L'hirondelle qui avait perdu la boussole et le Nord
Les enfants troquaient leurs maillots de bain et leurs bouées pour des cartables colorés. Des papis préparaient leurs camping-cars pour rejoindre les plages et les montagnes bien calmes après le départ des estivants. Les jours devenaient plus courts et les soirées un peu plus fraîches. Mais il était encore fort agréable de musarder dans les bois et dans les prés.
C'est ainsi que je fis connaissance avec Véra, une gentille hirondelle, très chic et distinguée dans son habit noir et blanc. Elle avait déjà un certain âge et son cerveau devenait un peu ramollo. Du coup elle faisait des trucs rigolos. Elle me raconta ses mésaventures.
Un jour, elle décida de construire son nid. Elle se mit en quête de terre, d'argile et d'herbe sèche. Elle trouva tous les matériaux, non au magasin de bricolage mais dans le parc municipal. Et oh, quel bonheur, elle repéra aussi l'endroit idéal pour élire domicile. Tout l'après-midi, elle oeuvra pour réaliser le plus joli et le plus original des logis. Et ce fut une réussite : tous les oiseaux du voisinage se rassemblèrent pour admirer le monument. Mais, que se passait-il ? Point d'applaudissements, ni d'ovations. Pourquoi les pigeons roucoulaient-ils de rire et qu'est-ce qui amusait tant les étourneaux ? Les corbeaux, d'ordinaire si sérieux ne croassaient plus mais ricanaient ; les pies jacassaient et s'esclaffaient ; les moineaux effrontés se fendaient la pêche comme jamais. Tout ce charivari réveilla une mamie qui s'était assoupie sur un banc. Elle bailla, s'étira, se leva puis elle se dirigea vers la pâtisserie voisine pour acheter un petit gâteau : c'était l'heure du goûter. Véra vit ainsi son mignon petit nid s'éloigner. Elle l'avait construit par mégarde sur le chapeau de la vieille dame gourmande.
À la mi-juillet, un matin, alors qu'elle s'ennuyait, Véra regarda par la fenêtre d'une maison ce qui passait à la télévision allumée dans le salon. Fanfares et gros blindés, il s'agissait du défilé du 14 juillet. Au début, ce ne fut pas son programme préféré : la musique n'était pas très mélodieuse, les costumes manquaient d'originalité et au lieu de marcher au pas, il aurait été plus amusant et distrayant que les soldats improvisent un tcha tcha tcha, une samba ou mieux encore une lambada. Puis, ils entrèrent en piste : ils étaient beaux, ils sentaient bon le sable chaud. Non, non pas les légionnaires mais les rois de l'air, les gros avions brillants et étincellants de la Patrouille de France. Elle tomba amoureuse de ces oiseaux métalliques et pour gagner leurs coeurs, elle se mit en tête de les imiter. Au lieu de voler sagement, elle entreprit de faire des loopings dans les airs. Elle était persuadée que derrière elle, on voyait des fumigènes bleus, blancs, rouges, alors qu'il ne s'agissait que de ses petits pets qui résonnaient dans le ciel d'été. Une tourterelle, une petite mijaurée du quartier, vint se plaindre des odeurs ainsi dégagées, ce qui obligea Véra à cesser ses voltiges.
Au moment de notre rencontre, elle voyait ses amis se préparer pour le grand vol migratoire. Les hirondelles allaient quitter nos contrées et le froid à venir pour rejoindre leurs clubs de vacances ensoleillés. Elles étaient surexcitées : " Où est-ce que j'ai mis mon maillot de bain ?" "Tu crois qu'il y aura le même disc-jockey que l'an passé dans la club de la plage ? Il était trop mignon ? " " Chéri, c'est toi qui a rangé le GPS, je ne le trouve plus". Véra était bien embarrassée. Elle serait volontiers partie avec ses copines mais " Je deviens un peu zinzin ! C'est sûr, je vais me perdre et y laisser des plumes. Mais si je reste, je risque de ne pas passer l'hiver. Que faire ? "
Heureusement, un petit rouge-gorge entendit ses lamentations. Il l'invita à partager un charmant nichoir bien confortable au fond de mon jardin. Les deux nouveaux amis se régalèrent pendant tout l'hiver des graines que je laissais à leur gourmandise.
Aujourd'hui nous sommes le vingt et un mars et c'est le printemps. Quel bonheur d'entendre leur duo vocal : une chanson inédite à deux voix diffusée sur les ondes de Radio nature. Pour vous connecter, mettez vos bottes, une petite laine et sortez dans les bois et dans les prés. Fermez les yeux et chut... Écoutez-les.
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