était à nouveau sans défense devant cette Créature, mi humaine, mi démone. Entre cris, coups, reproches... Sans cesse, elle essayait de se boucher les oreilles, dans un coin de sa chambre, espérant que la Monstre allait l'oublier. Quand elle entendait le crissement des portes, ou le craquement du bois sous ses pas, elle se mettait à trembler... avant que le vide ne la saisisse. Etait-ce juste un cauchemar ?

Et puis un jour, elle décida d'aller voir, malgré elle, un de ses Spécialistes, savant sachant mieux que quiconque sur cette planète, garant d'une objectivité sans faille. Ils étaient adulé par la société, qui les considérait qui des encyclopédies vivantes. Ils avaient forcément explication à tout. Le premier était un blondinet qui semblait si tendre et préoccupé par sa santé. Il l'écoutait parler de ses peurs, de ses craintes, de ses envies.. Progressivement, elle était plus en confiance, tandis qu'elle sentait au fond d'elle la terreur l'envahir. Elle se disait qu'il devait mourir, parce qu'il était comme tous les autres, mais elle ne voulait pas y croire. Et lorsque sa main se glissa sous sa jupe, forçant son intimité alors qu'elle se débattait corps et âme en appelant à l'aide, elle se sentit encore plus stupide. Pourquoi n'avait-elle pas écouté son instinct dès le départ ? Pourquoi avait-il fallu qu'elle change ? L'avait-il vraiment convaincu qu'elle était en proie à une dépression, liée à la solitude et au rejet ? Elle n'avait plus le droit de vivre... Elle abandonna...

"Cette jeune femme, Rona L., ici présente, a sauvagement assassiné son thérapeute. Elle prétend que c'était de la légitime défense, que le psychiatre allait la violer, mais en même temps, la défense plaide l'amnésie ? Comment Rona L. peut-elle en même temps soutenir qu'elle était en situation de légitime défense, et qu'elle ne souvient de rien quant à la barbarie dont elle a fait preuve ? Vous allez entendre la défense soutenir qu'elle est dépressive, qu'elle était en état de choc, qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait.. Mais Mesdames et Messieurs, les jurés, ne croyez pas un seul mot de cette femme. Son acte était prémédité. Nous avons la preuve qu'elle était tombée amoureuse du Dr. Jackson, qu'elle entretenait une liaison avec cet homme marié après l'avoir séduit, et que lorsque le Dr. Jackson lui a annoncé...". L'avocat s'interrompit fixant fermement du regard l'accusée, et la pointant vigoureusement du doigt. Son regard venait de changer, elle le dévisageait, comme prête à la dévorer, avec une aura des plus meurtrières. Elle passa subtilement sa langue sur ses lèvres. "Lui a annoncé qu'il ne quitterait pas sa femme pour elle, folle de son état, Rona L. a décidé de liquider méthodiquement son amant."

Dépressive, psychopathe... C'est comme ça qu'elle a connu le centre de Green Cottage. Les séances aux électrochocs, les cris de ses co-résidants, les médicaments qu'elle ne voulait pas avaler.. Chaque fois qu'elle entendait la Guêpe s'approcher, elle se roulait en boule et sa cacha sous le lit. Elle était aussi terrifiante que le Monstre, et elle savait ce que son arrivée signifiait. On allait de nouveau la torturer pour ce qu'elle n'avait pas commis. Elle avait beau le dire que ce n'était pas elle, qu'ils faisaient erreur, personne ne voulait la croire. Ils la saisissèrent par les bras et les jambes, elle se débattait et tentait de les mordre. Puis le Binoclard lui injectait un serrum. Et lorsqu'elle se réveillait, elle était sanglée à un lit. Puis son corps se contractait...

"Pourquoi ne suis-je pas comme les autres.. Pourquoi ne suis-je pas heureuse. Pourquoi n'arrive-je pas à ressentir, tout en ressantant.. La semaine dernière, j'étais si bien. La chaleur glissait sur ma peau et me réchauffait, les oiseaux chantaient une chanson si mélodieuse.. Et maintenant.. Maintenant je suis dans un monde où les animaux ne font que crier... L'atmosphère est froid... Pourquoi m'a-t-on emmené dans ce monde.. Quand m'y a-t-on emmené ?"

"Madame, c'est dur à dire, mais votre fille souffre d'un trouble maniaco-dépressif associé une forme grave de schizophrénie. Je ne sais pas qu'elle abrutit à pu vous faire croire qu'elle avait simplement une personnalité limite... Elle doit être internée."

Green Cottage était devenue comme une seconde maison. Elle y connaissait chaque coin et recoin, chaque petite cachette où elle pouvait dissimuler de la nourritre, des friandises, des jouets. Avec les autres pensionnaires, elle avait élaboré un jeu: courir le plus vite possible lorsque la sonnerie retentissait. Elle se cachait régulièrement aussi avant l'extinction des feus, et se plaisait à explorer les lieux dans le noir le soir avec Mika. Mika était sa meilleure amie. Elle était cool parce qu'elle pensait être un garçon hispanique, alors qu'elle était clairement noire de peau. Mais même si elle ne comprenait pas pourquoi Mika pensait ça, ni pourquoi elle était à l'hospice, elle était trop drôle et avait toujours d'excellentes idées. Mais ce soir là... Les deux entendirent des bruits de pas, et une silhouette s'approcher. Mika la supplia de rentrer dans leurs chambres, mais elle ne voulait rien savoir. Ce n'était qu'un jeu après tout. Et lorsqu'elle se retrouva nez à nez avec le Monstre, elle fut prise d'une panique. Elle se mit à courir de toutes ses forces. Derrière elle, elle entendit Mika crier à l'aide, puis des hurlements de douleurs. Elle laissa échapper quelques larmes mais continua aussi vite qu'elle pouvait. Elle était désolée, sans vraiment l'être... "Tout est de ta faute.." lui répétait sans cesse la petite voix.

"Série noire à Green Cottage. L'hopital psychiatrique va fermer ses portes après la découverte de plusieurs cadavres. Parmis les victimes, des pensionnaires et des membres du personnel. Michael Avenatis, 23 ans, est le dernière de cette longue série macabre. La police suspecte Rona L.. Cette jeune femme de 32 ans, déjà connu des services de police dans le meurtre du Dr. Jackson, a été retrouvé les mains et les vêtements plein de sang de la victime. Rona L. a été interné à Green Cottage il y a quelques temps pour des troubles psychiatriques, la justice la jugeant inapte à être emprisonnée. Aujourd'hui, la mère de Michael Avenatis réclame justice, et que Rona L. soit puni de la peine capitale."

Elle se sentait bien.. Aujourd'hui était censé être la fin de sa longue route solitaire. Elle se remémorait ses mots: "La médecine moderne nous permet d'affirmer avec exactitude que vous souffrez d'un trouble dissociatif. Il n'y a absolument aucun doute là dessus. Nous allons vous donner quelques comprimés, et une bonne psychothérapie, et vous verrez que tout ira pour le mieux !". La porte de sa cellule s'ouvrit.

"-Rona, c'est l'heure.

-Oui, maman." répondit-elle d'une voix douce. "Mais avant, je dois...". D'un geste vif, elle plaça la plaque de verre sous la gorge de l'infirmière, et tira d'un coup sec. Le sang gicla sur les murs, le corps inerte tombant vers l'avant.

"- Alors qu'est ce que cela te fait Rona ?"

"- Tu avais raison, Pathie. Ou devrais-je dire que j'avais raison."

Elle souria avant de se jeter au sol en larmes.

"Journal de 20h. Aujourd'hui, nous avons appris la mort de Rona L., la dernière résidente de Green Cottage. Rona L. a été suspecté de plusieurs meurtres durant sa vie. Elle a passé la quasi totalité de son existance à Green Cottage, échappant à chaque fois à la justice qui la déclarait irresponsable. Rona L. a eu plusieurs diagnostics et fut l'une des patientes les plus fascinantes. Avec son décès, c'est une grande partie de l'héritage de cette hopital psychiatrique de renom qui s'en va, et qui va fermer ses portes le moins prochain. Quant à Rona L., il est probable que nous ne saurons jamais de quoi elle souffrait réellement, ni même qui elle était. C'était Pathie Sandars pour CNN."

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