Chapitre 9

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Hailey jette un coup d’œil aux gamins, puis à moi.

Elle attend que je dise quelque chose. Que je fasse un pas. Que je gueule peut-être. Mais je fais rien.

Je reste appuyé contre le mur, les yeux sur le sol. J’ai l’impression que si je parle, ça va exploser.

Et puis, je sais pas même pas quoi lui dire, ni par où commencer. Ça a toujours été elle qui fait la conversation.

— Tu veux boire quelque chose ? me demande-t-elle finalement, d’une voix plus douce.

— Je veux bien un verre d’eau... Et un petit gâteau, s’il y en a, je murmure sans lever la tête.

Elle a un petit rire, pas du tout méchant.

— Bien sûr. Je t’apporte ça tout de suite. Mets-toi à l’aise.

Elle disparaît dans la cuisine. J’entends le bruit du frigo, un verre posé sur le plan de travail, le clac du liquide versé.

Mon regard dérive à nouveau vers les deux morveux affalés sur le canapé.

Le petit dort à présent, la tête posée sur l’épaule de sa sœur.

Elle, par contre, ne dort pas. Elle continue de me fixer. D'un regard sans gêne, sans ciller.

J'aurais pû trouver ça effrayant ou derrangeant si je n'avais pas moi aussi cette même manie de fixer les gens.

J'entends mon téléphone vibrer dans ma poche. Je romps le contact visuelle avec la gamine et sors l’appareil.

Je sais déjà qui appelle. Bien sûr que je sais. Mais je regarde quand même l’écran, comme si j’avais besoin d’en être certain.

Isandre.

Ils ont mis tout ce temps à remarquer mon absence ? J’imagine que c’est maintenant que la fête touche à sa fin…

Je décroche et la voix d'Isa me parvient immédiatement.

— Mais t’es où, bordel ?!

J’entends la voix de Jada derrière, qui lui fait une remarque sur son langage. Il s’excuse à la volée et reprend.

— Tout le monde te cherche depuis plus d’une heure. Je pensais que t’étais juste sorti prendre l’air et que t’allais revenir, mais là… là, c’est clair que t’as pas l’intention de remettre les pieds ici. On est même passés chez toi. Je croyais que tu voulais juste pas ouvrir, mais ton voisin a dit que t’étais pas rentré. Alors ? Où t’es, Cal ?

Fermez-lui la gueule, par pitié.

Comment c'est possible de debiter autant de mots en une seule minute sans reprendre son souffle ?

— Tu m’ignores ? Cal ? Tu vas me répondre, oui ou non ?

Il me fatigue, ce gamin. Pourquoi croit-il que je dois lui rendre des comptes sur tout ce que je fais ?

Je suis presque majeure, et ils n’ont pas ma tutelle.

Alors si j’ai envie de disparaître de chez eux, je le fais, c'est tout.

Qu’ils me foutent la paix.

— Cal ?

C’est la voix de Jada, cette fois. Plus posée et plus douce.

Elle essaie une autre approche pour apprivoiser la bête.

Je roule des yeux.

— Dis-nous où tu es. On viendra te chercher.

Et puis quoi encore ?

Ils vont m’enrouler dans une couverture et me ramener de force, comme un gosse en fugue ?

— Pas la peine, je réponds sèchement. Je suis chez Hailey.

Silence à l’autre bout.

Je l’imagine, yeux écarquillés, bouche entrouverte. Elle devait pas s’attendre à ça.

En même temps, qui s’y attendrait ? Ça fait quatre ans que je mets un point d’honneur à ne pas remettre les pieds ici.

— Très bien… dit-elle enfin. On se retrouve demain à l’école pour la réunion avec le directeur.

Ah oui, la réunion.

Ça m'était complètement sortie de la tête.

Demain ils vont décider de mon sort.

— Pas la peine que vous veniez. Hailey va m’y accompagner.

Juste à ce moment-là, Hailey revient dans la pièce.

Elle me tend le verre d’eau que je prends sans même lever les yeux. Elle dépose un plateau avec des cookies fourré sur une commode à côté de moi.

— Merci, je murmure.

Elle hoche simplement la tête, puis s’approche du canapé.

Elle soulève doucement le petit garçon dans ses bras, il dort toujours profondément, et l’emmène sûrement dans sa chambre.

— Viens te recoucher, chérie, dit-elle à la fille restée là, immobile.

La gamine ne bouge pas tout de suite. Elle me regarde encore, comme si elle tentait de me comprendre, ou de me juger, je sais pas.

Mais au fond, je m’en fous.

Elle s’éloigne avec le petit garçon endormi dans les bras.

La gamine, elle, n’a pas bougé d’un centimètre.

Elle continue de me fixer avec ses grands yeux… identiques aux miens. Ce genre de détail qui devrait normalement me mettre mal à l'aise.

— Si c’est ce que tu veux, alors d’accord, dit Jada, toujours à l’autre bout du fil. Prends bien soin de toi.

Je raccroche aussitôt, avant qu’elle ne passe le téléphone à son pipelette de fils.

Je le connais : il m’aurait harcelé de questions à la seconde. Et ça m'aurait gaver.

Je mets mon téléphone en mode *Ne pas déranger*. Qu’ils s’étouffent dans leur inquiétude.

Je mets mon téléphone en mode ne pas déranger.

Hailey revient encore une fois au salon et se dirige vers sa fille qu'elle essaie de mettre debout.

Hailey revient une nouvelle fois dans le salon. Elle va directement vers sa fille et tente de la faire se lever.

— À quoi je dois t’accompagner demain ? me demande-t-elle en lui mettant ses chaussures.

Je n’ai pas encore eu le temps de répondre que la gamine me devance.

Elle se détache de sa mère, vient vers moi à petits pas rapides et m’étreint sans prévenir.

— Bonne nuit, Carly.

Je me fige une seconde, surpris, puis je la repousse sans ménagement.

— Combien de fois je dois te dire de pas m’étreindre ?! Et arrête de m’appeler comme ça !

Saleté de mioche

Je l’ai dit combien de fois déjà ? Carly, c’est quoi ce surnom pourri ? Ça a rien à voir avec mon prénom. Et on dirait un nom de fille, en plus.

Elle m’énerve. Elle le fait exprès, j’en suis sûr.

Je lève les yeux et tombe sur Hailey qui tente visiblement de retenir un sourire.

Évidemment. Ça l’amuse de me voir galérer avec ce microbe qui n’en fait qu’à sa tête.

Elle vient récupérer sa fille, un éclat de malice dans les yeux.

Moi, je reste là, bougon, sans vraiment comprendre pourquoi ça m’agace autant. Peut-être parce qu’elle est aussi têtu que moi…

Je prends mon plateau de cookie, puis vais m’installer sur le canapé, en attendant que Hailey revienne.

Elle met beaucoup plus de temps cette fois.

J’ai le temps de descendre la moitié du plateau, lentement, en silence.

Quand elle revient enfin, elle attrape la télécommande, éteint le dessin animé que les mioches regardaient tout à l’heure, et affiche à l’écran les images des caméras de leurs chambres.

En haut, sur un autre écran plus petit, s’affichent celles du reste de la maison.

Sur les images des chambres, le petit garçon dort profondément, les bras refermés autour de son doudou.

La fille, elle, est bien installée dans son lit, mais elle ne dort pas.

Un livre ouvert repose sur ses genoux, et ses yeux suivent encore les lignes.

Je la fixe à travers l’écran. Immobile.

Hailey a dû s’en rendre compte, parce qu’elle prend la parole, doucement.

— Elle a beaucoup de mal à s’endormir. Surtout après ses cauchemars. Elle en fait tous les soirs. Alors je la couche tôt, vers 18h. Comme ça, même si elle se réveille deux ou trois fois dans la nuit, elle peut quand même récupérer un peu. Certains soirs, comme aujourd’hui, sont plus durs. Elle réveille souvent son frère en criant dans son sommeil… alors ils restent un moment ensemble à regarder un dessin animé, puis ils se rendorment.

Je continue de regarder l’écran sans dire un mot.

Cette gamine, là… elle me rappelle quelqu’un.

Ah ouais.

C’est moi.

— Bon… tu m’as toujours pas dit à quoi je dois t’accompagner demain.

Elle s’installe en face de moi, calmement, les yeux posés sur moi. Elle me scrute à la loupe.

— Un genre de conseil de discipline, je réponds. Ils vont décider si l’école me garde ou pas. Mais t’es pas obligée de venir.

Je m’attends à ce qu’elle me demande ce que j’ai fait pour en arriver là.

Mais elle ne dit rien. Elle ne cherche pas à fouiller.

Ce n’est pas Isa et sa clique.

Hailey, elle se mêle que de ce qui la regarde. Et c’est exactement pour ça que je suis venu ici.

C’est ça que j’aime chez elle.

— Si je viens pas, et tes amis n'ont plus vu que tu leurs à demander de ne pas y être, comment vas-tu faire ? demande-t-elle simplement.

— Je vais gérer. Je suis un grand garçon.

Elle esquisse un petit sourire.

— Je n’en doute pas… mais il faut un adulte pour t’accompagner à ce genre de truc. Je vais venir, ça ne me dérange pas.

Je devrais peut-être la remercier.

Mais non.

Elle ne le mérite pas. Ou alors, je veux croire qu’elle ne le fait pas par pure bonté comme le font Jada et Bastien. Elle, le fait pour un but précis.

Je me concentre sur le reste de mon plateau, en silence.

— Tu dors là ? demande-t-elle après un moment.

Je lève les yeux vers elle.

C’est vrai qu’il se fait tard. Elle doit être crevée.

Mais j’ai besoin qu’elle comprenne.

Besoin qu’elle voie devine pourquoi je suis là, sans que j’aie à l’expliquer.

Je la fixe longuement.

Elle soutient mon regard, puis, au bout de quelques minutes, elle sourit doucement.

— De quoi tu as besoin ?

J'ai presque envie de sauter de joie. Elle a toujours été perspicace.

Si ça pouvait marcher avec tout le monde comme ça… si je pouvais me faire comprendre sans avoir à parler...quelle bonheur ça serait.

— D’argent, je lâche. Et un peu de vivres, aussi.

— Je vais te trouver ça demain.

Elle se lève.

— Alors ? Tu dors là ou dans ta chambre ?

— Là, c’est bien.

Elle hoche la tête, sans poser de question, et se dirige vers le couloir.

— Je vais me coucher. La première porte à gauche est prête. Fais comme chez toi.

Elle disparaît sans bruit.

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