Mercy Pauper
J’avoue n’avoir aucune idée de quoi dire pour me presenter sinon que je suis une apprentie-écrivaillon qui cherche l’inspiration dans la lecture et le visionnage de toutes sortes de choses: des productions cinématographiques ou séries-télés; l’actualité dans des médias en ligne ou encore de la presse papier un peu plus fouillées, car pour moi, l’écriture ne peut qu’être engagée. Elle doit, bien entendu, faire passer des émotions et des opinions, mais elle se doit aussi de scruter notre monde et d’en dénoncer les travers.
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œuvres
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défis réussis
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"J'aime" reçus
Œuvres
Défi
Envie, Gourmandise, Colère, Luxure, Paresse, Avarice/Avidité et enfin Orgueil, les Sept règnent sans partage dans le cœur de l’Homme. Notre siècle et les valeurs ultra-libérales qui le caractérise, sont une vraie caricature de l’emprise des Sept sur notre espèce.
Tout dans notre monde, est objet de spéculation monétaire et être membre de la caste qui contrôle cette valeur virtuelle, c’est être puissant, être investi du Pouvoir et d’un droit sur tout. Cette grandeur qu’apporte le Pouvoir que détient la strate supérieure, écrase depuis la naissance des premières civilisations, les plus faibles, mais aussi la notion de solidarité au sein de notre espèce; Une notion qui avait pourtant permis sa survie à des époques farouches.
Les faiblesses humaines primordiales sommairement décrite par la bible comme les 7 péchés capitaux, théorisés par Binsfeldius comme étant des démons qui hantent le cœur des Hommes, accentuent cette soif de pouvoir sur son prochain. Pourtant, au-delà d’un discours théologique manichéen, détenir le Pouvoir, c’est avant tout, le détenir sur et au détriment d’une autre personne. Dans cette grandeur supposée qu’il confère à celui qui a ses faveurs, ce profile aussi la décadence de nos systèmes d’organisation sociale et une menace de la survie de notre espèce. Car ce Pouvoir que possède ces quelques uns, ils l’exercent sur tout: la masse de leurs congénères, mais aussi sur notre habitat naturel et tout ce qui la compose. La soif de Pouvoir est insidieuse. Ces « démons » qui résident dans nos cœurs en savonnent généreusement les parois pour lui faciliter le travail. Mais le Pouvoir fait un mauvais amant, car il se comporte en ogre qui, lorsqu’il se lasse de sa proie, ne laisse derrière lui qu’un champ de ruine. Des civilisations s’étant montrées trop avides, avaient finies calcinées.
On mesure la grandeur d’une nation à son hégémonie dans le monde; mais aussi, à sa capacité d’être fidèle à ces institutions et à ses valeurs intrinsèques. Pourtant beaucoup, à l’image des humains, se laissent corrompre jusqu’au cœur de ses symboles fondateurs pour parvenir à cette hégémonie, car la séduction est la raison d’être du Pouvoir. Certaines personnes se sont laissées consumées par son charme.
Il est pourtant de notoriété publique que l’orgueil précédait toujours la chute et rien ne semblait y échapper.
Mais la vrai question est: Que feriez-vous à leurs places? Agiriez-vous autrement?
Un mansarde qui avait assisté à quelques relations de l’ultime Séducteur et ses cibles, raconte le partenariat redoutable de ce dernier et des Sept.
Tout dans notre monde, est objet de spéculation monétaire et être membre de la caste qui contrôle cette valeur virtuelle, c’est être puissant, être investi du Pouvoir et d’un droit sur tout. Cette grandeur qu’apporte le Pouvoir que détient la strate supérieure, écrase depuis la naissance des premières civilisations, les plus faibles, mais aussi la notion de solidarité au sein de notre espèce; Une notion qui avait pourtant permis sa survie à des époques farouches.
Les faiblesses humaines primordiales sommairement décrite par la bible comme les 7 péchés capitaux, théorisés par Binsfeldius comme étant des démons qui hantent le cœur des Hommes, accentuent cette soif de pouvoir sur son prochain. Pourtant, au-delà d’un discours théologique manichéen, détenir le Pouvoir, c’est avant tout, le détenir sur et au détriment d’une autre personne. Dans cette grandeur supposée qu’il confère à celui qui a ses faveurs, ce profile aussi la décadence de nos systèmes d’organisation sociale et une menace de la survie de notre espèce. Car ce Pouvoir que possède ces quelques uns, ils l’exercent sur tout: la masse de leurs congénères, mais aussi sur notre habitat naturel et tout ce qui la compose. La soif de Pouvoir est insidieuse. Ces « démons » qui résident dans nos cœurs en savonnent généreusement les parois pour lui faciliter le travail. Mais le Pouvoir fait un mauvais amant, car il se comporte en ogre qui, lorsqu’il se lasse de sa proie, ne laisse derrière lui qu’un champ de ruine. Des civilisations s’étant montrées trop avides, avaient finies calcinées.
On mesure la grandeur d’une nation à son hégémonie dans le monde; mais aussi, à sa capacité d’être fidèle à ces institutions et à ses valeurs intrinsèques. Pourtant beaucoup, à l’image des humains, se laissent corrompre jusqu’au cœur de ses symboles fondateurs pour parvenir à cette hégémonie, car la séduction est la raison d’être du Pouvoir. Certaines personnes se sont laissées consumées par son charme.
Il est pourtant de notoriété publique que l’orgueil précédait toujours la chute et rien ne semblait y échapper.
Mais la vrai question est: Que feriez-vous à leurs places? Agiriez-vous autrement?
Un mansarde qui avait assisté à quelques relations de l’ultime Séducteur et ses cibles, raconte le partenariat redoutable de ce dernier et des Sept.
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Karine faisait sa première ronde de la nuit dans l’hospice en sirotant son infect café pris au distributeur. La « Maison du dernier repos », c’était le modeste nom que le cynique propriétaire de ce mouroir privé avait élégamment choisi pour le domaine.
-A croire qu’il comptait vivre éternellement le bougre! Se disait la femme en manquant de s’étrangler avec son horrible mixture.
Elle repensa à M.Faucheur qu’elle et ses collègues surnommaient dans le dos affectueusement « M.Croquemort ». Quel disparition stupide et banale que de glisser à la sortie de sa baignoire. Ce qui l’était peut-être moins, ce fut le cadavre de la prostituée à peine majeure qui gisait au niveau de son entre-jambes, assommée par le poids du bonhomme à sa découverte. Le personnage ne lui inspirant que peu de sympathie de son vivant, son trépas ne l’affectait donc que dans une moindre mesure.
-Tout de même, la vie est une chose bien étrange... un jour on gueulait sur ses employés en les menaçant de licenciement, on faisait des avances indécentes à la gente des jeunes employées tout en ne distillant que du mépris à l’égard de ses pensionnaires et le lendemain, on se retrouvait raide mort, les fesses à l’air comme au premier jour! La pensée fit frémir Karine.
-N’y avait-il pas un peu plus à la vie qu’un quotidien monotone et une mort banalement stupide?
Elle ouvrit avec précaution la porte de M. Dupont, ses gongs auraient besoin d’une bonne dose d’huile, tant elle grinçait jusqu’au bout du couloir. Ce dernier ronflait paisiblement en marmonnant de temps à autre le prénom « Marie », sa défunte femme, une gentille vieille dame qui aimait beaucoup que Karine lui raconte ce que les plus jeunes faisaient de nos jours pour passer le temps. Refermant doucement, elle vérifia ensuite une par une les chambres des autres pensionnaires sous sa responsabilité pour la nuit. En arrivant dans celle de mamie Berta (c’est comme cela que la pensionnaire aimait se faire appeler), elle constata que sa lampe de chevet était encore allumée. Cette dernière essayait vainement de déchiffrer ce qui ressemblait à un courrier. Malheureusement, le voile de cataracte qui couvrait généreusement la cornée de la vieille dame la rendait quasi-totalement aveugle. Elle subit quelques opérations de chirurgie pour l’en débarrasser, mais la pathologie se montrait très récalcitrante, au grand dam de mamie Berta, cette amatrice de journaux, de polars, et des lettres de ses petits-enfants.
-Mamie Berta! Vous ne dormez toujours pas?! Vous allez aggraver votre mauvaise vue si vous continuez à lire avec si peu d’éclairage! Pourquoi n’avez-vous pas demandé à un membre du personnel? Vous savez bien qu’on adore vous faire la lecture!
-Oh Karine, c’est vous? Je ne voulais pas vous déranger. Je sais que vous allez être très occupée...
-Ne vous faites pas de soucis pour ça! A cette heure-ci, la plupart des pensionnaires sont déjà tous endormis. En plus je meurs d’envie de savoir ce que deviennent Céline et Christophe. Ce sont vraiment de gentils petits-enfants que vous avez-là! Vous pensez qu’ils passeront vous voir bientôt?
-Comme vous devez vous en douter, les jeunes sont très occupés à vivre des aventures et rêver leurs vies! C’est tout à fait normal qu’il n’aient pas le temps de rendre visite à une vieille relique du siècle passé. Je ne m’en offusque pas, je suis même ravie qu’ils pensent à m’écrire de temps en temps!
-C’est vrai, mais les votre vous aiment beaucoup vous savez, je suis sure qu’aussi palpitantes soient leurs aventures, ils viendront vous en raconter quelques unes de vive voix!
-Ma foi, vous avez peut-être raison! En attendant, Céline m’écrit de temps en temps. Hier, j’ai reçu cette lettre d’elle. La vieille dame tendit les pages à Karine.
Céline avait une belle orthographe, mais qu’est-ce que c’était minuscule! Comment Berta comptait-elle déchiffrer cette lettre avec sa cataracte avancée si elle-même devait sortir ses lunettes de vue pour la lire!
L’air glacée de l’hiver se frayait insidieusement un chemin à travers l’interstice de la porte qui donnait sur le balcon. Mamie Berta en frissonnant légèrement, l’auxiliaire de vie entreprit de boucher le passage avec un vieux drap qui trainait dans l’armoire.
-Il faudra qu’on fasse quelque chose pour cette porte... dit Karine avant de commencer sa lecture à la vieille dame.
Coucou mamie Berta!
J’espère que tu vas bien! Je sais que tu as quelques petits soucis de santé, mais il va de soi que ce n’est rien qui puisse t’abattre! Papa n’arrête pas de me le répéter quand on parle de toi. Il dit toujours: « tu sais, ta mamie Berta est une vraie force de la nature, elle nous enterrera tous! ». J’espère qu’il a raison, tu m’as tellement appris et tu as encore tant à nous apporter avec toutes ces décennies vécues! Je profite de cette petite lettre pour t’annoncer une grande nouvelle: Je suis enceinte! C’est un embryon de quatre semaines, mais j’ai le pressentiment que ce sera une fille! La nouvelle m’a assez bouleversée...Tu sais comment je suis, tête en l’air, un tantinet nombriliste et indifférente à l’espèce humaine, pourtant je vis cette aventure comme une révélation. Ma conviction du sexe de mon futur enfant me pousse à m’interroger plus que jamais sur notre condition de femme. Le désir impérieux de partager mes impressions avec toi me tenaillait depuis quelques temps, toi qui as dû observer des premiers rangs, l’évolution du statut de la femme au sein de la société.
Beaucoup de changements se profilent encore à l’horizon et des choses que même moi, l’éternel pessimiste, pensais immuables et indéfectibles, se retrouvent pointées du doigt. L’Omerta sur les viols et l’objectification des actrices à Hollywood sont très fortement ébranlées à l’Ouest, les Femens mènent une guerre « sextrémiste » dans l’ancien bloc soviétique, une femme devient Imam dans une mosquée à Copenhague et prône le « féminisme islamique »! Pour beaucoup, cela sonnerait presque comme une farce ou une blague de très mauvais goût! Je dois avouer que les deux termes retentissent à mes oreilles comme un oxymore, quand on pense à la place de la femme dans l’Islam fondamentaliste. Puis après réflexion, au temps où tu me lisais la bible enfant, comme te le faisais ta propre mère, je me suis souvenue de toutes les contraintes dont les femmes Israélites écopaient du fait de leur genre. Je me rappelle avoir haï ma condition et m’être interrogée sur le pouvoir qu’aurait pu avoir mon frère sur moi si nous étions tous les deux né.e.s ne serais-ce qu’un siècle plus tôt, dans une communauté différente, un pouvoir qu’il aurait acquis dès le ventre de notre mère, du fait de sa descente testiculaire. Aujourd’hui, je pense à ce petit être qui grandit en moi et les bouleversements en cours qui poussent à l’équilibre des forces me fait espérer malgré moi. Peut-être que le monde qui la verra grandir respectera un peu plus le fait qu’elle soit porteuse d’ovaires. Peut-être pourront-ils la voir irrévocablement comme l’égale de l’homme... Mais il est très dur de changer les mentalités. Le corps de Simone VEIL repose déjà depuis quelques mois dans sa sépulture, mais ses détracteurs lui garde toujours rancune. Son intention était d’octroyer le droit du choix à la gente féminine, mais il faut croire qu’enfermer ces demoiselles, loin des mâles jusqu’à l’obtention de leurs diplômes et ne les sortir périodiquement qu’à certaines saisons des amours dans l’unique but de procréer, devrait constituer la seule alternative à considérer.
Dans un registre proche, même moi, en voyant les photos des Femens en première page du journal Libération, seins nues, protestants à genoux sur la place du Vatican, je ne pût m’empêcher de me dire: « ça c’est de la pornographie gratuite pour tous les lecteurs du quotidien ce matin! Elles n’ont pas peur d’être des cibles de viols?». Pourtant, j’éprouve un certain respect, voire même une certaine admiration pour ces femmes qui font de leurs corps, une plateforme de revendication de leur condition.
Les mentalités changent cependant, c’est indéniable. Quel fut mon enchantement lorsque le groupe Disney se mit enfin, à produire des animations telles que « rebelle », une princesse qui rachetait sa liberté et son droit à être une fille « capable », en défiant ses prétendants dans une épreuve de tir à l’arc. Ils admettent enfin la figure de la femme forte et indépendante, n’étant pas constamment associée à celle de la sorcière ou à la reine maléfique. Il était temps de faire le deuil des représentations de princesses soumises et soupirantes à un beau prince qui viendrait les libérer de leurs donjons ou plus consternantes encore, de celles qui ne se « réveillent », ne prennent vie en tant que femmes qu’après le doux baiser de leurs princes. Il était grand temps de tordre le cou à ce cliché entêtant:
Une femme rencontre un homme, renonce à son nom et à son intégrité physique par amour (ou par impératif biologique et social) ou tout simplement, par obéissance à « l’ordre des choses », subordonnant son être et sa volonté à celui-ci. Et puis d’abord, qu’est-ce que « l’ordre des choses »? Un concept si vague et infondé que la plupart du temps, personne ne sait vraiment l’expliquer. Pourtant, le modèle classique de « fille rencontre garçon », jouant amoureusement à « un, deux, trois, soleil! » à travers les âges, nous collent durement à la peau. Certaines vivent, élèvent leurs enfants et meurent en ne reconnaissant que ce modèle comme étant le seul fiable. Les sociétés ont profondément mutées, les rôles que les usages anciens avaient attribués aux deux genres se sont bel et bien confondues. Nos conceptions de ces rôles doivent donc s’y adapter.
Tu dois sûrement te demander pourquoi j’utilise des points dans des verbes qui suivent des pronoms masculins et féminins employé.e.s dans la même phrase? Pourquoi « ils et elles » au lieu de « ils » tout court, alors qu’un groupe de femmes est désigné mais parce qu’il y a un petit garçon au sein d’elles, je dois y référer comme « ils » au lieu de « il et elles » comme le souhaite notre bonne vieille langue française? C’est l’écriture inclusive, une initiative rendue quelque peu légitime par le secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre hommes et femmes. Leur intention étant d’harmoniser cette orthographe possédant une morphologie multiple et instable. Ces promoteurs ne s’accordant pas toujours sur une forme unique et le sujet de l’égalité soudain brûlante auprès de l’opinion publique, poussait à agir. Je ne doute pourtant pas un instant du dessein commun de défaire cette subordination automatique du féminin au masculin qui s’est insinué jusque dans le langage entre autres choses. A défaut de parvenir à une égalité parfaite de la rémunération des deux genres pour un travail égal, quoi de plus fondamental que de semer l’idée de l’égalité des sexes dans la langue, l’outil premier de communication entre les citoyen.ne.s? Quel soulagement de savoir ma petite rose ne sera plus reléguée au second rang jusque dans les mots. Enfin, ce serait seulement dans l’hypothèse où l’initiative se généraliserait, grâce à la générosité peu probable de ses négationnistes. Car crois-moi, même sans y avoir assisté, je suis persuadée que sa suggestion a dû entortiller quelques moustaches chez les académiciens! C’est un style que j’apprends moi-même avec difficulté, mais Rome ne s’est pas faite en un jour, dit-on. Il faut bien se lancer à un moment!
Alors oui, la conviction que cet enfant en devenir pourrait voir ses ovaires ne pas se muer en testicules, ce profond sentiment d’appartenance au clan féminin me poussent à t’écrire ses mots, pour exprimer à quel point mes yeux se sont ouverts et que je souhaiterais qui le restent. Pour partager cette vision avec les sœurs qui m’ont précédées ici-bas et celles qui attendent d’y être projetées. De nous convaincre que fermer les yeux sur les actes, même anodins qui nous discriminent, perpétue la conception manifeste de « subordonnées des hommes » et estompe la réalité, celle qui fait de nous une entité à part entière.
J’ai hâte de passer te voir pour que tu me racontes ton expérience de femme; je voudrais être capable de faire voir à ma petite rose, le chemin que nous avons parcouru pour qu’en temps venu, elle puisse prendre la mesure de ce qu’il nous reste à faire.
Ta petite Céline.
Un petit moment de silence s’installa entre les deux femmes. Mamie Berta essayait tant bien que mal de se rappeler ce qui lui avait inspiré la lecture du Lévitique à une fillette de dix ans soucieuse par nature. Puis elle repensa à tous ces moments où elle avait pu véhiculer sans réfléchir les clichés mentionnés dans la lettre malgré ses propres convictions émancipatrices de la femme. Elle était déjà mère depuis longtemps lorsque le printemps 68 survint, mais cela ne l’empêcha pas de hurler aussi fort que les étudiants et les jeunes travailleurs qui s’opposaient au système préétabli, les guerres injustifiées et au maintien de la femme au rang de citoyenne de seconde classe. Elle n’avait jamais été à la tête d’un groupe d’amazones révolutionnaires, mais il fût un temps où son petit club de lecture donnait quelques idées d’autonomie et d’autodétermination à certaines. Aujourd’hui la confusion et l’isolement de la vieillesse l’avaient un peu privé de sa voix, mais elle se promit de faire parvenir quelques phrases bien inspirées à Céline.
Karine quant à elle, méditait les mots qu’elle venait de lire. Où se trouvait-elle lorsque tout ceci se produisait? Probablement à repasser et à amidonner le col des chemises de son mari. Elle l’aimait tendrement cela dit, mais ce travail, Karine l’avait acceptée à contrecœur pour lui permettre d’évoluer dans son activité et demander une mutation. Onze années et deux enfants plus tard, ils en étaient toujours au même point.
-Vous allez bien Karine? Demanda soudain mamie Berta en n’entendant plus la jeune femme pendant cette période de flottement.
-Oui, oui mamie Berta. Ça va, je somnole un peu, j’ai besoin de café pour me remettre d’aplomb! Prétexta-elle pour sortir de la chambre. -Dormez maintenant, on pourra rédiger ensemble une réponse à Céline demain ou dans la semaine... d’accord?
-Bien sûr! Soyez courageuse, les heures filent, vous aurez vite fait de débaucher!
Mamie Berta glissa la lettre dans un tiroir de sa commode et éteignit sa lampe pour à son tour, s’endormir, laissant Karine à ses nouvelles questions.
Cette nuit-là fût longue et pleine d’introspections pour notre brave auxiliaire de vie. Les dizaines de nuits qui suivirent n’en furent pas pour autant dépourvues. C’était comme si cette lettre avait brisé la boîte de Pandore cachée au fond d’elle, une amphore où elle prit soin depuis bien longtemps, d’enfermer un certain nombres de vœux qui auraient pu faire d’elle aujourd’hui, quelqu’un de tout à fait différent. Cupidon avait probablement fait preuve d’un excès de zèle en décochant ses flèches un poil trop tôt.
Le café à la Maison du dernier repos restait abominable, les chambres étaient toujours aussi mal isolées, la cataracte de mamie Berta s’épaississait au rythme de la vie d’un éphémère, mais Karine changeait. Le voile qui couvrait son regard quant à ses choix et leurs raisons d’être, se levait à mesure de ses nouvelles lectures et que les branches du grand figuier dans la cour se revêtait sereinement de sa parure printanière.
En rentrant un soir après un horaire de jour, Karine observa un court instant son tendre mari vautré dans le canapé à se gaver de chips au goût poulet devant un match de première ligue, Paris Saint-Germain contre l’Olympique de Marseille.
-Coucou chérie, comment s’est passé ta journée? Demanda son mari en se rendant compte de la présence de sa tendre et douce.
-Bien, je suis juste un peu fatiguée. Et toi? Tu te détends un peu devant la télé à ce que je vois, lui répondit-elle en lui caressant légèrement les mèches de cheveux au sommet du crâne.
-Chérie, c’est « Ze Match » de la saison! Au fait, il y a quelques potes qui arrivent dans une trentaine de minutes pour la mi-temps et on a plus de bière. Est-ce que tu peux être mignonne et aller en chercher, avec quelques amuse-gueules s’il te plait? J’ai fini le paquet de chips...
Karine allait répondre à l’affirmative, lorsqu’elle se vit, sous les traits de sa propre mère, en train de dorloter son homme, au point d’en devenir son essuie-pieds. Julien n’était pas son père, elle le savait bien. Mais quelque chose commençait maintenant à la terrifier dans son propre comportement. Comme si les concessions auxquelles elle avait consenti pour rester auprès de lui annihilait depuis quelques temps déjà, à son insu, la personne qui sommeillait en elle et que cette docilité grandissante la tuait un peu plus chaque jour. Combien de temps encore allait-elle s’enfermer dans ce rôle? Plus effrayante pensée encore, est-ce le modèle qu’elle souhaitait transmettre à sa fille?
-Chérie?
-Oui julien, je suis là. Mais je voudrais que tu ailles toi-même faire cette course. Je suis fatiguée et j’ai très mal au dos. Je vais prendre un bain chaud et aller au lit. Une longue journée m’attend demain, lui lança-t’elle, sans se retourner. Après tout, ses jambes étaient très aptes à se rendre au supermarché du coin.
La chaleur s’était bien installé cette semaine-là. Les hirondelles s’en revenaient faire leurs nids dans les branches à présent bien touffues, des arbres du parc voisin. Parfois, des soirs comme celui-ci, l’on pouvait distinctement entendre le chant des grillons dans les hautes herbes en dessous de sa fenêtre. Ce soir-là, ce chant fut plus agréable encore aux oreilles qu’à l’accoutumée. Ce grésillement avait des accents libérateurs et la brise propageait dans sa chambre à coucher, un parfum printanier qui l’incita à se saisir d’un bloc-notes et d’un stylo pour graver quelques pensées:
Ma chère fille,
Tu es mon aînée et sache que je t’aime très fort, même si je ne te le dis jamais. Ce soir est un grand soir, c’est aujourd’hui que les choses changeront. Des mots lus à une vieille dame il y a quelques temps, m’ont lentement ouvert les yeux sur des mouvements qui secouent notre monde depuis des lustres. Un bras de fer parfois silencieux, parfois emprunt de violences oppose deux genres, dit-on, fait l’un pour l’autre, mais traditionnellement vus comme inégaux. Je t’ai donné naissance il y a maintenant dix années, tu es bien une part de moi. Pourtant au-delà du lien de sang, nous sommes unies par notre appartenance à la gente féminine.
Faire des coudes pour s’inclure dans nos sociétés comme un genre susceptible d’indépendance face au sexe « fort » est bien loin d’être une mince affaire. Comment s’affirmer lorsque les codes, le langage, les exigences que nous créons nous-mêmes et l’éducation nous enserrent comme des étaux? J’ai moi-même, dû renoncer à beaucoup de choses pour être le soutien de ton père. Ne te méprends pas, je l’aime tendrement et suis comblée de vous avoir eu avec lui. Seulement, il est possible que j’ai dû faire des concessions pour que l’on arrive au résultat que tu connais. Un certain nombre de possibilités qui s’offraient à moi, se sont effacées avec les années, à mesure que mes choix me guidait vers ma vie actuelle, des choix ignorants la modification du paysage relationnel des genres. Car il faut que tu le sache, ma chérie, nous ne sommes pas tenues d’exécuter les moindres désirs de nos partenaires pour nous sentir valorisées, nous ne sommes pas contraintes de vivre dans leurs ombres. Nous disposons aussi d’un libre arbitre et des mêmes droits et nous devons nous en saisir et l’exercer. La vigueur de la jeunesse est une chose bien volatile, il serait dommage pour toi d’y renoncer trop tôt.
Beaucoup de droits nous ont été restitués au fil des générations, grâces aux mouvements d’émancipation de la femme à travers le temps et l’espace: notre droit de vote émergea au milieu du siècle dernier, l’étude de l’histoire des femmes en tant que groupe social naquît en 1970 et le mouvement féministe s’intensifia face à la volonté opposée de nous enfermer dans le rôle désuet que la tradition nous avait assigné. En 1975, le contrôle sur notre corps nous est rendu. Bien sûr, toutes ces choses ne sont pas acquises pour chaque citoyenne de notre monde; mais la lutte continue sous diverses formes et différents cieux. Les Iraniennes ôtent leurs voiles pour protester contre son port obligatoire, les Indiennes disent non aux viols ignorés de leurs fillettes, les Togolaises font une « grève du sexe » pour obliger les hommes à s’investir dans des mouvements d’opposition à un régime cinquantenaire.
Les langues se délient et la colère trop longtemps sourde, gronde avec des voix clairement audibles au sein de la multiplicité communautaire de nôtre horde et le message est unique: la femme-ombre de l’homme, la femme-objet de son plaisir doit mourir pour laisser place à la femme-individu.
Tu sais ce que c’est que l’écriture inclusive? Je n’en ai pris connaissance qu’il y a peu. Qui sait? Peut-être est-ce devenue la norme de l’époque où tu liras ces mots. Il est aussi fort probable que ce soit devenu un souvenir lointain que l’on s’est dépêché de balayer sous un tapis, à la minute où le #BalanceTonPorc aura disparu de la toile. Peu m’importe son destin; son intention elle, perdurera, je n’en doute pas un instant, car même si la manifestation de notre égalité ne perdure pas dans les mots de la grammaire française, cette lettre est une graine semée, une goutte qui vient grossir le flot préexistant de mots, né du libre arbitre féminin.
A défaut d’avoir donné l’exemple, je t’offre mes quelques « lettres inclusives », à l’instar de sa grammaire, un souhait d’exister.
Karine entendait son mari râler à travers la porte en rentrant de sa commission, vexé et déçu d’avoir raté une partie de la première mi-temps et son sommeil hoquetait des cris de ses braves amis tout le long du match, mais elle ne s’en souciait plus.
Le lendemain, l’auxiliaire de vie se rendit dans la chambre de mamie Berta pour s’enquérir des nouvelles de Céline et de sa petite zoé.
-Elle est très mignonne vous ne trouvez pas? Dit la vieille dame en montrant la photo de son arrière-petite-fille à Karine.
-Aussi belle que sa maman! S’exclama cette dernière.
-La vie est une chose bien étrange, non?
Après un long silence employé à regarder fixement la vieille dame, Karine osa la question qui à présent, lui brulait les lèvres:
-Si vous êtes d’accord, je voudrais que vous me racontiez votre expérience de vie en tant que femme.
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Nicolas grandit promptement. Il atteignait progressivement l’âge auquel lui-même pouvait engendrer d’autres petits Nicolas, comme son père avant lui et son grand-père avant ce dernier. Mais contrairement à son paternel, le garçon espérait obtenir beaucoup plus de la vie. Il en attendait davantage du quotidien que ses prédécesseurs purent prétendre du leur. Bien plus que son père, le buraliste de quartier et bien plus encore que son grand père, l’ancien ouvrier d’une fabrique de papier fin dont Nicolas ignorait le nom. Le jeune homme entendait ne pas vivre constamment avec l’épée de Damoclès de la précarité au dessus de sa tête.
Cela ne faisait pas de lui un être foncièrement cupide puisqu’il ne comptait nullement consacrer chaque instant de son existence à amasser des biens tel les quarante voleurs des milles et une nuits dans une caverne; il voulait seulement ne pas devoir serrer les cordons de sa bourse quand s’en venait la fin du mois, à l’image de ses parents, pour cause de revenu modeste.
Car cette situation lui était familière, même s’il la saisissait mal dans sa tendre enfance: Le manque de moyens dans la maisonnée, se traduisant assez souvent par des pénuries intermittentes de légumes frais et de viande à table, des fournitures scolaires endommagées remplacées très tardivement, ou encore des vacances passés sur le canapé éreinté et affaissé du salon, seul, avec pour uniques compagnes la télécommande et une pizza surgelée, réchauffée au micro-onde.
Les générations de Nicolas et celle de son père connaissaient une époque de sérieuses dérives: Seule une poignée jouissait des richesses. Depuis qu’il fut capable de comprendre le monde, le mot «crise» proliférait dans les articles de journaux et dans les émissions télévisées de toutes sortes. Aucun secteur d’activité ne semblait épargné par l’ogre de la crise globale. La société ne semblait guère résolue cependant à réformer cette formidable religion de l’ultra-libéralisme à l’origine de cette décadence. Elle comptaient même des millions d’adeptes et prospérait si bien qu’à ce stade, elle s’incrustait dans les mœurs.
Son grand-père gémissait perpétuellement dès le réveil en ces mots: «Mes pauvres enfants, quelle époque absurde vivons-nous! La liberté équitable et l’entraide ont été de très courte durée!». Après quoi, il lui narrait de petits contes de son cru et des anecdotes relatants son enfance et sa vie passée, des histoires dont le petit Nicolas raffolait. Le jeune homme en revanche, les considérait comme les prémices d’une démence sénile. Pourtant ce matin-là, une tristesse à peine perceptible teintait sa voix lorsqu’il décida de reparler de son très vieil ami, le messager des songes.
-Mon petit, connais-tu le marchand de sable?
-Comme dans cette histoire que tu me racontais pour m’expliquer pourquoi mes yeux picotaient et que mes paupières s’alourdissaient lorsque sommeil me gagnait? Répondit Nicolas en levant ostensiblement les yeux vers le plafond. Il en avait soupé de cette histoire à la noix!
-Celle-là même mon petit. Mais l’espèce existe bel et bien.
-Ah oui? Tu en as déjà vu un grand-père? Demanda Nicolas, avec un scepticisme mal feint, pendant qu’il lui servait une infusion à cause de sa mauvaise nuit la veille.
-Oui, bien sûr que j’en ai vu un! Et plusieurs fois même! Je suis sûr que tu en as déjà vu toi aussi, mais ton cynisme te le fait nier! Rétorqua papy Nicolas avant de siroter doucement, d’une main légèrement tremblotante, son breuvage un poil brûlant.
-D’accord papy, peut-être dis-tu vrai. Mais pourquoi en reparles-tu tout à coup? Demanda le jeune homme, sincèrement intrigué cette fois, quant au dénouement de ce que son aïeul comptait lui confier. -Il lui arrive parfois de tenir des propos très sensés sous couverts de paraboles ou en l’occurrence, d’un conte pour enfant.
-Parce que j’ai vu le dernier de l’espèce hier soir. Il m’a dit qu’il s’en allait couler ses vieux jours quelque part très loin de toute civilisation.
-Ah bon? Et ou cela? (« D’accord, là le vieux débloque complètement! » pensa le garçon).
-Je n’en ai aucune idée, il a refusé tout net de me le dire.
-Et pourquoi décide-t-il brusquement de partir?
-Il m’a rapporté qu’il rencontrait des échecs incessants dans sa tâche depuis quelques temps. Les gens s’obstinaient à garder l’œil ouvert, même lorsqu’il forçait sur la dose de poussière. Le pauvre s’était retrouvé vite à court!
Morphée, son fournisseur, lui avait avoué manquer de graine de pavot à l’origine de la poussière, pour ses prochaines semis.
Le grand-père posa sa tasse vide sur la petite commode à côté de lui, prit une grande inspiration et continua.
-Un drame cependant finit de le pousser à cesser son activité: Le suicide de son meilleur ami, responsable du sommeil de la capitale. Contre toute attente, ce dernier c’était enfoncé dans une profonde dépression à cause de la détérioration généralisée du repos des habitants. Pris d’une grande culpabilité, il ingurgita une dose massive d’infusion aux graines de pavot et rendit l’âme, un sourire béat aux lèvres, ces graines étant euphorisantes mais mortelles pour son espèce. Une vague de suicide à la substance se répandit alors parmi les siens dès le lendemain. Les rescapés décidèrent donc d’un commun accord de fermer boutique et d’abandonner les humains à leur sort.
-Alors là! Quel histoire papy! C’est vraiment une entreprise à grande échelle le sommeil! Alors comme ça les marchands de sable nous abandonnent parce qu’ils auraient un faible pour une «drogue douce»? Ironisa Nicolas.
-Je n’en sais rien, ce n’est pas de ma faute si cette poudre qui nous est bénéfique s’avère mortelle pour eux!
-Et comment as-tu pu roupiller après son départ, toute la matinée, le derrière vissé à ce rocking chair!?!
-Grâce à ma mémoire du bon vieux temps, une époque où la joie se cachait encore dans des choses simples!
-Tu parles de la préhistoire là papy!
Ce fut les yeux mi-clos que le grand-père grommela «un peu de respect pour tes ainés!».
Emmitouflé dans son plaid et se balançant légèrement, il se rendait lentement au paradis de ses jours heureux.
Le lendemain suivant cette bien étrange conversation avec son aïeul, Nicolas ressentait une profonde tristesse. Son grand père avait raconté sa dernière légende. Savait-il à ce moment-là qu’il entrait dans son ultime torpeur? Le jeune homme s’en voulait de s’être montré si désobligeant envers lui pendant ses derniers instants. Il fallut cependant qu’il dépasse son chagrin pour se concentrer sur son avenir. Pleurer son aïeul devra attendre encore quelques semaines.
Pourtant, ce moment ne vint jamais. Avant même que le jeune homme ne puisse s’exécuter, la vie dont il rêvait et ses nombreuses exigences se firent une place de choix dans son quotidien: voyages d’affaires prirent le pas sur les repas de famille, les réunions d’entreprises passèrent avant les premiers pas de son fils. Les nuits servirent à surveiller le cour des marchés; les journées, à naviguer de taxis en bureaux pour des rendez-vous de toutes sortes. La frénésie du mieux prit le pas sur contentement que procurait le bien. Dans le fond, pouvait-on lui en vouloir? Nicolas clamait en son cœur vivre selon les valeurs de son père et du défunt grand père, celle du travail et du sens des responsabilités. Se faisant, il était tout naturel de développer un goût certain pour son activité. Aimer son métier représentait même une condition sine qua non à sa poursuite sur les quatre décennies de rigueur et ainsi prétendre à une retraite dorée. Après tout, qui pouvait encore se permettre d’espérer une manne divine ou d’ailleurs alors que les temps de crise tendaient à devenir la norme? Peu importe si cet intérêt devint donc subitement dévorant, il était nécessaire. Peu importe s’il devint primordial, en vertu de l’évidence selon laquelle le cœur de tout Homme se trouvait là où se terrait son trésor; le travail du jeune homme devint, à l’instar de la fable, son trésor.
Ce fut donc à corps perdu que Nicolas embrassa sa destinée. Son habileté ne servit qu’à mieux graisser les courroies de son ascension dans les hautes sphères de son activité et parallèlement, dans celles de l’insomnie. Cette dernière crut de manière exponentiellement égale à sa soif inextinguible du mieux. Parfait prototype du spécimen «Wireless Homo Sapiens», ses sens étaient à 90% au contact d’un écran pour décortiquer les moindres fluctuations du marché, ses instincts primaires mis à contribution du flair des meilleures opportunités. Nicolas se métamorphosait en une chimère dont l’ADN était constitué d’un super ordinateur et d’un rapace affamé, prête à se jeter sur toute proie, pourvu que cette dernière ne montrasse quelconque faiblesse. Son espèce avait développé une très haute tolérance aux nuits blanches avec l’aide du miraculeux breuvage que constituait le café et quelques opiacés.
L’avidité nouvelle qui rongeait Nicolas finit par lui coûter son mariage et la confrontation judiciaire qui s’en suivit fut aussi sanglante que les batailles menées dans l’exercice de son métier: La jolie plaque dorée qui trônait fièrement sur son bureau comportait en dessous de son nom l’inscription « pas de quartier ni de prisonniers ». Sa femme se retrouva donc avec le strict minimum pour assurer les besoins de leurs fils, lorsque ce dernier se rendait chez elle pour la garde partagée. Encore une personne de plus dans ce bas monde qui entretiendrait une profonde haine pour le petit-fils de l’ouvrier de fabrique!
Nicolas n’en avait cure. Il devint, au fil des années, incapable de faire du sentiment. « Nous sommes ce que nous valons. Si quelqu’un s’avère insatisfait de sa position, qu’il se batte pour en changer!» affirmait-il à qui voulait bien l’entendre, ainsi ne s’aperçut-il pas de l’instant où lui-même se faisait éconduire de son terrain de jeu.
En effet, une nouvelle technologie née d’ingénieux esprits mathématiques vint mettre en échec les financiers et les courtiers de son espèce: le trading à haute fréquence. De super calculateurs élaborés grâce à de formidables programmations algorithmiques informatiques vinrent repousser d’un autre cran l’économie réelle du monde financier virtuel, laissant les anciens praticiens comme Nicolas sur le carreau. Ce dernier se faisait alors l’effet d’une vielle hyène qui perdait ses crocs et son flair. Son prototype d’Homo Sapiens tombait lentement en désuétude pour être remplacé par une toute autre espèce, celle qui se rapprochait dangereusement de l’intelligence artificielle.
« Qui sera donc le prochain roi de cette tour et à quel prix? » s’interrogeait pensivement Nicolas en faisant ses cartons pour quitter son superbe bureau et sa vue imprenable sur les rues de la capitale et son ciel perpétuellement gris. En retirant sa plaque de la magnifique table en verre incassable, il pensait à tout ce qu’il dût sacrifier pour chaque jour s’asseoir dans le puissant fauteuil derrière elle. Quelques années de sommeil et son pesant en vigueur gracieusement offertes à Mammon. « Si toute la ville avait fait le même pacte, ce n’était pas étonnant que les marchands de sable se soient retrouvés au chômage !» réalisa t-il subitement en repensant à la dernière fable de son défunt grand-père. Nicolas décida d’arpenter les rues qui menaient à son appartement à pied, s’étant débarrassé de son carton-souvenir. Après tout, que pouvait-il encore bien faire du contenu? Quelle valeur donner à ces dossiers remplis d’informations obsolètes et à sa jolie plaque, symbole de sa glorieuse vie appartenant à présent au passé? Le brouillard épais de la froide matinée engloutissait la ville, à l’instar de celui qui s’insinuait dans son esprit. Les fines gouttelettes qu’il transportait lui faisait l’effet de transpercer sa chair, tout comme les pics d’incertitudes qui s’emparèrent de son rythme cardiaque. L’homme qu’il était devenu ne le rendait pas particulièrement fier mais son don dans les affaires lui garantissait à lui et à sa famille, un confort certain et une garantie de n’avoir aucun souci du côté des finances. Qu’allait-il advenir d’eux à présent? La distraction que lui causaient ces questions le firent se retrouver nez à nez avec le portier de son immeuble.
Ce dernier arborait un très ravissant coquard à l’œil droit et un bras en écharpe. Pour une fois, à cause de la gêne qu’il éprouvait d’avoir presqu’écrasé son gros orteil, Nicolas décida de lui adresser son bonjour et d’engager la conversation en l’interrogeant sur son coquard.
-Une course à la promotion qui a mal tourné. Le Nutella était en solde et comme ma fille en raffole, je me suis dit que j’allais en faire une petit stock.
Ça n’expliquait pas le bras cassé.
-Ben...tout le monde a eu la même idée que moi, du coup, ça a tourné à l’émeute...
-Je vois, vous avez besoin d’augmentation si ce n’est pas indiscret? Les fins du mois sont difficiles, je comprends...
-Pas vraiment...enfin oui, je ne cracherais pas sur une augmentation, mais c’est un principe, vous savez, c’est comme disait cette pub’: Pourquoi payer plus cher quand on peut payer moins cher?
-Vous avez raison, ce serait idiot! Lança alors Nicolas dans un petit ricanement. Après avoir pris congé de son interlocuteur, il prit l’ascenseur en direction de son appartement.
A peine entré dans la cabine avec sa musique d’une banalité sans nom, cette conversation le plongea à nouveau dans un tourbillon de questions: Quel mauvais Djinn avait bien pu s’emparer du bonheur pour l’enfouir dans un pot de Nutella? Pourquoi s’acharnait-il à nous persuader que notre félicité se cachait dans des notions aussi virtuelles que la fortune pécuniaire? Valaient-elles à fortiori le sacrifice des besoins essentiels à la survie de notre espèce? Ces valeurs de consommation frénétiques et d’accumulation de richesses évaluées en bout de papier étaient-il assez solides pour que son fils puisse à son tour s’y fier ainsi que les petits Nicolas qui lui succèderaient?
En entrant dans son séjour, il s’assit dans son canapé et prit soudain conscience qu’il s’y installait pour la première fois depuis son achat. Il s’avérait d’ailleurs extrêmement confortable ce canapé! Rien de comparable avec la ruine de son enfance! Moelleux sans excès, épousant parfaitement les courbes de son arrière-train et quel repos pour les lombaires! En plus il était escamotable! Comment se faisait-il qu’il ne s’y était jamais assis? Il repensa à sa femme qu’il traita sûrement comme ce canapé-trophée. Il soupirait d’aise mêlé de mélancolie lorsque son fils vint à côté de lui en saisissant prestement sa manette de jeux vidéos et son casque de réalité virtuelle. Avant qu’il n’enclencha son jeu, son père l’interrompit:
-Fiston, je voudrais qu’on aille en vacances quelque part pour se changer les idées.
-Cool ‘pa! Où est-ce qu’on va? Ibiza? Cannes?
-Non mon garçon, quelque part de bien moins bruyant...
Le petit Nicolas fit la moue. Le bruit, les gens, la fête, c’était la conception du voyage réussi qui faisait consensus...
-Viens je vais te montrer l’itinéraire. Il déplia son canapé très à-propos et reprit:
-Allons au pays des marchands de sable, crois-moi, tu ne seras pas déçu du voyage!
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Questionnaire de l'Atelier des auteurs
Pourquoi écrivez-vous ?
J’ai toujours aimé lire et je pense que l’écriture est le meilleur instrument pour transmettre des idées et confronter des points de vues.
Activité
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