Chapitre 2

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La vieille horloge à balancier du salon indiquait huit heures dix. Elle claquait à chaque seconde comme un cœur un peu trop fort. Le thé fumait doucement dans la tasse blanche décorée de roses. Sur la table en bois usé, un petit pain grillé attendait sur une assiette fleurie, à moitié tartiné de confiture d’abricots.

La lumière du matin filtrait par les rideaux à motifs brodés. Elle donnait à la pièce une douceur d’aquarelle. L’odeur de verveine et de bois ciré flottait dans l’air, mêlée à celle plus discrète du savon de Marseille et du vieux tissu des coussins.

Assis sur le canapé, Andrés se tenait droit, trop droit. Son col de chemise lui grattait la nuque, et ses doigts tremblaient à peine autour de la tasse. Son regard fixé sur le sol.

— Andrés ?

Il ne répondit pas.

— Mon cœur, tu es tout blanc. Bois un peu de ton thé.

Il ferma les yeux. Il voulait parler. Mais rien ne sortait. Le souffle bloqué dans la gorge. Une pression dans la poitrine, sourde, brûlante. Une panique sans nom qui montait, implacable.

Sa respiration devint erratique. Son cœur s’emballa. Il se leva brusquement, les mains tremblantes, les bras autour de lui, comme pour se contenir. Puis il s'effondra à genoux devant la cheminée.

— Je peux pas... Je peux pas, mamie... Je peux pas y aller... Pas la banque... Pas le notaire...

Elle accourut vers lui et l’enlaça sans attendre.

Ses bras l'entourèrent avec une douceur infinie, ferme mais tendre, comme un refuge. Elle posa son menton contre ses cheveux, ses doigts caressant lentement son dos.

— Andrés. Regarde-moi. Je suis là. Je suis avec toi. Tu n'es pas seul. Tu n’as jamais été seul.

Il sanglota doucement. Silencieusement. Des larmes qu’il retenait depuis des jours.

— Ils vont encore... Ils vont me détester, mamie. Je le sens.

— Et s’ils le font, alors tant pis. Tu n’as pas volé ce qui t’est dû. Tu n’as jamais été injuste. Et je suis là, d’accord ? Je reste avec toi, quoi qu’il arrive.

Il hocha lentement la tête, le visage enfoui contre son épaule.

Ils restèrent ainsi quelques minutes. Le temps semblait suspendu.

Puis, petit à petit, le souffle d’Andrés se calma. Il accepta la tasse de thé qu’elle lui tendait et la porta à ses lèvres. Le goût de verveine lui parut plus fort que d’habitude. Rassurant.

— Tu te souviens de quand tu faisais des cabanes sous la table avec ton frère ? demanda-t-elle, un sourire dans la voix.

Il hocha la tête, encore un peu pâle.

— Et que tu voulais y dormir toute la nuit, avec des coussins et des lampes torches ?

— On disait que c'était notre bunker secret. Contre les monstres.

— Et contre les devoirs. Surtout les devoirs.

Un léger sourire étira les lèvres d’Andrés. Ce n’était pas grand-chose, mais ça suffisait à rendre l’instant moins lourd.

Une heure plus tard, ils prirent la route. Le ciel était encore clair, mais des nuages grondaient au loin.

La banque était un bâtiment gris, carré, impersonnel. Des gens entraient et sortaient, pressés, les visages fermés. À l’intérieur, tout était blanc et verre, trop propre, trop froid.

La discussion fut administrative, en apparence. On parla d’actes, de titres de propriété, de comptes gelés et de transferts. La voix du conseiller était monocorde, ponctuée de cliquetis de clavier. Andrés restait silencieux, à côté de sa grand-mère qui menait la danse.

Quand vint le moment de signer, sa main hésita. Pas à cause des documents, mais parce qu’il savait ce qui venait ensuite.

Le notaire les attendait dans un bureau à deux rues de là. La lumière y était jaune, crue, et les murs recouverts de cadres anciens. L’homme qui les reçut avait un regard trop neutre pour être rassurant.

Et puis, ils arrivèrent.

Son frère, Damián, tiré à quatre épingles, mâchoire serrée. Sa sœur, Mireya, en robe noire, cheveux impeccablement lissés, talons trop hauts.

Ils ne prirent même pas la peine de saluer leur grand-mère.

— On peut savoir pourquoi Andrés a droit à la moitié de l’héritage financier ? lança Damián, à peine assis.

— Et nous deux, on doit se partager le reste ? C’est une blague ? ajouta Mireya, les bras croisés.

— Ce sont les volontés de vos parents, répondit calmement le notaire.

— C’est facile de dire ça. Andrés était leur préféré. Toujours protégé. Même après... même après ce qui s’est passé.

Andrés fixait la table. Ses doigts se tordaient, se tripotaient nerveusement.

— Vous croyez que ça m’a épargné ? Que j’ai voulu tout ça ? murmura-t-il.

— Tu fais toujours la victime, cracha sa sœur.

La tension montait. Sa poitrine se serrait à nouveau.

— On devrait pouvoir vendre la maison, dit Damián.

— Elle est à moitié à moi, dit Andrés d’une voix blanche.

— Et tu comptes y faire quoi ? Vivre seul avec mamie dans cette baraque délabrée ?

Un silence pesant s’installa.

— Ça suffit, trancha la voix grave de sa grand-mère.

Mireya se leva brusquement. En passant, elle bouscula Andrés de l’épaule.

Il vacilla légèrement, mais ne dit rien.

Quand tout fut terminé, sa grand-mère posa doucement une main sur son épaule. Un geste simple. Mais ancré.

Ils rentrèrent sans un mot. L’orage n’était pas encore là, mais l’air sentait la pluie.

De retour dans sa chambre, Andrés répondit à l’appel de Clara. Sa voix perçait doucement le silence.

— Alors ? Ça a été ?

— Comme prévu, dit-il simplement.

Ils n’ont pas changé. Trois ans, et c’est comme si le temps n’avait rien fait. Toujours le même poison. Toujours les mêmes regards.

— T’es plus fort qu’eux, tu le sais ?

Il ne répondit pas. Elle non plus.

Après avoir raccroché, il alluma une cigarette et ouvrit grand la fenêtre.

L’air était lourd, chargé d’électricité. Au loin, le ciel s’assombrissait. De gros nuages se rassemblaient lentement, comme un avertissement silencieux.

La fumée s’envola dans le vent.

Il resta là, appuyé contre le rebord, à contempler les nuages qui arrivaient.

Comme un présage.

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