Le ver poète
Dans mon jardin, il y a un être extraordinaire ! Vous ne le trouverez nulle part ailleurs dans l'univers : il s'agit d'un ver de terre. " Ha, ha, ha, ha, ha ! ", j'entends déjà vos rires moqueurs : "Un lombric cela n'a rien de fantastique, il y en a des milliards tous identiques sur notre planète. Hou, hou, hou ! Qu'elle est bête ! "
Non, mais dites donc, je ne vous permets pas ! Bon, puisque vous ne me croyez pas sur parole, approchez un peu, vous allez en tomber sur votre postérieur. Oui, maintenant tout de suite ! Je viens de bêcher mon potager et la pluie a arrosé généreusement mes légumes. C'est le moment idéal : Il adore en profiter pour sortir. Youpi, gagné, regardez le voilà : mon petit ver préféré ! Il est si mignon, trognon, vous ne trouvez pas ? Apparemment non, vu la tête que vous faîtes, vous avez plutôt l'air dégoutté. Vous le décrivez comme un ver ressemblant à tous ses congénères : un espèce de spaghetti dodu gluant, un fin cannelloni marron qui se tortille ou un petit boudin à l'air pas très malin !
Oh ! Quel manque de respect, mais bref passons. Inclinez-vous pour saluer ce petit être. Oui comme cela. Bravo, vous faites parfaitement la révérence. C'est parfait ! Maintenant, seulement, vous pouvez engager la conversation avec lui. Allez ne faites pas votre timide : Posez lui une question, la première qui vous passe par la tête... Hein ! Vous voulez savoir quelle est la couleur de ses chaussettes. Vous avouerez que c'est un peu bête mais écoutons tout de même sa réponse :
" Pour courir et marcher, Je suis sans chaussure,
Car je n'ai point de pied, blague de la nature.
Mais pour votre plaisir et pour vous amuser
Il est de mon loisir de sans cesse les compter."
Ah, vous voilà très surpris. Ça rabaisse votre caquet, vous faîtes moins le malin, hein ? et vous me donnez enfin raison. Avouez que ce n'est pas banal un ver qui fait des vers. Qu'est-ce que vous dîtes encore comme bêtises ? Vous vous demandez s'il s'agit de verres à pied ou de verres de lunettes. Ah vous alors ! Mais non voyons pas des verres avec un "E" à la fin mais des vers, ces phrases que l'on dit et que l'on écrit parce qu'elles sont jolies. Et vous voulez savoir pourquoi il dit compter les pieds alors qu'il n'en a pas ? ". Mais réfléchissez un peu : c'est ainsi que l'on dénombre les syllabes dans l'art de la poésie.
Mais si plaisantes et surprenantes que soient les paroles de cette petite bestiole, cette manie ne lui a pas toujours valu d'avoir que des idôles. Prenez une chaise de jardin, installez-vous confortablement, je vais vous raconter ses incroyables mésaventures.
Cela commença dès sa plus tendre enfance. Une nuit, ses parents lui expliquaient comment avaler la délicieuse terre et ensuite la ressortir par son derrière (C'est bizzare mais il en est ainsi chez tous leurs confrères). Le vermiceau leur répondit :
" Oh fatale destinée, contraints que nous sommes,
De sans cesse creuser, ce travail m'assomme.
Je rêvais de ciel bleu, mais je suis à la mine,
Je ne suis pas heureux, et mon coeur crie famine. "
Son père, beaucoup plus terre à terre que lui, grommela : " Mais qu'est-ce qu'on va faire de lui ? Ce n'est pas en se creusant les méninges que l'on nourrit sa famille mais en forant sans répit mille et une galeries."
Incompris par le siens, il quitta très tôt le terrier familial pour déclamer ses rimes au monde entier et il n'en avait aucun doute rencontrer le succès.
Par une journée pluvieuse, alors qu'il glissait près d'une belle salade, il tomba nez à nez avec un être qu'il prit pour un membre de sa famille, en train de dévorer le pauvre végétal qui ne lui avait rien fait de mal. Sans hésiter, il lui dit :
" Votre taille si fine, où est-elle passée ?
Votre minceur cousine, appartient au passé.
Maintenant trop dodue, veuillez bien je vous prie
Laisser cette laitue, et reprendre vos esprits."
"Non mais kiki me veut l'asticot !" bava la limace, car c'en était une. "Tu me cherches ? et bien tu vas me trouver. Je manque de protéine et il me faut ajouter un peu de viande à mon régime végétarien. Je commencerais bien par une petite saucisse comme toi. Mmmmm, j'en salive de gourmandise. "
Effrayé par tant d'agressivité, le ver se tortilla aussi vite qu'il le put loin de la grosse gluante répugnante.
Puis il arriva au pied d'une montagne. A défaut d'atteindre les sommets de la gloire par son art, il décida de l'escalader. Epuisé et haletant, alors qu'il s'apprétait à planter un drapeau imaginaire tout en haut, il sentit la terre trembler sous ses pieds. Se croyant sur un volcan, il dit :
" A l'aide, je ne veux pas être frit, je ne suis pas un chichi ! "
" Mmmm, ça sent la chair fraiche ! " grogna une voix caverneuse venue des entrailles de la terre, comme issue de l'enfer. " Oh ", frissonna-t- il de peur.
" Adieu monde cruel, j'entends déjà des voix
Elles sonnent l'appel, de ma vie à trépas"
Quel soulagement pour lui de voir émerger un petit animal tout poilu qui avait l'air bien vivant. Inconscient du danger, il lui déclama ces quelques vers :
" Vous n'avez point d'allure, vos yeux sont trop petits,
Exceptée votre fourrure, le rêve d'une amie
M'en feriez-vous cadeau ? en guise de matière
Pour un manteau bien chaud, qu'elle mettra cet hiver. "
" Je suis peut être myope mais j'entends très bien " lui répondit la taupe, car c'en était une. "Et ce discours ne me plaît guère. Mais tu es pardonné et je te fais l'honneur de t'inviter pour mon goûter. "
" Merci Dame velue, quel sera le menu ? " osa demander l'innocent. "Les boulangeries étant fermées, point de pain au chocolat ou de cookie. Mais tu ressembles à s'y méprendre à un petit éclair au chocolat" lui répondit le mammifère à la myopie légendaire." Et tu me casses les oreilles avec tes poésies à la gomme, alors je vais te manger."
" Aie, aie, aie " gémit le petit ver paralysé de peur et pour la première fois en panne d'inspiration. Il ferma les yeux pour ne pas voir approcher la bouche cruelle qui s'ouvrait déjà toute grande pour le dévorer. Mais, mais, que se passait-il encore? Il décolla brusquement du sol et prit son envol. Oui, oui, vous avez bien entendu. Il avait quitté le plancher des vaches et pourtant aucune aile n'avait poussé sur son corps d'invertébré. " Depuis le temps qu'on me dit que j'ai la tête dans les nuages, je ne pensais pas qu'un jour je ferai le voyage. " pensa-t-il tout en levant la tête. Et ce qu'il vit le glaça d'effroi : Deux petits yeux sournois, des plumes, un bec le tenant bien serré : un gros merle venait de l'attraper. Heureusement, il avait été bien sage à l'école et avait toujours appris ses leçon. Prenez en de la graine, car cela pourrait aussi vous sauver la vie un jour ! Il déclama bien fort :
"Que vous êtes joli que vous me semblez beau,
Sans mentir si votre ramage se rapporte à votre plumage
vous êtes le phénix des hôtes de ces bois !"
A ces mots, l'oiseau se prenant pour un soprano, ouvrit un large bec pour pousser la chansonnette et plouf, il laissa tomber sa proie.
Le petit ver arriva sain et sauf sur la terre ferme, un peu étourdi quand même et surtout bien triste. Le jardin était maintenant plongé dans le noir et notre héros broyait son désespoir. A travers ses larmes, il aperçut une lueur, puis deux, puis trois, puis des centaines de petites lumières devant lui. Une scène improvisée entre les courgettes et les tomates s'illumina devant ses yeux ébahis. En guise de spots, des vers luisants et pour musiciens des cigales en train d'accorder leus cymbales abdominales. Puis, la lune apparut et le chanteur fit son entrée sur les branches de mon pommier. Le joli rossignol chanta ainsi des heures durant et le petit ver tout ému reconnut les parôles puisqu'il s'agissait des poésies qu'il avait écrites. Depuis, il vit dans le luxe et l'oppulence grâce aux droits d'auteur qu'il touche à chaque diffusion de ses chansons. Les oiseaux du monde entier les reprennent à tout moment de la journée.
Alors, vous qui m'écoutez, je vous ai convaincu : Dans mon jardin, il y a bien un être extraordinaire. Et le plus incroyable, c'est qu'il n'est pas le seul : le sol pullule de minuscules héros artistes du terreau.
Prenez soin de la terre, pour que tous les petits vers y prolifèrent. Ainsi la nature restera belle et source d'inspiration pour les rêveurs et les poètes de toute condition.
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