TAIS-TOI!

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— À l’aide ! cria Dala en courant dans la chambre, les cheveux collés à son visage, la respiration courte.
Elle claqua la porte, tourna sur elle-même, les yeux fous.
— Chut ! Pourquoi tout ce bruit ? Hein ? Pourquoi tu pleurniches encore ?

Elle fixait le vide devant elle, comme si quelqu’un se tenait là, invisible.
— Tu pleurniches sans arrêt, à l’aide, à l’aide… mais à l’aide de quoi ? De qui ? Tu veux que je fasse quoi, moi ? Te sauver ?

Elle rit, un rire sec, nerveux, presque cassé.
— C’est intéressant, tu sais… parce que moi aussi je suis perdue. Paumée. Enfoncée. Et toi, tu te plains encore !

Dala s’approcha du miroir, les yeux injectés de larmes et de rage.
— Tu te rends compte ? Je t’ai accueillie, je t’ai laissée entrer, je t’ai prise sous mon aile.
Elle pointa son propre reflet du doigt.
— Je t’ai donné un endroit où habiter, et tout ce que tu fais, c’est pleurer ! Pleurer, encore !

Son ton monta, brutal, brisé.
— C’est pas con, ça ? Pour me remercier, tu m’as éteinte peu à peu. Tu m’as vidée !

Elle frappa contre le miroir, une fêlure s’étendit sous sa main.
— J’ai jamais rien demandé, moi. Juste un sourire. Un peu de joie. Un peu de paix… mais non, même ça, tu pouvais pas me l’offrir.
Elle s’interrompit, reprit d’une voix plus basse, tremblante :
— C’est vrai… on ne peut pas donner ce qu’on n’a pas.

Ses mains glissèrent sur le mur. Elle respira fort, le regard vide.
— Mais tu me tues, tu comprends ? Tu me tues à petit feu.
Son souffle se brisa.
— Le pire… c’est que je ne sais même plus ce qui est réel ou pas.

Elle se laissa tomber à genoux, le front contre le sol.
— Je devrais pas te sauver… non… je devrais pas… mais je m’accroche quand même. À quoi ? À rien. À un fantôme. À toi.

Son corps se balança doucement d’avant en arrière. Puis plus rien.
Le silence tomba, lourd, étouffant.

Dala s’évanouit dans la paume de sa propre colère.
Le temps sembla se suspendre.
Il n’y eut plus que la petite souris, qui passa de temps en temps, légère, insolente, comme si la folie l’amusait.

Puis, soudain — toc toc.
Un bruit sec à la porte.

Dala sursauta, le cœur au bord de l’explosion.
— Qui… qui est là ? demanda-t-elle, la voix brisée.

Pas de réponse.
Juste un deuxième bruit. Ding… ding.
Le son résonna dans la pièce comme une cloche d’église au milieu d’un rêve.

La souris disparut.
Le vent s’arrêta.
Et Dala, figée, les yeux écarquillés vers la porte, sentit que quelque chose — ou quelqu’un — l’attendait de l’autre côté.

Ding… ding…
Le son résonna encore.
Dala ne bougea pas.
Ses mains tremblaient, ses yeux fixaient la porte.

— Qui est là ? cria-t-elle, la voix tremblante.
Silence.
Un silence lourd, compact, qui avala tout.

Elle se leva lentement, fit deux pas vers la porte. Chaque pas sonnait comme un coup de marteau dans le sol.
Le vent souffla plus fort, le rideau se déchira encore un peu.
Le miroir vibra.
Et les murs… semblaient respirer.

— Non… pas encore… murmura-t-elle.
Elle appuya sa tête contre la porte.
De l’autre côté, une voix étouffée, presque un murmure.
— Ouvre, Dala.

Elle recula d’un bond.
— Papa ? C’est toi ?
Rien. Juste le craquement du bois et le vent.

Elle posa sa main sur la poignée, hésita.
Le métal était glacé, vivant.
Elle l’effleura, puis la retira brusquement.
— Non. Non, je veux pas. Pas encore.

Elle fit quelques pas en arrière.
Le café froid sur la table, la tasse fendue, la souris figée dans un coin.
Tout la regardait, comme si chaque chose respirait lentement à son rythme.

— Arrêtez… arrêtez de me regarder, cria-t-elle.
Sa voix se brisa.
Elle prit la tasse, la lança contre le mur.
Le bruit éclata, et tout se tut.

Un souffle glissa derrière elle.
Elle sentit quelque chose frôler son épaule.
Elle se retourna d’un geste violent.
— Ne me touche pas ! cria-t-elle.

Mais personne.
Seulement le miroir, et son reflet.
Son propre visage la fixait… mais les yeux n’étaient pas à elle.
— Tu veux encore fuir ? dit la voix.

— Tais-toi ! hurla-t-elle.
Elle s’approcha du miroir, le poing levé.
— Tais-toi ou je te brise encore !
— Tu ne peux pas me briser, Dala. Je vis dans ce que tu refuses de voir.

Elle éclata de rire, un rire vide, désespéré.
— Dans ce que je refuse de voir ? Tu veux dire la mort ? La solitude ? La honte ?
— Non. Moi.

Elle recula lentement.
Le reflet lui souriait maintenant, d’un sourire tordu.
— Tu m’as nourrie de tes peurs, Dala. Chaque larme m’a rendue plus forte.
Elle secoua la tête.
— Non, tu n’existes pas. Tu n’es qu’un rêve. Une illusion.

Le miroir vibra.
— Si je suis une illusion, pourquoi as-tu si peur de moi ?

Dala se mit à pleurer. Pas fort, pas vite — doucement.
Les larmes coulaient comme une pluie lente.
Elle se laissa glisser contre le mur, les genoux repliés.

— Je veux juste qu’ils reviennent… murmura-t-elle.
— Ils ne reviendront pas. Mais moi, je peux rester.

Un silence.
Puis Dala souffla :
— Alors reste… mais ne parle plus.

Elle ferma les yeux.
Son souffle s’adoucit.
Le vent se calma, la souris ressortit timidement.
Et le miroir cessa de trembler.

Mais si quelqu’un avait écouté de près, tout près, il aurait entendu…
un souffle discret, derrière le verre,
un murmure presque imperceptible :

— Tu vois, Dala… maintenant, on respire ensemble...


__ Tais-toi!

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