Chapitre 4

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Suzie

Nous ne sommes plus que deux lorsque les portes s’ouvrent sur l’hôtesse d’accueil du dernier étage. Nous nous avançons et la femme derrière son comptoir indique à mon compagnon de voyage qu’il est attendu. Un homme d’une cinquantaine d'années vient à sa rencontre et l’emmène dans ce dédale de bureau.

Peut-être s’agit-il de M. SCOTT ? Pas le temps de me poser la question que la standardiste m’informe que Mme LUCAS va me recevoir et me demande de bien vouloir patienter. Je me dirige donc dans un des fauteuils qu’elle m’indique.

10 minutes plus tard …

- Bonjour Mademoiselle ! Je suis Madeleine LUCAS, l’assistante de direction de M. SCOTT. Je m’excuse de ce petit retard mais je faisais un dernier point avec M. SCOTT en vue de notre entretien.

Sa voix est tellement assurée et douce qu’elle arrive à me mettre à l’aise tout de suite. Mon stress s’évapore.

- Bonjour Mme LUCAS !

- Vous me suivez, nous allons pouvoir nous installer dans un bureau au calme pour pouvoir discuter tranquillement sans être dérangés.

- Très bien, je vous suis.

Nous traversons un long couloir, large et lumineux où de droite et de gauche des portes vitrées s’ouvrent sur des bureaux. Je suis Madeleine dans une salle plutôt grande ou des tableaux sont accrochés au murs. Madeleine m’invite à m’asseoir et l’entretien débute. Cette pièce a quelque chose d'imposant. Est-ce les tableaux accrochés ou sa grandeur. Je me sens comme une lilliputienne dans le monde de Gulliver. Elle remarque ma crispation et elle me dit pour me détendre :

- Je connais très bien Annie comme elle a pu vous le mentionner. Je sais également que vous n’avez pas beaucoup d’expérience comme assistante de direction. Ne vous inquiétez pas. Vous avez des qualités qui correspondent tout de même au profil que je recherche.

- Oui en effet, répondé-je timidement. J’ai suivi des études d’histoire et mon dernier job était lié à l’évènementiel. L’organisation et la promotion d'événements historiques.

- Pas d’inquiétude, me dit-elle. M. SCOTT a besoin surtout de quelqu’un qui puisse se rendre disponible. M. SCOTT est un homme qu’il faut satisfaire rapidement. Il n’aime pas l’incompétence. Il n’aime pas attendre mais à besoin d’être aider. Il vous faudra devancer ses besoins donc être attentive aux dossiers en cours et à venir. La réactivité sera le maître mot.

- Je ne comprends pas bien ce que vous recherchez. Quels seront mes tâches ?

- Vous assurerez les tâches suivantes :

¤ Gestion de son agenda et de planification, de ses rendez-vous.

¤ Organisation et participation à des réunions professionnelles.

¤ Soutien du personnel de maison lorsque sa gouvernante est en congés pour l’organisation de dîners.

¤ Organisation de voyages privés et d’affaires.

Il va s’absenter à titre personnel au minimum deux semaines dans les prochains mois. Il faudra faire patienter tous ceux qui voudront le contacter car il ne sera pas joignable durant cette période. Cette liste n’est pas exhaustive, M. SCOTT se permettra d’allonger la liste au fur et à mesure de ses besoins. Je ne vous évoque que les grandes lignes. Il vous faudra vous adapter à ses demandes et à ses humeurs.

- D’accord, dis-je. En effet, il y a quelques similitudes avec mon ancien job. Je saurai retrouver mes habitudes facilement et pour le reste je m’acclimaterai sans problème.

- M. SCOTT est un homme directif. Il peut être un peu rugueux. Il n’est pas toujours agréable. C’est un patron très exigeant. Le secret est sa marque de fabrique. Il ne transparaît aucune émotion sur son visage pour lui c'est une des clés de la réussite. Il attend de ses collaborateurs de la discrétion, de la rigueur et de la ponctualité. Avez-vous ces qualités ?

- Euh … oui, je suis la discrétion même, je suis très organisé et je serai ponctuel.

Elle me précise amusé que M. SCOTT est comme un porc-épic. Un animal à l’aspect inoffensif mais qui est redoutable. Il faut se méfier de ses piquants, ce lanceur de flèches peut asséner des coups mortels. Attention à celui qui s’y frotte s’y pique. Il faut garder ses humeurs pour soi, rester impassible devant lui pour ne pas se faire manger tout cru.

Je blêmis, j’ai des sueurs froides. J’ai peur de ne pas réussir à contenir mes émotions. Vu qu’on lit comme dans un livre ouvert sur mon visage. Je suis trop expressive et je risque de réagir trop vivement. Depuis ma séparation je suis un vrai volcan, je ne retiens plus ma souffrance et je réagis hâtivement.

- Je ne veux pas vous faire peur, je souhaite seulement vous préparer. Annie m’a dit que vous étiez sensible. Je vais m’absenter quelques mois et je veux être certaine que vous n’allez pas flancher durant ce laps de temps. Former une autre personne ne sera plus possible et M. SCOTT ne pourra pas se permettre de rester seul. Vous nous mettrez dans l’embarras si vous deviez nous quitter avant la date de ma reprise. Vous comprenez ?

- Je suis prête et j’aurais préféré qu’Annie sache tenir sa langue. Même si je l’aime très fort, elle n’aurait pas dû s'épancher. Qu’elle s’occupe de ses fesses ! répondé-je piqué au vif. Je sais être professionnel et mettre mes émotions de côté.

Pourquoi Annie a-t-elle raconté que j’étais une guimauve ? Je suis vexée et j’ai peut-être répondu un peu vivement. Je regrette mes vives paroles aussitôt les avoir prononcées. Je suis gênée et mes joues rosissent. J’ai quelques peu enjolivé ma réponse. Si je ne craque pas, c’est M. SCOTT qui pourrait craquer et me virer si je devais lui répondre sans filtre.

Madeleine me sourit et m’observe d’un œil curieux et interrogateur.

- M. SCOTT aime la répartie, ça devrait beaucoup l’amuser les jours ou il est de bonne humeur, raille t-elle.

Je me représente M. SCOTT comme un homme droit et autoritaire. Je l’imagine âgé, bedonnant aux cheveux grisonnants avec de grosses lunettes. Cette pensée m’arrache un sourire d’amusement.

Madeleine me sort de ma rêverie.

- Avez-vous des questions concernant ce poste ?

- Y a t’il un code vestimentaire ? Devrais-je lui apporter son café ? Arf … désolé, je pose des questions bêtes.

- Pas du tout, Suzanne. Il faut une tenue correcte, celle d’aujourd’hui fera très bien l’affaire. Vous aurez à disposition un téléphone et un ordinateur portable. Il convoque rarement ses assistantes dans son bureau. M. SCOTT vous enverra des mails et des SMS. Vous en recevrez à toutes heures du jour et de la nuit, les jours de semaine mais également le week-end. Il ne tolère pas l’inefficacité et demande parfois beaucoup. Et pour le café, ça reste mon domaine exclusif, dit-elle sarcastique.

- Ces demandes restent raisonnables, tout de même ? Il ne demande pas que l’on lui réponde dans la seconde ? Surtout la nuit et le week-end ? dis-je troublé.

- M. SCOTT est quelqu’un qui travaille beaucoup. Il prend aussi du temps pour ses proches. Il ne vit pas de manière traditionnelle. Il va se concentrer pendant des semaines entières sur son travail jours et nuits. Durant ces périodes, le rythme de travail peut être soutenu. Par contre pendant ces congés il ne tolère aucunement d’être dérangé. Attention à celui qui osera l’appeler sans une urgence extrême. M. SCOTT est autoritaire, pas despotique, dit-elle en riant.

- Je ne voulais pas paraître désagréable, excusez-moi.

- Vous avez raison de poser des questions, Suzanne. M. SCOTT n’est pas toujours à prendre avec des pincettes. Il vous faudra vous munir de votre armure les jours où il est de mauvaise humeur, n'oubliez pas votre cote de maille et votre bouclier. Il ne faudra pas vous en offusquer. Ah … Votre messagerie lui sert surtout de post-it. Il ne faut donc pas oublier de lui faire des rappels.

Un Oh ! d’amusement jaillit de ma bouche, je suis confuse.

Madeleine me regarde surprise, toutefois amusé, je vois un rictus au coin de ses lèvres. Ma spontanéité n’est pas une qualité pour ce travail, je dois faire preuve de retenue. Je me mords les joues de n’avoir pu retenir ce petit son. Je sens encore une fois que mes joues rosissent. Je réagis comme une petite fille devant sa mère prise en flagrant délit d’avoir emprunté son rouge à lèvres sans sa permission et d’avoir légèrement débordé. Presque rien, j’ai le sourire du joker sur la face mais tout va bien.

L’entretien terminé. Madeleine me raccompagne à l’ascenseur. Je suis déçu de ma présentation. J’aurais dû me montrer plus déterminée, plus précise dans mes questions/réponses. Mon manque d’assurance lui a sans aucun doute sauté aux yeux. J’aurais dû montrer plus d’envie de travailler ici. J’ai raté cet entretien, j’en suis convaincu. Je m’imagine déjà le visage désenchanté d’Annie ce soir quand je lui dirai avoir failli une nouvelle fois. J’aurais une mine déconfite et Annie sera déçue.

- Pourriez-vous préparer un badge pour Mademoiselle Suzanne MARTINS. Elle débutera à partir de lundi matin 8h30.

- Vous m’embauchez ? lui dis-je complètement abasourdi.

- Oui, Mademoiselle ! Je vous attends lundi matin à 8h30 pétante. Je vous conseille d’arriver un peu plus tôt. Ainsi je vous brieferai rapidement sur l’humeur du moment de M. SCOTT, dit-elle amusé.

L’hotesse d’accueil me jette un regard noir que je ne comprend pas mais je m’en fous.

J’ai le job ! J’ai le job ! Un feu d’artifice explose dans ma tête. Je dois absolument appeler Annie.

***

Lundi est arrivé à une vitesse folle. J’ai pratiquement pas dormi tellement je suis nerveuse. Je me rappelle ce que Madeleine m’a dit la semaine dernière : la ponctualité est primordiale.

Comme à mon habitude je suis partie plus tôt et je suis arrivée en avance selon le conseil de Madeleine. Je suis tout sourire et me présente à l’hôtesse d’accueil qui me lance des éclairs avec ses yeux.

- Bonjour, je suis Suzanne MARTINS. C’est mon premier jour et je suis attendue auprès de Madeleine LUCAS.

- Bonjour ! dit-elle avec un sourire forcé. Je vous donne votre badge. Celui-ci permet d’accéder à l’ascenseur privé qui est ici et à certaines portes qui ne s’ouvrent qu’avec un badge. Je vous conseille donc de ne pas l’oublier ou le perdre. M. SCOTT n’aime pas les têtes en l’air ! Dit-elle d’un ton narquois.

Je la remercie aimablement sans prendre ombrage de son ton persifleur et accroche mon nouveau badge à ma veste. Cette femme se cache derrière un sourire froid. Elle me snobe. Elle me tend mon badge du bout des doigts comme si j’étais porteuse d’une maladie contagieuse. Elle ne m’inspire aucune confiance. Son attitude envers moi me glace le sang. Cette fille est lunatique ou alors elle ne m’aime pas mais je ne sais pas pourquoi. A l’occasion je poserai la question à Maddie. Devrais-je me méfier de son attitude ? Elle est peut-être lunatique ? A l’avenir je l’ignorerai et je l’éviterai autant qu’il me sera possible.

Madeleine me fait une petite visite de l’étage. Elle me présente à mes collègues déjà arrivés et les différents services et bureaux. Certains sont dans une seule et grande pièce en open space et d'autres comme Maddie ont un bureau individuel. Elle me montre le petit coin détente, là où l'on peut prendre un café et manger sur le pouce où des fauteuils sont installés et dédiés au repos et à la relaxation.

J’aime beaucoup le naturel de Madeleine et comprends pourquoi Annie l’apprécie beaucoup. Elle est avenante, gracieuse et maternelle.

- Suzanne, tu peux m’appeler Maddie, tu sais. Tu es la petite sœur d’Annie c’est comme si on se connaissait.

- Tu peux également m’appeler Suzie, tout le monde m’appelle Suzie sauf ma mère, dis-je en souriant.

- Je vais maintenant te montrer ton poste de travail durant les mois où je serais absente. Ton bureau est juste à côté du mien. Je t’ai fait une petite place, dit-elle plaisantant.

Le sens de l’orientation n’est pas ma plus grande qualité. Je me perds tout le temps. Moi et ma gaucherie. Néanmoins grâce aux couleurs et aux tableaux et affiches sur les murs j’arriverai à m'orienter sans problème. Nos bureaux sont dans les tons bleus à droite de l’ascenseur, annotation gravée dans mon cerveau. Je prends mes marques et j’apprécie beaucoup l’atmosphère qui règne dans ces étages.

Un vent de bonne humeur et de partage m'a mise à l’aise très rapidement. L’un d’eux m’a proposé de déjeuner avec eux pour faire plus ample connaissance avec mes collègues. D’autres se sont proposés pour me guider si je devais me perdre entre les étages et les différents départements. Maddie étant enceinte, ils ont suggéré leur aide pour la soulager. Piétiner pour une femme enceinte n’est pas recommandé et tout le monde est au petit soin pour elle. Maddie est très appréciée auprès de ses collaborateurs. Je sens que je pourrais m’habituer facilement à ce changement d’ambiance en comparaison à mon ancien job. En plus je n’ai plus à craindre le regard colérique de Jean au travail lorsque je m’adresse à un homme ni aux sermons du soir sur mon attitude aguicheuse dite intolérable.

Nous avons chacune notre bureau avec une porte mitoyenne qui simplifiera la communication entre nous deux. Les cloisons sont vitrées ça agrandit la pièce et l’illumine davantage. Ce bureau me plait beaucoup, je crois que je vais bien m’y sentir. Une atmosphère doucereuse plane dans ce bureau.

Le service technique n’est pas encore passé pour me communiquer les mots de passe pour que je puisse accéder au réseau. Quand Maddie les a appelés ce matin, ils ont rétorqué qu’il y avait une urgence. La maintenance ne pourra pas venir avant 14h00, au mieux. Je ne peux pas rester planter sans rien faire. C’est mon premier jour, il faut agir. Je propose à Maddie de faire un peu de classement en attendant, ce qu’elle accepte avec un énorme sourire. Je fais quelques cartons d’archives et classe de vieux dossier. Maddie en profite pour me faire un petit débrief sur les anciens dossiers pour que je puisse m’imprégner de mon futur poste.

- Ah ! Ma boucle d’oreille ! J’ai perdu ma boucle d’oreille. Je suis impossible. Mon mari va m’en vouloir. Il venait de me les offrir.

- Pas d’inquiétude, Maddie. Tu as dû la perdre dans le bureau. On va la chercher.

- Si tu me retrouves ma boucle, je t’offre ton repas de ce midi. Je me fais livrer et je t’invite.

- Attends, je ne l’ai pas encore retrouvé.

Aujourd’hui j’ai mis un tailleur jupe que je regrette déjà.

- Je la vois ! Elle est sous ton bureau. Elle a dû tomber quand je lui faisais faire la visite. Ouf ! Je suis sauvée, mon mari n’en sera jamais rien et mon bébé pourra grandir avec ses deux parents.

- Tu n’es pas sérieuse …

- Oh si … Si j'avais dû lui annoncer que j’avais perdu son cadeau, on se serait disputé et j’aurais été obligé de le faire taire. Les hormones d’une femme enceinte te transforme, Suzie. Je deviens un monstre.

- Je suis contente de l’avoir retrouvée et de lui avoir sauvé la vie. Nous échangeons un regard et nous éclatons de rire.

Il ne me reste plus qu’à me glisser sous le bureau. La jupe n’est pas un vêtement idéal pour se plier en quatre sous un bureau, je le saurai pour la prochaine fois.

Maddie me félicite pour mon entrain et se moque gentiment de ma position. Je n’allais tout de même pas laisser une femme enceinte se plier en quatre.

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