Chapitre 38

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Suzie

Dans le fond de mon lit, des litres de larmes ont été déversés à cause de Jean et maintenant à cause d’Aédan.

Un nœud s’est formé dans ma gorge et mon cœur se serre comprimé par la tristesse. La solitude est certainement la compagne qui m’est destinée puisque mes rencontres amoureuses se terminent systématiquement dans la douleur. Je ne veux plus avoir mal même mes larmes n’ont pas le courage de rouler sur mes joues. Mes yeux larmoyants ne laissent paraître que de l’amertume.

Des bruits de casserole retentissent dans la cuisine me laissant deviner l’arrivée d’Annie. Cela m'étonnerait qu’elle ne remarque pas mon air jovial de ce soir. Je vais encore avoir le droit à la grande inquisitrice. Je ne pense pas que mes forces puissent le supporter. Je vais devoir les affronter tout en gardant bonne mine comme les soirs précédents. Cela fait maintenant 3 jours que j’ai claqué la porte de son bureau. Cela fait également 3 jours que je joue le jeu de la femme qui assure après une rupture. J’ai gardé toute ma déception et ma tristesse rien que pour moi. Cette fois-ci, pas question de se lamenter sur son sort. J’ai un projet que je décide de concrétiser et me jette à corps perdu dans cette nouvelle aventure.

Au moins toute cette histoire aura eu un effet bénéfique, peut-être le seul. J’ai su rebondir et je suis prête maintenant à m’investir totalement dans mon futur projet. Apparemment je ne serais pas compatible avec un irlandais pourtant l’Irlande m’appelle. Paradoxe ?! La déesse mère de l’Irlande Dana me fait sentir son appel. Je suis comme envoûté par ce pays et je souhaite y repartir dès que possible. J’ai gardé des contacts et mon projet avance plus vite que je le pensais.

Bientôt, je devrais prévenir Annie. Ma décision est prise, j’ai démissionné et je me dois de la prévenir de ma future destination. J'appréhende sa réaction. Elle risque de me prendre pour une folle de tout quitter pour un pays presque inconnu et un projet pas encore tout à fait abouti. Mais je ne me laisserai pas démotivé et ne laisserai pas mon manque de confiance en moi prendre le dessus.

Le repas se termine sans que ma soeurette n'ait posé la moindre question comme les autres soirs. Je suis plutôt fier de ma dernière prestation. Annie et Alex n’ont rien perçu. Je fais mine d’être fatigué et de vouloir me coucher tôt ce soir. Après le repas je retourne dans ma chambre pour échanger quelques mails avec mes futures associés.

Quelques secondes à peine allongée sur le lit, Annie est derrière la porte de ma chambre.

Toc ! Toc !

- Suzie, je peux entrer ?

- Arf … oui entre. De toute façon tu me laisseras pas tranquille tant que tu ne m’auras pas posé toutes les questions qui te taraudent.

- J’ai bien vu que tu as essayé de me cacher quelque chose ? Qu’est-ce que tu ne veux pas me dire Suzie ? C’est Jean ? C’est le travail ?

- Je me suis fait larguer et j’ai démissionné, voilà. Bonne nuit ! dis-je en retournant sur le côté pour ne pas avoir à regarder la déception dans les yeux d’Annie.

- Comment ça tu t’es fait larguer ? Aédan a rompu avec toi ?

- Il m’a accusé de l’avoir trahi. Il m’a demandé pourquoi mon nom est apparu dans l'enquête sur la fuite des renseignements sur ces clients. Je n’y suis pour rien Annie et il ne m’a même pas accordé le bénéfice du doute. Il n’a pas confiance en moi et je ne peux pas rester travailler avec lui. C’est au-dessus de mes forces de le côtoyer tous les jours avec ce regard plein de doute à mon égard. J’ai juste pris une décision qui n’a fait que écourter la finalité de notre relation. C’était voué à l'échec, inévitable.

- Oh ma Suzie, je suis tellement désolée pour toi, je …

Elle ne finit pas sa phrase car Alex qui a répondu à la sonnette de la porte d’entrée nous appelle car nous avons une visite impromptue.

Quelle stupeur ! Mais qu’est-ce qu’il fout là ?

- Jean ?! dis-je interloqué.

- Oh poussin tu me manquais, j’avais besoin de te voir.

- Pourtant notre dernière discussion m’avait semblé plutôt claire. Je ne veux plus te voir. Tu ne dois plus venir ici ni sur mon lieu de travail. Tu n’essaies même plus de prendre contact avec moi ou ma famille. S’il te plaît rentre chez toi et laisse moi tranquille ! finis-je par lui hurler dessus.

- Viens avec moi alors. Je t’emmène boire un verre, on discute et je te laisse tranquille après. Promis, dit-il suppliant du regard.

Jean a l’air perdu. Cependant son caractère hautain, l’incapacité de concevoir que je ne souhaite pas la même chose que lui me terrifie. Nous ne partageons plus nos sentiments amoureux. Je me demande si il m’a réellement aimé car la possession n’est pas de l’amour et il confond ces deux sentiments. Il n’a pas l'intention de bouger et il pourrait être violent. C’est une de ces facettes que j’ai appris à connaître il y a peu. Quand il n’a pas ce qu'il veut, il utilise sa force.

- Tu as bu Jean ? Tu n’as pas l’air d’aller bien ? demande Alex.

- Bien sûr que je ne vais pas bien. Dis lui, Alex qu’elle est mon âme sœur et qu’elle doit rentrer à la maison avec moi. Explique-lui qu’elle est pour moi ce que Annie est pour toi !

Les cris de Jean portent. Les voisins vont finir par se plaindre. Nos voisins sont un couple de septuagénaire qui aime leur tranquillité. Lors de la pendaison de crémaillère de ma sœur et son chéri, nous nous en sommes aperçus à nos dépens. La police a frappé à la porte pour nous demander de baisser le son car il y avait eu plusieurs appels pour se plaindre du volume. Un petit mot avait pourtant été affiché et déposé dans chaque boîte aux lettres sans que personne ne fasse la moindre remontrance.

Avec un peu de chance, la police pourrait se déplacer pour nous débarrasser de cet ours mal léché si nos chers voisins faisaient appel à la police. Je ne suis pas croyante et pourtant je lance une supplique pour qu’ une main divine actionne un putain de téléphone.

Diling ! Diling !

Encore une visite. L’interphone est en panne ou quoi. On rentre comme dans un moulin ce soir dans notre bâtiment.

Les cris de Jean n’ont pas pu déjà alerter la police ! Un voisin ?

Alex se dirige vers la porte pour l’ouvrir. Je n’ai pas le temps de regarder que Jean profite de ce moment d'inattention pour se précipiter sur moi. Il m’empoigne et me serre contre lui. Je me retrouve mon dos contre lui et Annie est horrifiée d’autant de brutalité. Sous l’emprise de la panique, je ne sais comment, j’arrive à me dégager de son emprise. Jean semble surpris car pour une fois je ne me suis pas laissé faire. Sa colère s’amplifie et il se jette une nouvelle fois sur moi. Annie l’en empêche en s’opposant à lui, mon roc, mon armure de protection. Elle s’est mise entre nous deux et elle lui lance un regard noir. Jean recule, il n’ose pas s’approcher d’elle. A croire qu’il a peur d’Annie.

Faut dire qu’à sa place, j’aurais peur d’elle aussi.

- Ne t’approche pas d’elle où tu retrouveras tes attributs masculins au sol ! dit Annie avec une rage contrôlée.

- Écarte toi Annie ! Laisse-moi ramener Suzie avec moi chez nous ! dit Jean enragé. Cette histoire ne vous regarde pas. C’est uniquement entre elle et moi.

On pourrait croire qu’il est atteint de la rage avec cette bave aux lèvres et son comportement agressif. Jean n’a jamais été physiquement violent avec moi. A certains moments j’admets que j’ai eu peur que les coups pleuvent c’est pourquoi je me suis toujours soumis à ses ordres. Ce soir, la certitude de voir les coups tomber me pétrifie. Jean est le seul homme à m’avoir fait autant peur sans m’avoir fait aucun bleu. Il est le monstre qui se cache sous mon lit. C' est mon croque mitaine. Je suis comme cette petite fille dans le fond de son lit avec les draps remontés ne laissant apparaître que mes yeux et le bout de mes doigts sur le drap. Attendant que le croque mitaine s’approche pour me dévorer. Un grincement. Je vois ses longs bras, de longues griffes acérées qui grattent le pied de mon lit.

- Ne la touche pas ! Je t’interdis de la toucher ! Tu m’as bien compris ! assène une voix masculine.

- Mais qu’est-ce qui fout là ce type ? C’est toi qui l’a invité ? Tu sors encore avec ce type ? dit Jean scandalisé. Il t’a fait du mal Suzie, ouvre les yeux, c’est pas un homme bien pour toi. Viens avec moi, maintenant, j’en ai assez d’attendre !

J'émerge de ma catatonie. De qui me parle t-il ? Annie me fait un signe de tête pour que je détourne la tête.

Encore sous le choc des tentatives infructueuses de Jean de me saisir et de m’emmener avec lui, je crois rêver tout éveillé quand j’aperçois Aédan dans notre entrée. Un grand soulagement envahit tout mon être. Aédan mon chevalier blanc, ironique puisqu’il m’a jeté comme un vieux jouet cassé. Peu importe, j’y penserais plus tard. Peu importe qui vient à mon secours du moment qu’il nous débarrasse de cet ignoble prince pas si charmant.

- Suzie, tu vas bien ? me demande Aédan sans tenir compte de Jean.

- Il ne veut pas s’en aller sans elle, dit Alex. Suzie est effrayée, il a eu des gestes brusques envers elle. On a fait barrage mais faites attention, il pourrait être violent.

- Jean je veux que tu partes, s’il te plaît, dis-je las. Jamais je ne retournerais avec toi, je suis fatigué de te le répéter …

- Je partirai à une condition et tu sais laquelle. Il doit d’abord déguerpir d’ici et tu pourras venir avec moi après.

- Il n’est pas question que je parte en te laissant ici, dit Aédan sur un ton autoritaire.

Jean et Aédan se toisent. La testostérone se fait ressentir dans l’appartement. Un duel de regard se met en place. Ni l’un ni l’autre ne baisse les yeux. Jean s’éloigne d’Annie et de moi pour se placer en face d’Aédan. Jean l’harangue de sa verve. Les points d’Aédan se serrent de plus en plus fort.

- Elle n’est pas à toi, casse toi mec avant que je perde patience ! hurle Jean à Aédan.

- Suzie n’est pas un objet et je ne partirais pas.

- Elle ne sait pas ce qu’elle veut, elle n’a jamais su. C’est pour ça que je décide pour elle mais depuis qu’elle a fait ta rencontre elle est bouleversée. Tu lui as retourné le cerveau. Casse-toi ! Je vais te ruiner la face ! Je vais lui montrer que tu n’es qu’un branquignol !

- Jean ça suffit ! hurlé-je. Assez ! Je ne veux plus de toi dans ma vie, je ne veux plus que tu décides pour moi. Je ne veux plus que tu m’humilies, que tu me rabaisses, que tu m'empêches de voir qui je veux quand je veux. JE NE VEUX PLUS QUE TU M’EMPÊCHE DE VIVRE !

- Tu ne penses pas ce que tu dis, me dit-il en se ruant vers moi.

Je n’ai pas le temps de réagir, la surprise me prend de cours. La stupeur me pétrifie sur place.

Aédan lui fonce dessus, l’attrape par le biceps pour le retenir. Il lui fait faire volte face et son poing s’éclate sur sa joue. Jean bascule en arrière, le mur le retient. Il est sonné mais il se redresse face à Aédan, son visage rougit par le coup reçu. La honte de s’être fait rudoyer se lit sur ses traits. Aussi sec il se rue sur lui. Aédan esquive. Je ne savais pas qu’il savait se battre. Il lui assène un second coup dans l’abdomen. Jean tombe à terre le souffle court. Il se retrouve à quatre pattes et reste au sol.

Toc ! Toc ! Alex ouvre la porte.

- Police ! Vos voisins nous ont appelés. Il y aurait des violences conjugales. Tout le monde va bien ? Monsieur ? demande le policier en s’adressant à Jean toujours resté au sol.

- Cet homme a agressé ma belle-sœur, son petit ami l’a défendu et celui-ci s’est retrouvé à terre, monsieur l'agent, explique Alex.

Les policiers ont pris note de la situation et après un éclaircissement, ceux-ci décident d’emmener Jean avec eux. Ils me conseillent pendant les jours à venir d’aller dormir chez mon “fiancé”.

Je ne dément pas face à la police qu’Aédan est mon petit ami. Mais une fois la porte refermée sur eux, je demande à Aédan ce qu’il fait ici. Vu notre dernier tête à tête, je ne comprends pas bien sa venue même si celle-ci me fut salvatrice.

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