Les perles de Maryline
" C'est les vacances, les souris dansent ! " Et chouette, chouette, chouette, les parents ont emballé les maillots de bain, direction la mer. Nous allons sauter par-dessus les vagues et éclabousser tonton ; construire un chateau avec des douves tout autour, même s'il est très difficile de les remplir d'eau, car le sable la boit comme un dromadaire après la traversée du désert ; manger des chichis en les trempant dans du chocolat fondu et en barbouillant notre T.shirt, mais c'est pas grave puisqu'il est déjà tout collant de crême solaire. Ça va être drôlement bien, presque idyllique s'il n'y avait pas un hic : les mouettes ! Bon d'abord parce qu'elles s'amusent à chiper notre goûter ces coquines, puis qu'elles aiment projeter leur fiente puante (leur caca si vous préférez) dans des endroits inappropriés, sur notre petite personne entre autre, mais surtout et par-dessus tout, parce qu'elles n'arrêtent pas de rigoler. Vous n'avez pas remarqué ? " Kriou, Kriou ! " elles se bidonnent au-dessus de nos têtes du matin au soir. " Kriou, kriou ! " C'est énervant ! J'en ai parlé l'autre jour à un vieux pêcheur de Granville qui était en train de réparer ses filets sur les quais. Et il m'a répondu qu'il savait pourquoi elles riaient ainsi, que c'était un secret mais comme je lui étais sympathique qu'il allait me le révèler. Qu'est-ce que vous dites ? Vous aimeriez aussi le connaître. Euh, je ne sais pas si j'ai le droit... Bon, d'accord mais promettez-moi de ne le dire à personne d'autre. Alors voilà toute l'histoire :
" C'est un fameux trois mats fin comme un oiseau, hisséo, Santiano... " : Il y a de cela fort longtemps il n'y avait que ce petit air pour troubler le bruit des vagues et la quiétude des baigneurs. C'était la belle Maryline qui chantait. A l'abri des regards et du soleil d'été, sous un gros rocher, elle attendait la marée haute pour se baigner. La mer viendrait jusqu'à elle et elle n'aurait pas à traverser la plage. En effet, elle ne voulait pas être vue, car elle était d'une telle beauté que tous ceux qui l'apercevaient tombaient instantanèment amoureux d'elle. Il faut dire qu'elle était vraiment charmante, resplendissante, éblouissante : Avec son teint frais et lumineux, ses courbes parfaites, elle aurait pu être élue Miss littoral si ce prix avait existé.
Mais aucun de ses courtisans ne trouvaient grâce à ses yeux, car elle attendait le prince charmant qui lui offrirait ce qu'elle aimait par dessus tout : des bijoux, des milliers de bijoux, des montagnes de bijoux, des océans de colliers, de bracelets, de bagues et de boucles d'oreilles. Elle rêvait de parures et de pierres précieuses. Ce qu'elle préférait, c'était les perles. Elle les collectionnerait et elle épaterait la galerie. Elle ferait plein de jaloux qui n'en ont pas du tout. "Money, money" était son refrain préféré. Aaah, toutes les choses qu'elle pourrait faire si elle avait un peu d'argent. Alors, toute tentative de séduction ou même de conversation d'un individu ne pouvant lui offrir cette vie d'opulence se soldait par un échec. Il avait à peine ouvert la bouche que, Hop, elle se fermait comme une huître. Ce qui est bien triste mais aussi tout à fait normal, puisque c'en était une.
Justement, malgré les précautions de camouflage prises par ce cupide coquillage, un malheureux vint tenter sa chance : un p'tit bulot bien gentil, simple et sans histoire, pas du genre à faire monter la mayonnaise. Prenant son courage à deux mains, il lui dit d'un ton bourru : " Boujou ma p'tite Dame, comment qu'c'est ti qu'ça va ? ça vous dirait ti de venir do mé pour une tite virée ? " "Plaît-il ? " lui répondit l'huître d'une voix dédaigneuse, " Quel est ce langage fort peu civilisé ? Du patois ? Quelle horreur ! Je n'ai pas compris le moindre mot. Serait-ce possible de me traduire vos propos ? Mais vous avez l'air tellement benêt que vous êtes sans doute incapable de vous exprimer autrement. "
Le gastéropode des mers était peut-être lent dans ses déplacements mais pas idiot pour autant. Il répondit un peu vexé : " Ouh, ben dis-donc, c'est pas ben gentil ça, pour qui qu'vous vous prenez ? " Et il continua en imitant la voix hautaine de la donzelle " Je m'enquérais de votre santé et vous offrais de partager une flanerie en ma compagnie. Mé itou je peux ben causer, non mais ! " L'huître rétorqua : " Il est hors de question que je m'affiche avec vous. J'en mourrais de honte. Vous n'avez pas la classe et votre compte en banque est sans doute aussi vide que votre cerveau. Ce n'est pas avec vous que je vais pouvoir amasser un magot. Et regardez-vous : votre coquille est maculée de vase. Beurk ! Allez-vous en gros dégoûtant ! " Le bulot glissa aussi vite qu'il put loin de la mégère et rejoignit ses collègues de bulot, euh de bureau, enfin il repartit au boulot tout en maugréant dans ses moustaches : " Elles ne sont pas si chouettes que ça les filles du bord de mer. "
N'ayant plus personne pour l'importuner, l'huître profita de cette tranquilité pour bercer ses pensées et ses rêves de fortune. " Un jour mon prince viendra, lalalalalala... Et bien celui là n'a rien de charmant ! " s'exclama-t-elle soudain en apercevant un crustacé déambulant au bord de la Manche. " Quelle misère, il ne marche pas droit. Il a trop bu, c'est sûr, et pas que de l'eau de mer. Oh, non, il approche, je n'ai vraiment pas de chance aujourd'hui." Le crabe en question en pinçait pour elle. Il avait passé des nuits blanches à lui composer une chanson pour la prendre dans la nasse de son coeur. Il avait même confectionné une guitare avec une grosse coquille Saint Jacques sur laquelle il avait tendu, en guise de cordes, de longues algues filandreuses. Une fois tout près de sa dulcinée, il sortit l'instrument qu'il avait caché exprès dans les rochers et se mit à chanter : " Sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés " et trop ému pour continuer, il s'exclama : " Brigitte, épouse-moi ! ". Maryline s'écria : " Espèce de malotru, vous êtes complètement ivre ! Vous étiez sans doute au bar. " Le malheureux répondit : " Mais non, pas du tout j'étais avec mes potes les bars. " L'huître qui ne voulait rien entendre, répliqua : " Oui c'est cela vous étiez au bar avec les bars, espèce de barbare. " Le crabe fit un pas de côté, puis fila à toutes pinces en direction de la mer pour rejoindre ses amis les poissons qui l'attendaient bien sagement assis sur un banc.
Puis Nanar apparut dans le champs de vision de la chipie. " Oh, oh !" se dit-elle admirative. " Quelle belle maison, lui, il doit être riche. " Sentant le regard de la belle, le séducteur osa engager la conversation. " Salut bébé, vous marinez chez vos harengs ? Euh, je veux dire vous habitez chez vos parents ? " " Ah ah ah, vous êtes drôle. " s'esclaffa Maryline d'un air un peu nunuche. " Il fait une telle chaleur, me feriez-vous l'honneur de m'inviter à boire un verre dans votre joli logis ? " " Euh, c'est que ça n'est pas vraiment chez moi " répondit le bernard- l'hermitte un peu embété. " Comment cela ? vous n'êtes pas propriétaire de cette belle coquille ? " Le bellâtre répondit : " Ben non, j'habite chez une copine. Elle me l'a prêtée parce que j'avais perdu la mienne. Je n'ai pas un sou, mais je sens que je vais bientôt en gagner de nouveau, dès que le vent tournera..." " Oui, c'est ça, c'est ça, tu repartiras, je connais la chanson. Ouste du balai, hors de ma vue ! " s'écria l'huître choquée et indignée.
C'est à ce moment que Noé accompagné d'Arielle, munis de leurs pelles et de leurs rateaux se mirent à dessiner dans le sable, tout près des rochers, le plus beau des circuits. Puis, ils placèrent des petits galets et des jolis coquillages nacrés pour le décorer. Ils vidèrent leur énorme sac de billes. Il y en avait de toutes les couleurs, toutes plus magnifiques les unes que les autres : des yeux de chat, des météorites, des pépites, des voies lactées, des galaxies... Maryline n'en croyait pas ses mirettes et, les confondant avec des pierres précieuses, elle baillait d'admiration. Et le petit garçon découvrit qu'il y avait à l'intérieur de l'huître, une énorme perle. Sans hésiter, Il la chipa pour remplacer un calot que son amie lui avait pris lors d'une précédente partie.
" Et bien ça, c'est ballot ! J'avais au fond de mon coeur ce que je recherchais " se dit Maryline qui se retrouva fort dépourvue. " Pourvu que personne n'ait vu ma déconvenue. " Mais malheureusement pour elle, un goéland, un petit marrant, avait savouré toute la scène avec délectation. Cela lui inspira un sketch très drôle qu'il joua dans tous les ports lors d'une tournée internationale. Ce fut un succès incroyable, encore plus connu que les blagues de Toto et compagnie. Les mouettes furent ses plus grandes fans et dès qu'elles y pensent dans leurs cervelles d'oiseau depuis des générations, ça les fait rire, mais rire : " Kriou, kriou ! "
Maintenant, vous savez tout, mais je compte sur vous : c'est un secret entre nous.
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