ZIGOTTO, ce n'est pas toujours rigolo !
Dans la forêt lointaine, il y a fort longtemps de cela, on entendait, non pas le hibou, mais maman lapin qui criait sans fin "Zigotto, ce n'est pas toujours rigolo ! ". Dans les bosquets et les clairières, dans les fourrés et les fougères, toujours cette même litanie : "Zigotto, ce n'est pas toujours rigolo ! "
Zigotto était un lapereau tout joli et tout mignon. Il avait des grandes oreilles toutes douces comme la mousse, un petit nez rose qui remuait sans arrêt et un pelage marron comme celui d'un gros nounours. Toute la forêt était attendrie en voyant ce tableau charmant. Les oiseaux lui chantaient les plus belles berceuses, les arbres s'inclinaient sur son passage dans des révérences majestueuses et les biches pour être plus jolies et lui plaire, soulignaient au crayon noir leurs jolis yeux. Il avait l'air si gentil.
Et pourtant, comme on, dit s'il en avait l'air, il en avait pas la chanson. C'était un garnement, un chenapan, un lapin très coquin. Il aimait jouer des tours et s'amuser à ennuyer tous ceux qui avaient le malheur de croiser son chemin.
Cela commençait dès le matin. Dans le terrier, quand toute la famille dormait encore à poings fermés, il s'approchait à pas feutrés d'Alpha, son papa. Avec application, il lui chatouillait le museau avec une fleur de pissenlit. "Aaaaatchoum ! " Papa lapin, souffrant de rhume des foins, éternuait avec force et fracas, réveillant ainsi toute la maisonnée. Tout le monde était alors de fort mauvaise humeur. Maman lapin, énervée, tout en balayant les graines de fleurs éparpillées dans le logis disait : "Zigotto, ce n'est pas toujours rigolo ! "
Son papi lui pardonnait toutes ses facéties : "Oh il est encore petit, ça va lui passer. C'est sans doute parce qu'il s'ennuie." Mais pourtant, lui aussi faisait les frais des malices de son petit fils. Un jour par exemple, alors qu'il le gardait, Zigotto lui dit : "Oh regarde papi, des jolies myrtilles. Tu veux les goûter ?". Le vieux lapin ne voyait plus très clair. Et comme vous le savez, les petites et les grosses bêtes ne portent pas de lunettes. Ne se méfiant pas, il s'apprêta à gober ce que le vilain fripon lui montrait. Heureusement que maman lapin arriva et lui cria : "Non, stop, ne les mange pas, il ne s'agit pas de succulentes baies mais de dégouttantes et répugnantes crottes toutes sèches." Et, se tournant vers le farceur, elle le réprimanda sévèrement : "Zigotto, ce n'est pas toujours rigolo !" Et elle l'envoya dans sa chambre, enfin dans son terrier, pour le restant de la journée.
Mais Zigotto était aussi très désobéissant et il n'écouta pas sa maman. Au lieu de rentrer pour respecter sa punition, il se glissa sous les sapins, là où ses parents lui avaient toujours interdit d'aller. Dans ce coin sombre de la forêt, nombreux étaient les habitants à rêver d'un petit civet pour leur déjeuner. Vraiment pas la destination révée pour un lapin un peu dodu comme notre hurluberlu.
"Crac, crac, crac " les feuilles craquaient sous les pattes de Zigotto ; "Woooooov, wooooooov" le vent sifflait à la cime des grands arbres ; "zigoui, zigoui, zigoui", jouait l'araignée avec une branche en guise d'archet sur les cordes de sa toile. Au milieu de ces bruits inquiétants, il avançait tout guilleret. Quand tout à coup, il entendit un grognement terrible suivi d'un énorme soupir : "rrrrrrrrrrr, pfiiif ! rrrrrrrrrrr, pfiiiif !". Quel monstre, quel terrible prédateur était tapis dans les fourrés, prêt à bondir et à dévorer le petit imprudent ? Tout tremblant, il leva la tête en direction de l'arbre creux d'où venait le bruit. "RRRRRRRRRR, PFIIIIIIIF, RRRRRRRRRR, PFIIIIIIIIIIF". Malgré sa peur, trop curieux de découvrir qui pouvait être l'auteur de tant de brouhaha, il avançait à petits pas. Et là ! il tomba nez à nez avec un gros hibou qui dormait à poing fermé. "Drelin, drelin ! c'est la nuit !" claironna Zigotto. "Il est temps pour toi de chasser les mulots et les souris." D'un coup, le hibou ouvrit les yeux sans aucune précaution et se retrouva ébloui par un soleil resplendissant. Depuis, les hiboux ont de grands yeux tout ronds qui leur donnent un air toujours surpris et ébahi. Zigotto se roulait par terre n'en pouvant plus de rire. Mais le vent se mit à souffler et apporta cette petite ritournelle " Zigotto, ce n'est pas toujours rigolo ! "
Nullement impressionné, Il se remit sur ses pattes, enchanté de toutes les perspectives de bêtises qu'il allait pouvoir encore inventer dans ce nouvel univers où personne ne connaissait sa réputation de fripon. Un peu plus loin, dans des fourrés, il entendit : "Bouhouhou, je suis seul et je n'ai personne à aimer. J'aimerai tant rencontrer une dulcinée, une amoureuse pour partager ma vie". Zigotto découvrit un sanglier désespéré en train de se lamenter. "Oh, petit lapin ! " , s'exclama le cochon entre deux sanglots, "tu m'as l'air bien gentil, aurais-tu un conseil à me donner pour séduire une laie ?" "Oh mais oui", répondit le chenapan, "tu devrais te baigner dans cette grosse flaque pour te parfumer, elles ne pourront plus te résister." Ni une, ni deux, sans réfléchir, le sanglier plongea dans l'eau brunâtre et malodorante. Et il n'arriva plus jamais à se libérer d'une puanteur qui fit de lui la risée de toute la forêt. Depuis, les sangliers sont de fort mauvaise humeur et ils ont un caractère de cochon. Il ne vaut mieux pas croiser leur chemin. Zigotto, lui, se fichant des conséquences, attrapa un hoquet tellement il se bidonnait. Pourtant les feuilles des arbres frissonnaient : "Zigotto, ce n'est pas toujours rigolo ! "
Tout en sifflotant d'un air fier et conquérant, il reprit sa randonnée sur un joli sentier. Là, il croisa Neuneuil l'écureuil qui farfouillait dans les feuilles. "Que cherches-tu petite bestiole ?" lui demanda le malotru. "Je prépare mes réserves pour l'hiver. Je ramasse des noisettes", lui répondit-il. Et imprudemment, il lui révèla la cachette sous un gros chêne où il avait entreposé une centaine de magnifiques fruits secs. "Je connais un endroit secret regorgeant de belles grosses noix. Et comme je suis très gentil, je vais te révéler comment y aller", chuchota Zigotto. Il envoya ainsi Neuneuil à des kilomètres de là où, bien sûr vous vous en doutez, il n'y avait rien d'intéressant, même pas un seul gland. Le pauvre écureuil se perdit en chemin. Il ne rentra chez lui qu'au petit matin totalement fourbu et épuisé, proche de la crise de nerf. Mais enfin pour retrouver sa sérénité, il alla directement vers son garde manger. Mais, mais, mais, que s'était il passé ? Plus une noisette, plus une miette ! Tout avait disparu. Vous avez deviné qui était l'auteur de ce larcin, c'était le vilain lapin. Il ne se cachait même pas pour se moquer du malheureux qui grimpait dans tous les arbres à la recherche de son précieux trésor. Depuis, les écureuils sont des petits animaux très nerveux et très méfiants. L'orage commença à gronder : "Zigotto, ce n'est pas toujours rigolo !"
Et Zigotto riait, riait à pleine dents. Voyant cela, les arbres tinrent conseil pour donner une bonne leçon une fois pour toute à ce farceur sans cœur. Et ils eurent une idée folle, celle de prendre la parole. Tous ensemble, d'une voix caverneuse et affreuse, ils se mirent à crier à l'unisson : " BOUH !" dans les jolies grandes oreilles toute douce de Zigotto. Il eut tellement peur qu'il fit un bond et depuis, les lapins ne se déplacent plus quand sautant. Et dans la forêt lointaine, on n'entend plus "Zigotto, ce n'est pas toujours rigolo !" mais le hibou et parfois le coucou lui répond.
Annotations
Versions