Nouveau départ

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Marielle en avait assez des projets bancals de Léo. Tout à coup, toutes ces années à le suivre, à lui faire confiance pesaient sur elle. Il avait été capable de faire du mal au seul être qui jusqu'ici l'avait respectée, Jonathan. Les images de son agression soudaine lui revenaient sans cesse en mémoire, l'empêchaient de dormir, de trouver un peu de sérénité. Pourquoi continuer de vivre avec cet amoureux violent, qui ne cherchait pas à la comprendre ? Elle était juste son faire-valoir.

Dans sa tête germa une idée nouvelle. Depuis toute petite, son espoir de retrouver sa mère s'était amenuisé. Son père l'avait fermement dissuadée de fouiner dans son passé, de chercher à savoir ce qu'elle était devenue. Cela faisait dix-huit ans qu'elle ne l'avait pas vue. Elle avait pensé à elle chaque jour, en se disant que peut-êre, comme elle, quelqu'un l'empêchait d'aller et venir en toute liberté. Elle se décida alors à tenter de comprendre ce qui s'était passé le jour où sa mère avait fui alors qu"elle semblait mener une vie agréable. Son père n'avait fait aucune démarche pour la retrouver, alors qu'il était toujours amoureux et qu'il avait vécu ce départ de la plus terrIble des manières. Elle se rappelait l'avoir entendu sangloter le soir, dans son lit. Depuis, plus jamais aucune femme n'avait pris place à ses côtés.

Pendant que son père travaillait au garage, Marielle rentra dans sa chambre. Une valise placée en haut d'une armoire l'avait toujours intriguée. Effrayée par les propos durs de son père et appréhendant sa colère, elle n'avait jamais tenté d'y jeter un oeil. Le moment était venu. Elle était prête à affronter la réalité, fût-elle dure. Elle n'en était pas à une épreuve près.

Un cadenas à clé la tenait fermée. Elle allait devoir pousser plus loin ses recherches pour arriver à ses fins. Elle entreprit de fouiller soigneusement tous les tiroirs de la commode, plongea sous le lit, souleva toutes les piles de draps et d'habits. Elle trouvait dans cet acharnement à trouver la vérité comme une nouvelle respiration, un geste essentiel à sa survie. Sa mère lui avait tellement manqué.

Elle trouva plusieurs clés, les essaya toutes dans la minuscule serrure, passa nerveusement d'un objet métallique à l'autre avec ce fol espoir d'y trouver des réponses à ses questions. Enfin, elle s'ouvrit. Sans trop y croire, elle contempla fébrilement le contenu. Des habits qui portaient l'odeur de sa mère y étaient entreposés, ceux que son père avait voulu conserver, certainement. Elle approcha une nuisette de son nez, les effluves du parfum reconnaissable entre tous s'instilla dans ses narines. Elle revit cette fameuse soirée de Noël où rien ne transparaissait, leur joie n'était pas feinte. Que s'est-il passé ?

Des papiers jaunis gisaient au fond de la valise retenus par un élastique. Copie de sa carte d'identité, celle qu'elle utilisait lors de ses trajets en bus et aussi une attestation de son affiliation à un club de lecture local. Elle lut une lettre dans laquelle elle demandait à son père de ne pas chercher à la trouver, qu'il en allait de sa sécurité. L'écriture hâtive indiquait qu'elle n'avait pas pris le temps de s'appliquer. Il sagissait d'une fuite sans retour, elle imaginait son état d'esprit à ce moment-là. Elle avait dû abandonner son mari et sa fille pour des raisons impérieuses.

Elle parcourut des yeux un avis de disparition qui datait du 27 décembre 1998, l'année de ses huit ans. Tout concordait. Son père avait signalé l'absence de sa femme à la police. Aucun autre document ne lui permit de savoir quelle suite avait été donnée à cette plainte. Un adulte peut à tout moment partir du foyer de son plein gré sans que cela donne lieu à une enquête. Personne ne s'est inquiété à ce moment-là du sort de la fillette qui ne revit jamais sa mère ? Un flic compatissant aurait-il pu à ce moment-là pousser plus loin ses investigations ?

Elle voulut en avoir le coeur net. Malgré les années, elle se disait qu'elle pourrait peut-être se rendre aux archives de la police et solliciter une recherche en son nom. Elle était prête à payer un détective s'il le fallait et si les éléments étaient suffisants pour la mettre sur une piste.

Au poste municipal, on lui indiqua l'adresse de ces fameuses pièces où tout était conservé, lui assura-t-on. Munie des précieux papiers qu'elle avait trouvés dans la valise, elle fut accompagnée par un agent assermenté qui nota soigneusement son nom et la date sur un registre officiel. Le coeur battant, elle parcourut avec lui les milliers de dossiers enregistrés dans les ordinateurs depuis trente ans. Il tomba sur le récépissé de l'avis de recherche signé par son père. Elle apprit ainsi le nom de jeune fille de sa mère. Salézio. Elle se doutait qu'elle avait de origines italiennes.

L'homme fronça soudain les sourcils. Il indiqua d'un doigt crasseux une ligne en bas du document tapée à l'encre rouge. Cas BRG.

- Qu'est-ce que cela signifie ? lui demanda-t-elle, soupçonneuse.

- C'est un code interne pour nous avertir de la dangerosité de l'affaire. Le B, pour brigade, le R pour réseau, le G pour gang. En général, ce sont des filles qui travaillent pour des maquereaux particulièrement corrompus et protégés par de hautes instances. Cela signifie que l'équipe qui a géré cette disparition à l'époque a dû abandonner les recherches. Dans ce milieu, celui qui fouine ne vit pas longtemps, si vous voyez ce que je veux dire. Je suis désolée, mademoiselle, mon action s'arrête là. Je peux juste vous dire de faire très attention car vous rentrez dans un milieu pourri dont les chefs sont sans scrupule. Votre mère s'est certainement fait enlever par une bande de recruteurs. Vous avez une photo ?

- Oui.

Elle lui montra une belle femme brune aux cheveux très fins et à la bouche pulpeuse.

Il hocha la tête, sûr de lui.

- C'est ce genre de filles qu'ils mettent sur le trottoir. Votre mère ne vous a pas abandonnée de son plein gré. Quelqu'un l'y a forcée. Je vais vous indiquer le quartier où ils traînent en Belgique. Et le nom d'un pote retraité qui en sait long sur ces trafics de femmes.

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