Chapitre 5

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La lumière dorée d'un après-midi finissant baignait les ruelles étroites du quartier de San Cristóbal, donnant aux pavés usés une teinte cuivrée. L'air était chaud, chargé d'un parfum de jasmin et d'humidité tropicale. Andres ajusta la bandoulière de son sac, soupira, et poussa la porte grinçante de la vieille librairie de la Calle Luna.

À l'intérieur, l'odeur de papier ancien, de cuir et de poussière accueillit Andres comme un vieil ami. Les rayons de bois, usés et chargés de livres empilés à la verticale, semblaient tanguer sous le poids des mots et du temps. Une vieille pendule murale marquait les heures dans un tic-tac régulier, comme si elle battait la cadence du silence.

Il n'était pas venu par hasard. Avant le grand départ, il voulait emporter quelques livres, comme des compagnons à garder près de lui. Il se perdit un instant dans les rayons jusqu'à ce qu'un titre attire son regard.

Premier livre :

"Le Dévoreur de Nuages"
Un roman onirique racontant l'histoire d'un garçon capable de grimper dans le ciel pour y effacer les souvenirs des gens en mangeant leurs nuages. Mais à mesure qu'il s'en empiffre, il commence à oublier qui il est. Un voyage étrange entre mémoire et identité.

Deuxième livre :

"L'Atlas des Mondes qui Ne Tournent Plus"
Un ouvrage illustré compilant des cartes imaginaires de civilisations disparues ou qui n'ont jamais existé. Chaque carte est accompagnée d'un poème et d'une légende mystérieuse, comme si l'auteur les avait réellement visitées.

Il les feuilleta un instant, fasciné par les pages rugueuses, puis alla les payer au comptoir. En sortant, le ciel avait pris une teinte violette et le vent s'était levé.

Il fut sur le point de traverser la rue lorsqu'il sursaute violemment : la femme aux cheveux emmêlés était là. Comme figée dans l'air, entre deux souffles de vent. Ses yeux brillants, presque liquides, le fixaient. Son sourire était si grand qu'il en paraissait douloureux.

- « C'est pour toi... Tu dois la prendre. »

Elle lui tendit une petite boîte en fer, cadenassée et recouverte de restes de colle jaune et sèche. Le métal était bosselé, comme si on avait tenté de l'ouvrir à coups de pierre.

- « C'est important. », ajouta-t-elle avec un clin d'œil avant de tourner les talons et disparaître dans une ruelle comme un mirage.

Andres resta figé une seconde, puis glissa la boîte dans son sac, le cœur battant.

Chez lui, l'appartement sentait la soupe aux lentilles, mijotée depuis l'après-midi. La radio diffusait un vieux boléro. Sa grand-mère, les cheveux attachés en chignon serré, était assise à la table, tricotant en marmonnant.

- « T'es rentré tard. Tu traînais encore dans cette librairie pleine d'araignées ? »

- « J'ai trouvé deux trésors. Et j'ai aussi... heu... » Il sortit la boîte et la posa sur la table.

Sa grand-mère se figea. Elle le fixa longuement, les yeux soudain plus noirs, plus durs.

- « Où t'as trouvé ça, Andres ? »

- « On me l'a donnée. Par une dame étrange. Elle m'a dit que c'était important. »

Elle se leva d'un coup, la chaise raclant le sol carrelé.

- « Jette ça. Immédiatement. Tu m'as entendu ? Tu ne sais pas ce que tu as ramené. »

- « Mais c'est juste une boîte... »

- « Non. Elle est scellée. Et les choses scellées le sont pour une raison. Va la jeter. Tout de suite. »

Andres hocha la tête, docile, mais son regard glissa vers la boîte. Plus tard, seul dans sa chambre, il la plaça soigneusement au fond de son sac, sous un pull, en prenant soin de faire claquer le couvercle du vide-poubelle pour faire croire qu'il l'avait jetée.

Le lendemain matin, après le petit déjeuner, sa grand-mère lui demanda :

- « Va chercher du pain, mon chéri. J'ai oublié hier. Prends aussi un peu de ce pain au lait que j'aime. »

Le soleil était déjà haut et les rues vibrantes de chaleur. En revenant, un bruit de klaxon lui fit lever les yeux : un enfant, pas plus de neuf ans, traînait sur la route, marchant lentement, fasciné par un chat sur le trottoir opposé.

Andres réagit sans penser. Il bondit, attrapa le garçon par la manche et le tira violemment sur le côté juste à temps - une voiture passa en trombe, klaxonnant furieusement sans s'arrêter.

Le garçon, les yeux écarquillés, se mit à pleurer doucement. Une femme courut vers eux, haletante.

- « Oh mon Dieu ! C'est mon fils ! Merci... Merci mille fois ! Je l'ai perdu de vue à peine une seconde ! »

Elle attrapa son fils dans ses bras, puis tourna vers Andres un regard bouleversé.

- « Laissez-moi au moins vous offrir quelque chose. Attendez ici ! »

Elle revint quelques instants plus tard avec un muffin aux myrtilles encore tiède, dans un emballage de papier froissé.

- « Tenez. C'est rien, mais... Je m'appelle Carla. Je suis flic, mais aussi maman à temps plein. J'élève seule mes deux tornades... »

- « Andres. Je... suis censé partir demain. »

Elle sourit doucement.

- « Où que tu partes, Andres, n'oublie pas que tu as fait quelque chose de bien aujourd'hui. Merci pour mon fils. »

Ils échangèrent un regard complice, puis Carla s'éloigna en tenant son fils par la main. Andres resta là quelques secondes, le muffin chaud dans la main, avant de reprendre le chemin de chez lui.

Ce soir-là, le dîner fut simple. Soupe, pain au lait, un peu de fromage et des figues confites. Ils dînèrent dans le salon, devant la télévision.

- « J'ai trouvé un film que tu vas aimer, abuela. Tu te souviens de "Les oiseaux de feu" ? C'est le même réalisateur. »

- « Oh ! Alors on va se régaler. Mets-le fort, mes oreilles sont vieilles. »

Il lança le film. Une musique orchestrale s'éleva, douce et mystérieuse. Sa grand-mère s'assoupit au bout de vingt minutes, le sourire aux lèvres. Andres la regarda, puis baissa le son.

Dans le coin de la pièce, son sac était posé là. Et dans le sac, la boîte cadenassée attendait, muette, tordue, comme un secret prêt à éclore.

La pièce baignait dans une lumière bleutée, projetée par l'écran de télévision qui continuait de diffuser des images au ralenti d'un oiseau incandescent traversant le ciel. Andres se leva sans bruit, une couverture en laine sur le bras, et la déposa doucement sur sa grand-mère. Elle respirait paisiblement, le visage détendu. Il coupa le son, puis s'étira, un frisson courant le long de son dos malgré la chaleur.

Il jeta un œil à son téléphone. Une notification s'afficha : un message vocal de Samuel, son ami d'enfance.

> « Frérot, on est au point de rendez-vous. On est passé chez toi, mais comme t'étais pas là, on a pris le camion. On va dormir au gîte ce soir, tu nous rejoins demain ? Ah, et mec... attends, faut que je te dise un truc bizarre. »


Andres appuya sur la suite du message, intrigué. Il alla s'asseoir dans la cuisine, près de la fenêtre entrouverte.

> « Y'avait une femme ce matin, chelou... Elle m'a fixé pendant un long moment, j'te jure, c'était malsain. Des cheveux en vrac, des yeux comme si elle regardait à travers toi. Et elle souriait, comme une poupée fêlée. Elle était postée près de l'arrêt de bus, et j'suis sûr qu'elle attendait pas le bus... »


Andres sentit son estomac se contracter.

> « J'ai flippé. Et je te jure, mec... j'ai pensé à toi, parce que t'avais parlé d'une femme bizarre récemment. Elle ressemblait à quoi, déjà ? »

Andres saisit son téléphone, les mains légèrement tremblantes, et rappela aussitôt.

Samuel décrocha.

- « T'es vivant ! Je pensais que t'avais fondu avec la chaleur. »

- « Dis-moi juste à quoi elle ressemblait. »

- « Euh... peau claire, comme grise, cheveux noirs mais genre emmêlés... et des habits trop grands, genre manteau usé, alors qu'il faisait chaud. Et son sourire... flippant. Pourquoi ? »

Andres se leva d'un bond, regarda vers le salon comme s'il s'attendait à voir la femme surgir de l'ombre.

- « C'est elle. C'est exactement elle. »

Un silence s'installa. Puis Samuel lâcha, plus bas :

- « Tu crois qu'elle nous suit ? Qu'elle sait pour le départ ? »

- « J'sais pas. Mais elle m'a donné une boîte. »

- « Quoi ? »

- « Une boîte en métal, cadenassée. J'l'ai pas ouverte. »

- « Mec, mais c'est quoi cette histoire... Bon, écoute. Demain, rejoins-nous vite. Dans la forêt, on sera loin de tout ça. Loin d'elle. »

Andres hocha lentement la tête, comme si Samuel pouvait le voir.

- « Ouais... Ouais, t'as raison. À demain. »

Il raccrocha. L'air avait changé autour de lui. Plus lourd. Un bourdonnement faible semblait vibrer dans le mur, ou peut-être dans sa tête.

Il se leva pour aller fermer la fenêtre, mais quelque chose l'attira dans la rue. Une silhouette, floue, longeait le mur d'en face. Trop sombre pour distinguer quoi que ce soit, mais son instinct se contracta comme une corde tendue. Puis elle disparut derrière un arbre.

Andres verrouilla la fenêtre. Il se tourna vers le salon. Sa grand-mère dormait toujours. Il murmura presque, pour lui-même :

- « Juste une nuit... Une nuit, et je pars. »

Il remonta se coucher, mais son regard se posa encore une fois sur le sac. La boîte était toujours là, lourde, muette, et pleine de silence.

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