La mouche qui voulait être une star
Connaissez-vous Babouche la mouche ? C'était une mouche peu farouche. Elle vrombissait sans gène aux oreilles des inconnus. Bzz, Bzz, Bzz. Quelle enquiquineuse !
Elle se baignait avec volupté et délectation dans les cacas, crottes, bouses et tous les autres excréments sur ma pelouse. Beurk !
Elle transformait un délicieux camembert au lait cru en une colonie d'asticots blancs et dodus. Quelle horreur !
Elle taquinait les vaches, les chevaux et les ânes de la ferme en les chatouillant sur la tête : Si seulement ils avaient pu la fouetter d'un coup de queue, mais impossible : Quelle coquine, cette Babouche !
C'était aussi une sacrée crâneuse. Elle racontait partout être une championne de vol en tandem. Et c'est vrai que c'était impressionant de la voir s'élancer en duo dans les airs avec sa copine Ernestine. Jamais elles ne se fatiguaient, ni ne tombaient par terre. Pendant des heures, surtout lorsque je voulais faire la sieste, elles passaient et repassaient sans cesse dans mon champ de vision, osant parfois un petit piqué sur mon bout du nez. Non mais, faut pas vous géner !
Je sais que Babouche la mouche se prenait pour une star. Mais si, c'est moi qui vous le dis : y avait qu'à voir ses grosses lunettes noires. En plus, ça lui donnait un regard... de mouche.
Un jour elle décida de monter, comme on dit, à la capitale pour lancer sa carrière. Elle rêvait de devenir actrice cascadeuse ou chanteuse. Elle prenait les bzz, bzz de ses copines pour des encouragements à entonner une autre chanson de son répertoire : "Bis bis", entendait-elle, "Une autre, une autre !", alors que son bourdonnement était plus qu'exaspérant, énervant, stressant.
La voilà donc à Paris : à tire d'ailes elle monta au dernier étage de la Tour Eiffel. Là, elle se mit à chanter, du moins le croyait elle, tout le répertoire d'Edith Piaf. "Sous le ciel de Paris, s'envole une chanson, Bzz, bzz". "Regardez-moi, écoutez-moi, je suis une artiste !" Mais personne ne vit Babouche la mouche, beaucoup trop petite et riquiquite sur les immenses jambes de la grande dame de fer. Et aucun touriste n'entendit ses vocalises ridicules noyées dans les conversations et le bruit des véhicules.
Elle se rendit au moulin rouge, pensant réussir en tant que vedette du music-hall. Mais elle faillit finir écrasée sous les talons d'une danseuse de french cancan. Oh, quelle frayeur ! Pour la peine, Babouche la piqua au creux de l'oreille. La jolie dame pensant que sa voisine était l'autrice de ce méfait, lui donna un coup d'éventail. Pour riposter, cette dernière arracha une plume au joli costume de l'importune. S'en suivit une joyeuse empoignade puis une bagarre générale. "Bravo ! bravo !" criait le public en folie, croyant toujours assister au spectacle. Les journaux en firent leurs choux gras, avec des photos de l'escarmouche en première page. Mais personne ne sut que Babouche la mouche était la chorégraphe de ce ballet désormais célèbre et inscrit au répertoire de l'Opéra de Paris.
Dépitée et voulant à tout prix gagner en notoriété, elle décida de frapper un grand coup. "Ah ils allaient voir de quoi était capable Babouche la mouche ! " Elle se rendit au plus grand et au plus renommé des musées : le Louvre, si vous n'aviez pas deviné.
Pas le temps de s'attarder à la pyramide de verre, pas un bisou à Toutankhamon, ni un coucou de la main à la Vénus de Milo (elle non plus d'ailleurs ! ) : elle traversa comme une fusée supersonique toutes les galeries. Ce qu'elle visait était la salle des État. Arrivée devant sa cible, elle se mit en vol stationnaire (c'est rarement vu chez une mouche mais à coeur vaillant rien d'impossible). Elle se concentra, puis, d'un coup, elle fonça vers le célèbre tableau. Et tatatata, elle macula de petites crottes le portrait, en visant précisèment le nez. Du moins, le crut-elle, car elle ne put aller plus loin que la vitre de protection placée devant le tableau. Un gardien très avisé et attentionné vit le méfait se faire. Ni une, ni deux, il brandit son arme, une redoutable tapette violette et...PAF, en plein sur Babouche.
Mais ne soyez pas triste, elle avait tout de même atteint son but : être une star mondiale ! Bon d'accord, à titre posthume. En effet, les visiteurs du jour ayant pu photographier la célèbre Madonne se demandèrent bien pourquoi... Pourquoi Léonard de Vinci avait-il peint, une mouche sur le nez de la Joconde ? Quelle idée ! Ils sont bizarres ces artistes parfois.
Annotations
Versions