Fiction
Docteure,
J'ai pris la facheuse tendance de vous écrire, lorsque je ne suis pas en mesure de communiquer avec vous. Tout à l'heure, je vous dirai très certainement que tout va bien, ou je me mettrai à parler de tout et n'importe quoi, de sujets qui n'ont pas vraiment d'importance à mes yeux, à tort ou à raison. Peut-être vais-je me mettre à déblatérer, à parler d'elles, ou de ces souvenirs lointains dont je ne sais s'ils ont une tangible réalité.
Ma réalité, c'est que tout va mal. A moins que ce soit une façon pour mon esprit embrumé de rester dans l'obscurité pour son plaisir. Suis-je en train de me complaire de ma situation ? Suis-je réellement dans une situation dramatique ? N'est ce pas là juste une pièce de théâtre ?
La seule chose que je sais, c'est que je panique. Et nonobstant, à priori, les possibilités qui s'offrent à moi, je crois qu'il m'est impossible de prononcer les bons mots. Après tout ce temps, ai-je avancé ? Ai-je évolué, ou en sommes-nous toujours au même point ? Je vous rémunère pour m'écouter parler, mais en même temps, je ne dis toujours rien. Comment me percevez-vous ? Vous fais-je perdre votre temps si précieux ?
Je ne peux aborder les sujets que je souhaiterais, parce qu'ils me semblent irréels, et façonnés. L'écriture même de cette lettre suit un script prédéfini des jours durant, comme si nous n'étions que des personnages de fiction. La vérité n'est que spontanée, les mensonges sont calculés, les uns après les autres. Pourtant, je sens que c'est réel, et qu'il n'y a rien d'inventé. Mais pourquoi tout me semble si faux... si familier ?
On dit que les individus sont uniques, mais pour moi les humains sont tous identiques, à quelques exceptions près. Nous ne dérogeons pas à la règle, nous sommes à la fois unique et identique aux autres. Et pourtant, je suis différent. Ou peut-être pas. Ou peut-être que si. Suis-je différent ? Je n'ai pas envie d'être traité de la même manière que n'importe quel autre patient, un simple chiffre ou numéro. Et pourtant, c'est ce que je recherche, c'est ce dont j'ai besoin. Je, moi, nous, cette personne qui ne sait plus qui elle est en fonction des heures de la journée. La réalité se délite au fil du temps, les paradoxes et les opposés se mélangent dans un vortex rempli de vide. Je n'ai pas envie que l'on m'applique les théories que l'on bachôte inlassablement cours après cours, observation après observation. Est ce de la peur ? La peur d'être comme tout le monde ? Pourtant, c'est ce que je voudrais. Etre comme tout le monde, sans l'être. Je voudrais être un sujet d'étude, particulier, un ovni sur cette Terre dénuée de sens, sans l'être. Pour satisfaire mon ego ? Pour combler un manque d'attention ? Pourtant je n'aime pas cette idée. Je ne veux pas qu'on nous remarque. Tout serait si simple si je pouvais n'avoir jamais existée.
Que suis-je en train de rechercher exactement ? Je ne sais pas, nous errons sans but. La reconnaissance ? Mais de quoi, de qui ? Une confirmation ? Une infirmation ? De la surprise ? Je n'aime pas ce que nous sommes, et je n'aime pas ce que je deviens au fur et à mesure que le sable s'écoule.
Cette lettre s'égrène, continuant sans rien dire, très loin de ce que nous avions imaginé et scénarisé. Je n'arrive toujours pas à parler. Les interrogations se succèdent. Je vous revois prononcer ces paroles:
"Appelez moi si vous avez besoin, mais je ne te demande qu'une chose: ne pas mentir."
Quand les avez vous prononcé ? Les avez vous déjà prononcé ? Etait-ce un rêve ? un cauchemar ou bien réel ? Pourquoi ai-je cette impression que cette scène n'a jamais eu lieu, tout en étant très familière ? Au fond, je sais que c'est imaginaire, enfin, je crois. Suis-je en train de vous décevoir ? De me décevoir ? Je n'ai pas peur du regard des gens, de simples mortels, et pourtant cette pensée prend de la place, de plus en plus.
Ils répètent tous: "Concentre toi sur les instants heureux, sur les bons moments plutôt que sur les zones d'ombre", comme un mantra, comme pour se rassurer que leur existence a une signification particulière. Nous avons toujours été seule, déambulant dans cet espace désertique. L'univers n'est qu'une vaste plaisanterie, jouant inlassablement avec la création, tantot s'ennuyant, tantot rigolant. Au milieu des sols craquelés, je suis seule, sans l'être, incapable de définir ce que je suis, ce que nous sommes. Pour nous, tout est jeu, rien n'est sérieux. L'univers me doit beaucoup, et il ne me doit rien. Je ne suis pas triste, ni heureux, je suis uniquement là, en train d'attendre la fin de partie. Est-ce là le fond de ma pensée ?
Fiction ou réalité, je ne sais plus où j'en suis. Ce que je sais, c'est que vous aussi, vous finirez par partir sans ne m'avoir montré aucun chemin ni donné une explication quant à notre condition. Je suis fatiguée de jouer des rôles, de porter des masques, mais je ne peux pas me permettre d'explorer le fond de la crevasse. Nous voulions qu'on nous comprenne, qu'on nous explique ce que nous sommes, et non que l'on projette sur nous des connaissances hypothétiques. Parce qu'au fond, vous êtes comme nous, mortelle, et sans explication.
Je ne sais pas ce que je recherche. Vais-je bien ? Je n'en sais rien. Vais-je mal ? Je ne sais pas. Je suis de plus en plus fatiguée, c'est certain. Ce corps qui ne m'appartient guère ne me soutient plus. Combien de temps encore avant que je ne décide de tout laisser tomber...
Elise
Annotations
Versions