Chapitre 4

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Le départ était dans quatre jours.

Dans la chambre baignée d'une lumière douce, filtrée par des rideaux en dentelle jaunis par le temps, Andres s'activait en silence. Sa valise ouverte trônait sur le lit à armature en fer. Chaque vêtement avait été plié avec minutie, rangé dans de petits sacs transparents zippés. Il ne supportait pas le désordre. Une liste manuscrite, punaisée au mur, détaillait tout : chaussettes thermiques, lampe frontale, cordelette de secours, boîte de pansements, nourriture lyophilisée, gants, talkie-walkie (à retrouver). Il aimait tout anticiper. Les imprévus l'angoissaient.

Depuis l'entrebâillement de la porte, sa grand-mère l'observait, les bras croisés contre son tablier à motifs floraux.

- Tu es sûr de vouloir y aller ? demanda-t-elle, la voix un peu rauque. Cette forêt... ce n'est pas une simple promenade.

Andres ferma un sachet contenant ses barres énergétiques. Il releva la tête.

- Il faut bien que je vole de mes propres ailes un jour ou l'autre, Mamie.

Elle entra, les chaussons frottant le parquet.

- Je sais. Mais... j'ai ce mauvais pressentiment. Ça ne te ressemble pas, ces grandes excursions.

Elle s'assit sur le bord du lit, l'aida à plier une couverture de survie.

- Tu sais... ton père aussi avait ce besoin de partir. Un jour, il a fugué pour aller rejoindre sa copine de l'époque. J'ai cru mourir d'inquiétude. Quand il est rentré, je l'attendais de pied ferme. Deux claques, et je l'ai serré si fort qu'il n'a rien dit. Puis il s'est calmé. Il est devenu un homme formidable... un peu casse-cou, mais bon.

Andres sourit, attendri.

- Il me manque. Tous les jours.

- Il serait fier de toi. T'es un bon garçon.

Elle se leva, le regard humide, et alla préparer du thé dans la cuisine. L'odeur familière du jasmin et du pain grillé montait dans l'air, se mêlant à celle du vieux parquet ciré.

Andres finit de cocher les dernières lignes sur sa liste, rangea la trousse de toilette, referma la valise d'un clic net. Il descendit au salon où le vieux téléviseur à tube cathodique diffusait un thriller : Périmètre 7.

Une ambiance malsaine s'y étalait : dans une station-service isolée, une mère cherchait son fils disparu. Les néons grésillaient, les vitres étaient recouvertes de symboles rouges. Au bout d'un moment, elle trouvait une cabine téléphonique qui sonnait sans arrêt. Elle décrochait. À l'autre bout du fil, c'était sa propre voix... mais bien plus âgée. Elle pleurait, suppliait : « Ne descends pas au sous-sol. Peu importe ce qu'il dit. »

- C'est... stressant, marmonna Andres.

- Et encore, ça c'est avant que le plafond commence à saigner, répondit sa grand-mère en posant une tasse de thé fumant à ses côtés.

- Pardon ?

- Tu verras. Ça dégénère vite. J'ai vu la fin par erreur la semaine dernière.

Andres sourit en coin.

- T'es trop curieuse pour ton propre bien.

Après le film, elle se leva lentement.

- Tu peux passer la tondeuse, mon chéri ? Fais juste attention à mes fées. Je les ai toutes nommées. Si tu décapites Marguerite, je t'en voudrais à mort.

Dans le jardin, baigné d'un soleil mouillé d'après-midi, les statues de fées trônaient comme des gardiennes figées dans la mousse. L'odeur de l'herbe coupée se mêlait à celle de la terre humide et des géraniums en pot. La tondeuse rugissait dans le silence du quartier, coupant net les longues herbes folles. Andres prenait soin de faire des lignes droites, régulières, contournant chaque fée comme s'il s'agissait de reliques sacrées.

À un moment, il éternua violemment. Deux fois.

- Et voilà..., murmura-t-il.

Son allergie au pollen ne l'avait pas raté. Il sortit un mouchoir de sa poche, se moucher bruyamment. Dès qu'avril pointait, ses narines devenaient les otages du moindre brin de nature.

Puis, relevant les yeux, il la vit.

Au bout de la rue.

La vieille femme.

Même robe grise, même cheveux en broussaille, mêmes bras ballants. Elle ne bougeait pas. Ne clignait pas des yeux. Son regard, noir et profond, transperçait Andres.

Un frisson glacial lui grimpa le long de la colonne vertébrale. Il coupa la tondeuse. Rentré précipitamment, il souleva le rideau à la hâte.

Plus rien.

Elle avait disparu.

Il décrocha son téléphone. Le nom de son ami Lucas s'afficha. Il hésita, appuya.

- Allô ? lança Lucas, le souffle un peu court.

- Hey... vous partez bien avec le véhicule ce week-end ?

- Ouais, on décolle tôt samedi matin. Tu viens ?

Andres sentit son cœur battre un peu plus fort.

- Je compte bien être là.

Une pause.

- Mais écoute, faut que je te parle... Y'a cette femme, ce matin... elle n'arrêtait pas de me fixer. Tu sais, celle qui traîne dans le quartier.

Andres sentit une boule dans sa gorge.

- Attends, tu parles de la vieille avec la robe grise et les cheveux emmêlés ?

- C'est exactement elle ! cria Lucas, paniqué.

- Je croyais que je rêvais, mais non... je l'ai vue au bout de la rue.

Un silence chargé d'angoisse.

- Qu'est-ce qu'elle veut, cette folle ? murmura Andres.

- Je sais pas... Mais ici, à la forêt, tu seras tranquille, loin d'elle. Elle pourra pas te suivre.

Andres hocha la tête, comme si Lucas pouvait le voir.

- Je l'espère.

Ils raccrochèrent.

Le silence retomba. Il posa le téléphone sur la table. Il avait l'impression d'être observé.

Plus tard, sa grand-mère l'appela depuis la cuisine :

- Et les talkie-walkies ? Vous en aurez besoin si vous vous perdez dans cette fichue forêt.

Il hocha la tête et se dirigea vers le garage.

Dès qu'il ouvrit la porte, l'odeur l'assaillit : poussière épaisse, essence séchée, carton moisi. Le néon clignotait faiblement. Andres avança entre des piles branlantes de vieux journaux, des outils rouillés, des boîtes de conserve oubliées. Ses doigts effleuraient des objets déformés par le temps.

Dans un coin, une caisse l'interpella. Dessus, au marqueur : Famille - Été 2004.

Il l'ouvrit.

Des albums photos. Des cassettes VHS. Des jouets. Et puis une pile de photos. Lui, encore petit. Sa sœur, Mireya, déjà adolescente. Damián, son grand frère, tenant un ballon. Leur mère, radieuse. Et son père, si jeune, les bras autour d'eux tous. Un instant capturé, éternel.

La dernière photo.

Ils étaient tous là. Sourires larges. Ciel bleu. Dix jours avant le drame.

Un poids lourd tomba dans sa poitrine. Ses mains tremblaient. Une larme glissa le long de sa joue, sans qu'il ne s'en aperçoive.

- Andres ? Tu trouves ces foutus talkie-walkies ? cria sa grand-mère depuis l'étage.

Il sursauta, renifla, essuya ses yeux du revers de la manche.

- Oui, je les ai ! mentit-il d'abord, puis se remit à fouiller jusqu'à les trouver, au fond d'un tiroir.

En remontant, il avait l'impression que la maison était un peu plus sombre. Comme si le passé l'avait frôlé du bout des doigts.

Ce soir-là, il alla se coucher tôt. Ses mains serraient malgré lui la photo qu'il avait glissée dans la poche intérieure de sa veste.

La pièce sentait le linge propre et le bois ciré. Une veilleuse diffusait une lumière tiède. Allongé sur le dos, il observait le plafond, encore hanté par ce regard vide au bout de la rue.

Et dans un murmure à peine audible, comme un pacte silencieux avec lui-même :

- Cette fois, je reviendrai différent... ou je ne reviendrai pas.

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