Les lettres « inclusives »

Image de couverture de Les lettres « inclusives »

Karine faisait sa première ronde de la nuit dans l’hospice en sirotant son infect café pris au distributeur. La « Maison du dernier repos », c’était le modeste nom que le cynique propriétaire de ce mouroir privé avait élégamment choisi pour le domaine.

-A croire qu’il comptait vivre éternellement le bougre! Se disait la femme en manquant de s’étrangler avec son horrible mixture.

Elle repensa à M.Faucheur qu’elle et ses collègues surnommaient dans le dos affectueusement « M.Croquemort ». Quel disparition stupide et banale que de glisser à la sortie de sa baignoire. Ce qui l’était peut-être moins, ce fut le cadavre de la prostituée à peine majeure qui gisait au niveau de son entre-jambes, assommée par le poids du bonhomme à sa découverte. Le personnage ne lui inspirant que peu de sympathie de son vivant, son trépas ne l’affectait donc que dans une moindre mesure.

-Tout de même, la vie est une chose bien étrange... un jour on gueulait sur ses employés en les menaçant de licenciement, on faisait des avances indécentes à la gente des jeunes employées tout en ne distillant que du mépris à l’égard de ses pensionnaires et le lendemain, on se retrouvait raide mort, les fesses à l’air comme au premier jour! La pensée fit frémir Karine.

-N’y avait-il pas un peu plus à la vie qu’un quotidien monotone et une mort banalement stupide?

Elle ouvrit avec précaution la porte de M. Dupont, ses gongs auraient besoin d’une bonne dose d’huile, tant elle grinçait jusqu’au bout du couloir. Ce dernier ronflait paisiblement en marmonnant de temps à autre le prénom « Marie », sa défunte femme, une gentille vieille dame qui aimait beaucoup que Karine lui raconte ce que les plus jeunes faisaient de nos jours pour passer le temps. Refermant doucement, elle vérifia ensuite une par une les chambres des autres pensionnaires sous sa responsabilité pour la nuit. En arrivant dans celle de mamie Berta (c’est comme cela que la pensionnaire aimait se faire appeler), elle constata que sa lampe de chevet était encore allumée. Cette dernière essayait vainement de déchiffrer ce qui ressemblait à un courrier. Malheureusement, le voile de cataracte qui couvrait généreusement la cornée de la vieille dame la rendait quasi-totalement aveugle. Elle subit quelques opérations de chirurgie pour l’en débarrasser, mais la pathologie se montrait très récalcitrante, au grand dam de mamie Berta, cette amatrice de journaux, de polars, et des lettres de ses petits-enfants.

-Mamie Berta! Vous ne dormez toujours pas?! Vous allez aggraver votre mauvaise vue si vous continuez à lire avec si peu d’éclairage! Pourquoi n’avez-vous pas demandé à un membre du personnel? Vous savez bien qu’on adore vous faire la lecture!

-Oh Karine, c’est vous? Je ne voulais pas vous déranger. Je sais que vous allez être très occupée...

-Ne vous faites pas de soucis pour ça! A cette heure-ci, la plupart des pensionnaires sont déjà tous endormis. En plus je meurs d’envie de savoir ce que deviennent Céline et Christophe. Ce sont vraiment de gentils petits-enfants que vous avez-là! Vous pensez qu’ils passeront vous voir bientôt?

-Comme vous devez vous en douter, les jeunes sont très occupés à vivre des aventures et rêver leurs vies! C’est tout à fait normal qu’il n’aient pas le temps de rendre visite à une vieille relique du siècle passé. Je ne m’en offusque pas, je suis même ravie qu’ils pensent à m’écrire de temps en temps!

-C’est vrai, mais les votre vous aiment beaucoup vous savez, je suis sure qu’aussi palpitantes soient leurs aventures, ils viendront vous en raconter quelques unes de vive voix!

-Ma foi, vous avez peut-être raison! En attendant, Céline m’écrit de temps en temps. Hier, j’ai reçu cette lettre d’elle. La vieille dame tendit les pages à Karine.

Céline avait une belle orthographe, mais qu’est-ce que c’était minuscule! Comment Berta comptait-elle déchiffrer cette lettre avec sa cataracte avancée si elle-même devait sortir ses lunettes de vue pour la lire!

L’air glacée de l’hiver se frayait insidieusement un chemin à travers l’interstice de la porte qui donnait sur le balcon. Mamie Berta en frissonnant légèrement, l’auxiliaire de vie entreprit de boucher le passage avec un vieux drap qui trainait dans l’armoire.

-Il faudra qu’on fasse quelque chose pour cette porte... dit Karine avant de commencer sa lecture à la vieille dame.

Coucou mamie Berta!

J’espère que tu vas bien! Je sais que tu as quelques petits soucis de santé, mais il va de soi que ce n’est rien qui puisse t’abattre! Papa n’arrête pas de me le répéter quand on parle de toi. Il dit toujours: « tu sais, ta mamie Berta est une vraie force de la nature, elle nous enterrera tous! ». J’espère qu’il a raison, tu m’as tellement appris et tu as encore tant à nous apporter avec toutes ces décennies vécues! Je profite de cette petite lettre pour t’annoncer une grande nouvelle: Je suis enceinte! C’est un embryon de quatre semaines, mais j’ai le pressentiment que ce sera une fille! La nouvelle m’a assez bouleversée...Tu sais comment je suis, tête en l’air, un tantinet nombriliste et indifférente à l’espèce humaine, pourtant je vis cette aventure comme une révélation. Ma conviction du sexe de mon futur enfant me pousse à m’interroger plus que jamais sur notre condition de femme. Le désir impérieux de partager mes impressions avec toi me tenaillait depuis quelques temps, toi qui as dû observer des premiers rangs, l’évolution du statut de la femme au sein de la société.

Beaucoup de changements se profilent encore à l’horizon et des choses que même moi, l’éternel pessimiste, pensais immuables et indéfectibles, se retrouvent pointées du doigt. L’Omerta sur les viols et l’objectification des actrices à Hollywood sont très fortement ébranlées à l’Ouest, les Femens mènent une guerre « sextrémiste » dans l’ancien bloc soviétique, une femme devient Imam dans une mosquée à Copenhague et prône le « féminisme islamique »! Pour beaucoup, cela sonnerait presque comme une farce ou une blague de très mauvais goût! Je dois avouer que les deux termes retentissent à mes oreilles comme un oxymore, quand on pense à la place de la femme dans l’Islam fondamentaliste. Puis après réflexion, au temps où tu me lisais la bible enfant, comme te le faisais ta propre mère, je me suis souvenue de toutes les contraintes dont les femmes Israélites écopaient du fait de leur genre. Je me rappelle avoir haï ma condition et m’être interrogée sur le pouvoir qu’aurait pu avoir mon frère sur moi si nous étions tous les deux né.e.s ne serais-ce qu’un siècle plus tôt, dans une communauté différente, un pouvoir qu’il aurait acquis dès le ventre de notre mère, du fait de sa descente testiculaire. Aujourd’hui, je pense à ce petit être qui grandit en moi et les bouleversements en cours qui poussent à l’équilibre des forces me fait espérer malgré moi. Peut-être que le monde qui la verra grandir respectera un peu plus le fait qu’elle soit porteuse d’ovaires. Peut-être pourront-ils la voir irrévocablement comme l’égale de l’homme... Mais il est très dur de changer les mentalités. Le corps de Simone VEIL repose déjà depuis quelques mois dans sa sépulture, mais ses détracteurs lui garde toujours rancune. Son intention était d’octroyer le droit du choix à la gente féminine, mais il faut croire qu’enfermer ces demoiselles, loin des mâles jusqu’à l’obtention de leurs diplômes et ne les sortir périodiquement qu’à certaines saisons des amours dans l’unique but de procréer, devrait constituer la seule alternative à considérer.

Dans un registre proche, même moi, en voyant les photos des Femens en première page du journal Libération, seins nues, protestants à genoux sur la place du Vatican, je ne pût m’empêcher de me dire: « ça c’est de la pornographie gratuite pour tous les lecteurs du quotidien ce matin! Elles n’ont pas peur d’être des cibles de viols?». Pourtant, j’éprouve un certain respect, voire même une certaine admiration pour ces femmes qui font de leurs corps, une plateforme de revendication de leur condition.

Les mentalités changent cependant, c’est indéniable. Quel fut mon enchantement lorsque le groupe Disney se mit enfin, à produire des animations telles que « rebelle », une princesse qui rachetait sa liberté et son droit à être une fille « capable », en défiant ses prétendants dans une épreuve de tir à l’arc. Ils admettent enfin la figure de la femme forte et indépendante, n’étant pas constamment associée à celle de la sorcière ou à la reine maléfique. Il était temps de faire le deuil des représentations de princesses soumises et soupirantes à un beau prince qui viendrait les libérer de leurs donjons ou plus consternantes encore, de celles qui ne se « réveillent », ne prennent vie en tant que femmes qu’après le doux baiser de leurs princes. Il était grand temps de tordre le cou à ce cliché entêtant:

Une femme rencontre un homme, renonce à son nom et à son intégrité physique par amour (ou par impératif biologique et social) ou tout simplement, par obéissance à « l’ordre des choses », subordonnant son être et sa volonté à celui-ci. Et puis d’abord, qu’est-ce que « l’ordre des choses »? Un concept si vague et infondé que la plupart du temps, personne ne sait vraiment l’expliquer. Pourtant, le modèle classique de « fille rencontre garçon », jouant amoureusement à « un, deux, trois, soleil! » à travers les âges, nous collent durement à la peau. Certaines vivent, élèvent leurs enfants et meurent en ne reconnaissant que ce modèle comme étant le seul fiable. Les sociétés ont profondément mutées, les rôles que les usages anciens avaient attribués aux deux genres se sont bel et bien confondues. Nos conceptions de ces rôles doivent donc s’y adapter.

Tu dois sûrement te demander pourquoi j’utilise des points dans des verbes qui suivent des pronoms masculins et féminins employé.e.s dans la même phrase? Pourquoi « ils et elles » au lieu de « ils » tout court, alors qu’un groupe de femmes est désigné mais parce qu’il y a un petit garçon au sein d’elles, je dois y référer comme « ils » au lieu de « il et elles » comme le souhaite notre bonne vieille langue française? C’est l’écriture inclusive, une initiative rendue quelque peu légitime par le secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre hommes et femmes. Leur intention étant d’harmoniser cette orthographe possédant une morphologie multiple et instable. Ces promoteurs ne s’accordant pas toujours sur une forme unique et le sujet de l’égalité soudain brûlante auprès de l’opinion publique, poussait à agir. Je ne doute pourtant pas un instant du dessein commun de défaire cette subordination automatique du féminin au masculin qui s’est insinué jusque dans le langage entre autres choses. A défaut de parvenir à une égalité parfaite de la rémunération des deux genres pour un travail égal, quoi de plus fondamental que de semer l’idée de l’égalité des sexes dans la langue, l’outil premier de communication entre les citoyen.ne.s? Quel soulagement de savoir ma petite rose ne sera plus reléguée au second rang jusque dans les mots. Enfin, ce serait seulement dans l’hypothèse où l’initiative se généraliserait, grâce à la générosité peu probable de ses négationnistes. Car crois-moi, même sans y avoir assisté, je suis persuadée que sa suggestion a dû entortiller quelques moustaches chez les académiciens! C’est un style que j’apprends moi-même avec difficulté, mais Rome ne s’est pas faite en un jour, dit-on. Il faut bien se lancer à un moment!

Alors oui, la conviction que cet enfant en devenir pourrait voir ses ovaires ne pas se muer en testicules, ce profond sentiment d’appartenance au clan féminin me poussent à t’écrire ses mots, pour exprimer à quel point mes yeux se sont ouverts et que je souhaiterais qui le restent. Pour partager cette vision avec les sœurs qui m’ont précédées ici-bas et celles qui attendent d’y être projetées. De nous convaincre que fermer les yeux sur les actes, même anodins qui nous discriminent, perpétue la conception manifeste de « subordonnées des hommes » et estompe la réalité, celle qui fait de nous une entité à part entière.

J’ai hâte de passer te voir pour que tu me racontes ton expérience de femme; je voudrais être capable de faire voir à ma petite rose, le chemin que nous avons parcouru pour qu’en temps venu, elle puisse prendre la mesure de ce qu’il nous reste à faire.

Ta petite Céline.

Un petit moment de silence s’installa entre les deux femmes. Mamie Berta essayait tant bien que mal de se rappeler ce qui lui avait inspiré la lecture du Lévitique à une fillette de dix ans soucieuse par nature. Puis elle repensa à tous ces moments où elle avait pu véhiculer sans réfléchir les clichés mentionnés dans la lettre malgré ses propres convictions émancipatrices de la femme. Elle était déjà mère depuis longtemps lorsque le printemps 68 survint, mais cela ne l’empêcha pas de hurler aussi fort que les étudiants et les jeunes travailleurs qui s’opposaient au système préétabli, les guerres injustifiées et au maintien de la femme au rang de citoyenne de seconde classe. Elle n’avait jamais été à la tête d’un groupe d’amazones révolutionnaires, mais il fût un temps où son petit club de lecture donnait quelques idées d’autonomie et d’autodétermination à certaines. Aujourd’hui la confusion et l’isolement de la vieillesse l’avaient un peu privé de sa voix, mais elle se promit de faire parvenir quelques phrases bien inspirées à Céline.

Karine quant à elle, méditait les mots qu’elle venait de lire. Où se trouvait-elle lorsque tout ceci se produisait? Probablement à repasser et à amidonner le col des chemises de son mari. Elle l’aimait tendrement cela dit, mais ce travail, Karine l’avait acceptée à contrecœur pour lui permettre d’évoluer dans son activité et demander une mutation. Onze années et deux enfants plus tard, ils en étaient toujours au même point.

-Vous allez bien Karine? Demanda soudain mamie Berta en n’entendant plus la jeune femme pendant cette période de flottement.

-Oui, oui mamie Berta. Ça va, je somnole un peu, j’ai besoin de café pour me remettre d’aplomb! Prétexta-elle pour sortir de la chambre. -Dormez maintenant, on pourra rédiger ensemble une réponse à Céline demain ou dans la semaine... d’accord?

-Bien sûr! Soyez courageuse, les heures filent, vous aurez vite fait de débaucher!

Mamie Berta glissa la lettre dans un tiroir de sa commode et éteignit sa lampe pour à son tour, s’endormir, laissant Karine à ses nouvelles questions.

Cette nuit-là fût longue et pleine d’introspections pour notre brave auxiliaire de vie. Les dizaines de nuits qui suivirent n’en furent pas pour autant dépourvues. C’était comme si cette lettre avait brisé la boîte de Pandore cachée au fond d’elle, une amphore où elle prit soin depuis bien longtemps, d’enfermer un certain nombres de vœux qui auraient pu faire d’elle aujourd’hui, quelqu’un de tout à fait différent. Cupidon avait probablement fait preuve d’un excès de zèle en décochant ses flèches un poil trop tôt.

Le café à la Maison du dernier repos restait abominable, les chambres étaient toujours aussi mal isolées, la cataracte de mamie Berta s’épaississait au rythme de la vie d’un éphémère, mais Karine changeait. Le voile qui couvrait son regard quant à ses choix et leurs raisons d’être, se levait à mesure de ses nouvelles lectures et que les branches du grand figuier dans la cour se revêtait sereinement de sa parure printanière.

En rentrant un soir après un horaire de jour, Karine observa un court instant son tendre mari vautré dans le canapé à se gaver de chips au goût poulet devant un match de première ligue, Paris Saint-Germain contre l’Olympique de Marseille.

-Coucou chérie, comment s’est passé ta journée? Demanda son mari en se rendant compte de la présence de sa tendre et douce.

-Bien, je suis juste un peu fatiguée. Et toi? Tu te détends un peu devant la télé à ce que je vois, lui répondit-elle en lui caressant légèrement les mèches de cheveux au sommet du crâne.

-Chérie, c’est « Ze Match » de la saison! Au fait, il y a quelques potes qui arrivent dans une trentaine de minutes pour la mi-temps et on a plus de bière. Est-ce que tu peux être mignonne et aller en chercher, avec quelques amuse-gueules s’il te plait? J’ai fini le paquet de chips...

Karine allait répondre à l’affirmative, lorsqu’elle se vit, sous les traits de sa propre mère, en train de dorloter son homme, au point d’en devenir son essuie-pieds. Julien n’était pas son père, elle le savait bien. Mais quelque chose commençait maintenant à la terrifier dans son propre comportement. Comme si les concessions auxquelles elle avait consenti pour rester auprès de lui annihilait depuis quelques temps déjà, à son insu, la personne qui sommeillait en elle et que cette docilité grandissante la tuait un peu plus chaque jour. Combien de temps encore allait-elle s’enfermer dans ce rôle? Plus effrayante pensée encore, est-ce le modèle qu’elle souhaitait transmettre à sa fille?

-Chérie?

-Oui julien, je suis là. Mais je voudrais que tu ailles toi-même faire cette course. Je suis fatiguée et j’ai très mal au dos. Je vais prendre un bain chaud et aller au lit. Une longue journée m’attend demain, lui lança-t’elle, sans se retourner. Après tout, ses jambes étaient très aptes à se rendre au supermarché du coin.

La chaleur s’était bien installé cette semaine-là. Les hirondelles s’en revenaient faire leurs nids dans les branches à présent bien touffues, des arbres du parc voisin. Parfois, des soirs comme celui-ci, l’on pouvait distinctement entendre le chant des grillons dans les hautes herbes en dessous de sa fenêtre. Ce soir-là, ce chant fut plus agréable encore aux oreilles qu’à l’accoutumée. Ce grésillement avait des accents libérateurs et la brise propageait dans sa chambre à coucher, un parfum printanier qui l’incita à se saisir d’un bloc-notes et d’un stylo pour graver quelques pensées:

Ma chère fille,

Tu es mon aînée et sache que je t’aime très fort, même si je ne te le dis jamais. Ce soir est un grand soir, c’est aujourd’hui que les choses changeront. Des mots lus à une vieille dame il y a quelques temps, m’ont lentement ouvert les yeux sur des mouvements qui secouent notre monde depuis des lustres. Un bras de fer parfois silencieux, parfois emprunt de violences oppose deux genres, dit-on, fait l’un pour l’autre, mais traditionnellement vus comme inégaux. Je t’ai donné naissance il y a maintenant dix années, tu es bien une part de moi. Pourtant au-delà du lien de sang, nous sommes unies par notre appartenance à la gente féminine.

Faire des coudes pour s’inclure dans nos sociétés comme un genre susceptible d’indépendance face au sexe « fort » est bien loin d’être une mince affaire. Comment s’affirmer lorsque les codes, le langage, les exigences que nous créons nous-mêmes et l’éducation nous enserrent comme des étaux? J’ai moi-même, dû renoncer à beaucoup de choses pour être le soutien de ton père. Ne te méprends pas, je l’aime tendrement et suis comblée de vous avoir eu avec lui. Seulement, il est possible que j’ai dû faire des concessions pour que l’on arrive au résultat que tu connais. Un certain nombre de possibilités qui s’offraient à moi, se sont effacées avec les années, à mesure que mes choix me guidait vers ma vie actuelle, des choix ignorants la modification du paysage relationnel des genres. Car il faut que tu le sache, ma chérie, nous ne sommes pas tenues d’exécuter les moindres désirs de nos partenaires pour nous sentir valorisées, nous ne sommes pas contraintes de vivre dans leurs ombres. Nous disposons aussi d’un libre arbitre et des mêmes droits et nous devons nous en saisir et l’exercer. La vigueur de la jeunesse est une chose bien volatile, il serait dommage pour toi d’y renoncer trop tôt.

Beaucoup de droits nous ont été restitués au fil des générations, grâces aux mouvements d’émancipation de la femme à travers le temps et l’espace: notre droit de vote émergea au milieu du siècle dernier, l’étude de l’histoire des femmes en tant que groupe social naquît en 1970 et le mouvement féministe s’intensifia face à la volonté opposée de nous enfermer dans le rôle désuet que la tradition nous avait assigné. En 1975, le contrôle sur notre corps nous est rendu. Bien sûr, toutes ces choses ne sont pas acquises pour chaque citoyenne de notre monde; mais la lutte continue sous diverses formes et différents cieux. Les Iraniennes ôtent leurs voiles pour protester contre son port obligatoire, les Indiennes disent non aux viols ignorés de leurs fillettes, les Togolaises font une « grève du sexe » pour obliger les hommes à s’investir dans des mouvements d’opposition à un régime cinquantenaire.

Les langues se délient et la colère trop longtemps sourde, gronde avec des voix clairement audibles au sein de la multiplicité communautaire de nôtre horde et le message est unique: la femme-ombre de l’homme, la femme-objet de son plaisir doit mourir pour laisser place à la femme-individu.

Tu sais ce que c’est que l’écriture inclusive? Je n’en ai pris connaissance qu’il y a peu. Qui sait? Peut-être est-ce devenue la norme de l’époque où tu liras ces mots. Il est aussi fort probable que ce soit devenu un souvenir lointain que l’on s’est dépêché de balayer sous un tapis, à la minute où le #BalanceTonPorc aura disparu de la toile. Peu m’importe son destin; son intention elle, perdurera, je n’en doute pas un instant, car même si la manifestation de notre égalité ne perdure pas dans les mots de la grammaire française, cette lettre est une graine semée, une goutte qui vient grossir le flot préexistant de mots, né du libre arbitre féminin.

A défaut d’avoir donné l’exemple, je t’offre mes quelques « lettres inclusives », à l’instar de sa grammaire, un souhait d’exister.

Karine entendait son mari râler à travers la porte en rentrant de sa commission, vexé et déçu d’avoir raté une partie de la première mi-temps et son sommeil hoquetait des cris de ses braves amis tout le long du match, mais elle ne s’en souciait plus.

Le lendemain, l’auxiliaire de vie se rendit dans la chambre de mamie Berta pour s’enquérir des nouvelles de Céline et de sa petite zoé.

-Elle est très mignonne vous ne trouvez pas? Dit la vieille dame en montrant la photo de son arrière-petite-fille à Karine.

-Aussi belle que sa maman! S’exclama cette dernière.

-La vie est une chose bien étrange, non?

Après un long silence employé à regarder fixement la vieille dame, Karine osa la question qui à présent, lui brulait les lèvres:

-Si vous êtes d’accord, je voudrais que vous me racontiez votre expérience de vie en tant que femme.

Tous droits réservés
1 chapitre de 16 minutes
Commencer la lecture

Table des matières

Commentaires & Discussions

Les lettres de KChapitre4 messages | 6 ans

Des milliers d'œuvres vous attendent.

Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0