Chapitre 3

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Suzie

Après avoir saliver sur la description d’un succulent dessert au chocolat, Annie s’esclaffe :

- Oh, j’allais oublié. J’ai peut-être une bonne nouvelle à t’annoncer !

- Ah ouais ! Jean est mort ! Raillé-je.

- Tu vas de mieux en mieux, soeurette. Je suis très contente, continue sur cette voie, me dit-elle. Mais il s’agit d’autre chose.

- Alors, tu me racontes ou tu es trop saoul ? ironisé-je.

- Je ne suis pas saoule, je suis guillerette, dit-elle amusée. Le dernier verre était celui de trop à n’en pas douter. Je crois que demain matin je vais avoir un peu mal à tête et la bouche pateuse mais je me suis amusée comme une folle. Tu avais raison j’avais besoin de m’amuser et tu aurais du venir avec moi.

- Je ne me sens pas encore prête à sortir. J’ai encore les yeux tout bouffis et des cernes violacées. Je risquais d’effrayer tes amies.

- Bref, j’ai compris, je ne reviens plus sur ton refus. Dommage pour toi, tout de même car j’ai peut-être une offre d’emploi pour toi. Je t’ai déjà parlé de mon amie Madeleine, Maddie ? Eh bien, elle est enceinte et va devoir partir en congé maternité.

- Félicitations pour elle !

- Merci, je lui transmettrai tes félicitations ! Bref, elle est assistante de direction dans une boite de communication. Elle va devoir chercher une remplaçante dans très peu de temps. Elle veut avoir le temps de la former, tu comprends ?!

- Oui et alors ? devinant où elle voulait m'entraîner.

- Je lui ai un peu parlé de toi, de ton expérience professionnelle. Et tu sais quoi ?! Le poste est à toi si tu le veux. Elle souhaite te rencontrer au plus vite pour un entretien d’embauche. Je lui ai vendu tes mérites et elle meurt d’envie de faire ta connaissance.

- Mais Annie, je ne saurais pas ! J’étais l’assistante de Jean mais je ne pense pas savoir le faire pour quelqu’un d’autre.

Annie ouvre la bouche mais aucun son n’en sort et ses lèvres se referment. Je lis de la déception dans son regard.

Je reprends aussitôt :

- OK. Je veux bien me rendre à l’entretien d’embauche. J’ai besoin d’un boulot même si ce n’est que pour quelques mois.

Elle me lance un grand sourire, m’enlace et me remercie pour ma résolution.

- Ne te réjouis pas si vite. J’ai pas encore le job, je ne serais peut-être pas prise. Je ne ferais peut-être pas l’affaire. Et …

- J’ai confiance en toi, moi. Respire, soeurette, ricane-t-elle.

Il est indiscutable que je dois reprendre une activité, peu importe laquelle. Je ne peux pas rester sans rien faire, enfermer entre quatre murs. Je ne peux pas vivre aux crochets de ma sœur et de son compagnon indéfiniment.

Le compagnon d’Annie est en déplacement professionnel depuis plusieurs jours. Il n’avait pas l’air ravi de me trouver complètement apathique chaque fois qu’il rentrait. Il n’a encore fait aucune réflexion mais je doute qu’il accepte très longtemps que je reste à me morfondre. Il est d’un naturel énergique, franc et direct comme Annie. Sa franchise ne devrait pas tarder à lui échapper pour m’houspiller.

Nous nous comprenons d’un seul regard depuis notre enfance avec ma sœur. Je lis dans ces yeux qu’elle est plus que ravie que je me reprenne en main. Je sais qu’il va me falloir encore du temps pour digérer toute cette histoire. J’ai perdu confiance en moi. Jean m’a abîmé de l’intérieur. La maltraitance n’était pas physique, elle était psychologique et morale. La violence de ses mots et ses yeux foudroyants m’ont marqué au fer rouge. J’ai une cicatrice invisible au fond de mon être.

Est-ce que je pourrais encore avoir confiance dans un homme ? J’espère que oui. Je ne voudrais pas devenir une vieille fille aigrie entourée de ses chats parlant toute seule à ses plantes vertes. L’image me fait tressaillir. Je n’ai plus de temps à perdre à m’apitoyer. Le temps est venu de se lancer dans l’inconnu, de faire le grand plongeon. Ce job m’est servi sur un plateau d’argent, je dois foncer sans m’arrêter et encore moins me retourner sur le passé. Jean s'est le passé et il est derrière moi alors que l’avenir reste à écrire, peut-être avec ce nouveau job.

Annie a contacté son amie Maddie et elle m’a fixé un rendez-vous. Elles n’ont pas traîné, dès fois que je change d’avis. Les dés sont jetés, je me suis jeté à l’eau et j’ai une trouille d’enfer de ne pas réussir.

***

Le grand jour.

Ce matin je me lève en ayant un objectif. Avoir un but au levé m’avait manqué, je m’en rend compte. Il faut que je réussisse cet entretien. Il s’est passé une semaine entre la proposition d’Annie et aujourd’hui. Ce qui m’a laissé amplement le temps de la réflexion et de la certitude de mes choix. Me montrer sous mon meilleur jour est indispensable, je ne veux pas décevoir Annie.

Après un petit déjeuner express, un café et un toast, je m’habille en tailleur pantalon et veste gris, un chemisier blanc sobre. Il faut faire bonne impression, la vulgarité n’est pas de mise pour ce travail. Le poste de travail de la société dans laquelle je postule à une bonne réputation et une notoriété dans le domaine de la communication. J’ai fait quelques recherches pour connaître au mieux mon futur employeur. J’essaie de mettre toutes les chances de mon côté.

J’opte pour une coiffure qui dégage la nuque. Un chignon tressé. Le chignon est une coiffure classique qui se marie avec ma tenue. Je ne souhaite pas attirer l'œil sur moi, je veux être la plus discrète possible. Travailler en toute discrétion, sans faire de vague, voilà mon objectif pour les mois à venir si j’obtiens le poste.

Je dois travailler mon assurance et ma gaucherie. Je me sens tellement gauche que je me trouve ridicule devant ce miroir. Heureusement, Annie amorce mes angoisses en se moquant de moi. Elle me dit que j’aurais pu faire un effort sur ma tenue, y mettre un peu de couleur ou de bijoux. Pour enfin finir par me rassurer sur le choix de ma tenue simple et efficace sans fioriture, tout moi. Elle me pousse vers la porte pour que je ne me change pas à la dernière minute. Mon hésitation m’a déjà fait modifier 3 fois de tenue ce matin. Toutes mes tenues se ressemblent, j’ai quatre tailleur en nuance de gris, deux en pantalons et deux en jupes. Annie doit avoir raison, je devrais renouveler ma garde robe en y ajoutant de la couleur. Si j’obtiens le poste, je lui ai promis de faire des efforts.

Je suis dans un état de stress que je n’avais plus ressenti depuis pas mal de temps. Ma vie avec Jean était tellement bien rangée, il s’occupait de tout, jamais d’imprévu. Maintenant je suis livrée à moi même comme une femme adulte qui s’assume comme t’elle. Je ne suis plus cette femme infantilisée qu’il voulait que je sois. La femme en moi est de nouveau présente dans son corps, elle m’avait manqué. C’est un bon stress, celui qui vous motive et qui vous permet de tenir debout sans avoir les jambes qui flanchent.

Dans les transports en communs, je me suis aperçue trop tard que je m'étais trompée de rame lorsque j’ai pris le métro. Rectification, j’ai pris la bonne rame mais pas dans le bon sens. Je ne m’étonne plus de mes étourderies c’est pourquoi je suis donc revenu sur mes pas sans énervements et repris la rame de métro dans le bon sens cette fois-ci. J’ai oublié à quel point je peux être gauche quand je suis nerveuse.

Je ne m’en vanterai pas ce soir auprès d’Annie sinon elle ne manquera pas une occasion pour me le rappeler. Ma sœurette adorée me rabâchera cette anecdote pendant des années. J’adore ma sœur mais quand elle rit à mes dépens, j’ai envie de l’étrangler.

Enfin arrivée ! Heureusement que ce matin je suis partie un peu plus tôt. J’ai estimé que trente minutes d’avance me permettrait de rectifier mon éventuelle inattention. Que j’aurais peut-être même un peu de temps pour essayer de faire quelques exercices de respiration pour calmer mon anxiété. Malheureusement ma mésaventure m’a coûté de précieuses minutes. Je n’ai donc plus le temps pour la relaxation. L’inquiétude grimpe mais je me jette à l’eau, je suis impatiente d’en finir. C’est comme un pansement, il faut l’arracher d’un coup. Vaut mieux une douleur brève et vive qu’une douleur faible et durable.

Je pénètre dans cet tour à l’architecture moderne et demande mon chemin au rez de chaussée auprès de l’accueil :

- Bonjour ! J’ai un rendez-vous avec Mme Madeleine LUCAS, société SCOTT Consulting. Pourriez-vous m’indiquer à quel étage … .

Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase que l’agent d’accueil me coupe et réponds prestement :

- Bonjour ! Il faut prendre l’ascenseur et vous arrêter au dernier étage. Bonne journée, madame !

- Merci, bonne journée à vous aussi.

L’immense bâtiment accueille plusieurs sociétés. La SCOTT Consulting occupe les deux derniers étages. L’ascenseur est bondé. Il s’arrête pratiquement à chaque étage. Du moins c'est l’impression que j’en ai. Quand les personnes sortent, d’autres en profitent pour se faufiler à l’intérieur. Mon appréhension ne fait qu’augmenter à chaque arrêt. Cette situation me rend de plus en plus nerveuse. L’enjeu est de taille. Je ne veux pas décevoir Annie. Au début, je ne voulais pas de ce job mais maintenant je le considère comme le graal.

Je n’ai pas regardé le nombre d’étage qu’il y avait à gravir et le panneau ne met plus visible. Je me tord le cou mais je me suis retrouvé coincé au fond de la cabine dans le coin opposé aux boutons. Je ne vois rien et la notion de temps me semble abstraite. Mon inconfort se fait ressentir plus fort à chaque arrêt. Je prends de grandes inspirations et laisse vagabonder mon esprit. J’utilise une technique de respiration qui me permet de diminuer la tension s’infiltrant dans tout mon être. On se croirait dans le métro à l’heure de pointe. Trop de monde, trop d’odeurs, trop de chuchotements, trop de tout me rend excessivement nerveuse.

Je déteste les endroits clos !

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