Chapitre 9

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Le sol de la forêt était irrégulier, tapissé de racines noueuses, de pierres humides et de feuilles mortes qui craquaient doucement sous leurs pas. L’air était moite, presque étouffant, comme si la forêt avait retenu toute la chaleur de la journée sous sa canopée dense. Les arbres, hauts et robustes, filtraient la lumière du soleil en faisceaux dorés. Les troncs étaient recouverts de mousse d’un vert profond, et de petites toiles d’araignées scintillaient entre les branches basses. Un parfum de pin chauffé, de bois sec et d’humus flottait dans l’air.

Samuel, concentré sur le chemin rocailleux qu’ils empruntaient, avançait à pas lents quand soudain…

— AAAAAH BORDEL ! cria-t-il en reculant brusquement.

Une fine araignée noire était descendue lentement juste devant son visage, suspendue à sa toile translucide. Il s’agrippa d’instinct au bras de Léa, qui manqua de tomber à la renverse. Elle resta figée une demi-seconde avant d’éclater de rire à gorge déployée, son rire clair résonnant entre les troncs.

— T’es sérieux, Sam ?! Une araignée ?!

Leurs regards se croisèrent brièvement. Léa souriait encore, les joues rosies, tandis que Samuel, un peu honteux, relâcha doucement son bras, raclant sa gorge pour masquer son embarras.

— Ouais ben… elle était énorme, cette saleté, marmonna-t-il.

— Ooooh, Samuel a eu peur pour protéger Léa, chanta Julien en les taquinant.

— La ferme, souffla Samuel, mi-gêné, mi-amusé.

Léa, pour changer de sujet, lança d’un ton plus vif :

— Bon, au lieu de vous moquer, si on trouvait ce fichu lac rouge dont parle Clara dans son bouquin ? J’en peux plus, je dégouline, j’ai besoin de me tremper dans quelque chose de froid, là…

Le vent bruissait doucement entre les feuillages. Il portait des effluves de résine et d’herbes écrasées, mêlés à une odeur plus sèche, presque farineuse, qui rappelait étrangement la polenta grillée. Andrés éternua violemment, puis grogna.

— Ça va ? demanda Clara en se retournant.

— L’enfer… murmura-t-il. Cette forêt est un cauchemar pour mes sinus.

— On va survivre trois semaines, t’inquiète, répondit Julien en lui lançant une barre de céréales.

Ils avançaient désormais sur un sentier plus accidenté, où les cailloux instables rendaient chaque pas plus prudent. Les ombres dansaient autour d’eux, animées par le souffle régulier du vent qui semblait tourner autour des troncs comme une entité invisible.

Alors que le groupe s’engageait entre les arbres, Samuel s’arrêta net, ses yeux fixés sur un tronc d’arbre à moitié dissimulé derrière un buisson. Il fit un pas en arrière, le visage figé.

— Hé… vous voyez ça ?

Les autres s’approchèrent. Sur l’écorce sombre, gravé avec soin mais usé par le temps, se dessinait un symbole étrange : un œil unique au centre d’une spirale désaxée, comme hypnotique. La forme était profonde, incisée à la lame, et le bois autour semblait presque blanchi, comme si le temps lui-même avait fui ce point.

Clara s’immobilisa. Son regard s’assombrit légèrement.

— Ce symbole…

— Tu connais ? demanda Julien.

— Je… je crois que j’en ai déjà vu un dessin semblable, souffla-t-elle. Mon grand-père m’en avait parlé, quand j’étais petite. Il racontait des histoires bizarres sur cette forêt. Des récits d’avant, un peu flous… Des trucs d’adultes qu’on comprend pas trop à l’époque. Je me souviens surtout de ses mains quand il dessinait ce symbole dans la terre, en marmonnant.

Elle s’approcha du tronc, sans le toucher.

— Il disait que c’était un œil qui "regarde même quand on est seul", ou un truc du genre. Mais je me rappelle plus… ça m’avait fichu la trouille, je crois. J’ai zappé le reste.

— Génial, marmonna Samuel. Un symbole qui te surveille. Super rassurant.

— T’inquiète, rajouta Léa en haussant les sourcils. Si ça se trouve, c’est juste un vieux délire folklorique. Une sorte de superstition locale, comme les pierres qui portent bonheur ou les poupées de paille.

Mais personne ne s’approcha davantage de l’arbre.

Clara, elle, resta un peu plus longtemps devant le symbole. Quelque chose en elle vibrait, une sensation ancienne, enfouie. Comme une page froissée dans un carnet oublié.

Un peu plus loin, alors que le groupe reprenait la marche, Clara trébucha soudain sur une racine dissimulée sous un tapis de feuilles sèches et tomba lourdement. En tentant de se rattraper, elle glissa et se coinça le pied dans une crevasse étroite, cachée entre deux rochers moussus.

— Aïe ! cria-t-elle, en grimaçant.

— Clara ! s’exclama Léa, accourant.

— Ça va ? demanda Andrés en s’approchant rapidement.

Le groupe s’arrêta. Clara, un peu gênée, essayait de libérer son pied, mais la crevasse était trop étroite.

— Attendez, laissez-moi faire, dit Julien, qui s’agenouilla pour examiner la crevasse.

Avec un peu de patience et d’efforts, ils réussirent à dégager le pied de Clara. Elle se releva doucement, marchant sur la pointe des pieds.

— Bon, on fait plus attention maintenant, hein ? lança-t-elle, en grimaçant un sourire.

Ils continuèrent leur route, plus prudents, jusqu’à déboucher sur une petite clairière où se trouvait une vieille table de pique-nique en bois, bancale et couverte de taches sombres.

Ils s’installèrent, posant leurs sacs. Andrés, en mâchant lentement un morceau de pain, regarda les arbres danser au rythme du vent.

— Mon père est venu ici. Il nous en parlait parfois, de ce coin. Je crois que c’est même l’un des rares endroits où il s’est senti libre… Enfin, à ce qu’il disait.

Un silence doux s’installa. Clara posa une main chaleureuse sur son épaule.

— Il serait fier de toi, tu sais. De te voir marcher sur ses traces. De partir, comme lui, avec des amis, sans peur.

Andrés esquissa un sourire, le regard perdu un instant dans le mouvement paresseux des feuilles.

Ils décidèrent ensuite de sortir un jeu de cartes, fatigués mais encore d’humeur joueuse. Julien proposa un "jeu du roi", chacun devant tirer une carte et obéir à un défi donné.

— Samuel, t’as tiré la carte du roi. T’as pas le choix, ricana Clara. Trois allers-retours… de la poubelle là-bas, jusqu’ici.

Elle désigna une poubelle rouillée, un peu plus loin sur le chemin. Sam souffla, se leva avec théâtralité, et commença à courir en traînant les pieds, tandis que les autres riaient et l’encourageaient.

Mais au deuxième aller-retour, il revint en trottinant plus vite, les yeux écarquillés, le souffle court.

— Chut, attendez… j’ai entendu un gémissement. Une plainte… genre, un truc pas clair.

Tout le monde se leva, un peu sur le qui-vive.

— Hé oh ? Y a quelqu’un ? appela Julien.

Pas de réponse.

Puis, soudain, un bruissement dans les buissons. Un corbeau surgit brusquement, s’envolant dans un claquement d’ailes sec et sonore.

— PUTAIN ! cria Léa, sursautant violemment.

— Bravo Samuel… tu confonds un humain avec un corbeau, soupira-t-elle, le cœur battant.

— Il était caché, comment tu veux savoir…

Ils rirent nerveusement. Le silence retomba, cette fois plus compact, presque pesant.

Ils regagnèrent la table, encore secoués par la frayeur. Andrés, lui, se sentait étonnamment apaisé. Entouré de ses amis, bercé par le vent, les odeurs de forêt, les bruissements… il se laissait doucement happer par la magie du lieu.

Oui, peut-être que ce séjour ne serait pas si mal, au fond.

Si on oubliait ce qui s’était passé près d’ici.

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