[A4] Scène 16 : Hortense

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Hortense, Stanislas, Aliane

Ae 3894 – cal II

Hortense ne savait pas si elle avait vraiment dormi, ni combien de temps. Des pas précipités dans l’entrée venait de la tirer de sa torpeur. La porte s’ouvrit à la volée. Sa mère.

Comment, cela faisait-il déjà sept jours ?

« Hortense ? Hortense, tu m’entends ? »

Elle grommela. Son cerveau engourdi de froid et de fatigue peinait à comprendre ce qu’il se passait. Quelque chose ne collait pas. Elle ne pouvait pas être restée alitée sans rien faire aussi longtemps. Stanislas aurait dû la lever pour l’aider à manger, comme c’était convenu.

Lenoir.

Cela lui revenait à présent. Lorène Lenoir avait frappé à leur porte, tard, le soir qui avait suivi le départ de leur mère. Hortense avait demandé à son frère de ne pas la laisser entrer. Il était venu lui apporter un plateau repas d’un air pressé, sans rien dire, puis avait refermé la porte. Et depuis…

« Hortense, comment te sens-tu ?

— Mal. Où est Stanie ?

— Il est là, avec moi, murmura Aliane comme si elle s’adressait à une petite fille. C’est fini, je suis rentrée, moi aussi. Tout va bien.

— Ça va, lâche-moi. »

Hortense trouva la force de repousser les mains de sa mère qui s’efforçaient de la découvrir, sans doute pour constater l’avancée de la maladie. Elle ne voulait pas qu’on la touche. Elle ne voulait pas voir sa mère.

« Il faut que tu manges, lui intima cette dernière. Je vais t’aider.

— Ça va ! répéta Hortense. Laisse. Stan va le faire. Sors. »

Aliane marqua une hésitation, puis se redressa. De sa position couchée, Hortense ne discernait que la longueur sombre de sa robe sous son manteau. Finalement, sa mère se tourna vers Stanislas et lui ordonna de remettre des braises dans la chaufferette et de vérifier que sa sœur ne manquait de rien pendant qu’elle cuisinerait quelque chose. Là-dessus, elle les laissa enfin seuls. Stanislas récupéra la chaufferette éteinte sous le matelas. Hortense le suivait des yeux sans bouger.

« Qu’est-ce que t’as sur la joue ?

— Rien. Maman a eu peur. C’est tout. »

Hortense n’en dit rien mais n’en pensa pas moins. Son frère s’apprêtait à sortir mais elle l’interrompit à nouveau entre deux claquements de dents :

« Attends. Quel jour on est ?

— La deuxième calende d’Aestas, répondit son frère sans hausser le ton.

— Quoi ? Mais… Pourquoi maman est…

— Elle est rentrée plus tôt. À cause de Lenoir. Ils savent qu’elle est venue.

— Qui ça, ils ? »

Son frère partit en promettant de lui expliquer une fois sa tâche effectuée. Hortense prit son mal en patience. Ainsi, Lenoir avait bien eu une mauvaise idée en leur rendant visite – la veille au soir, donc. Pour que cela ait poussé sa mère à écourter son séjour, ce devait être un sacré mauvais coup. Quelque part, ce n’était pas un mal. Cette histoire de vacances avec le type au haut-de-forme était stupide, de toute façon.

Son frère revint vite avec une bassine et la chaufferette incandescente. À défaut d’en percevoir la chaleur sous son matelas, Hortense en reconnaissait l’odeur de charbons ardents.

« Comment ça, t’es parti avec Lenoir ? grinça-t-elle quand son frère lui eut tout raconté.

— J-J’avais peur qu’elle s’en prenne à toi si je disais non, bafouilla Stanislas. Puis je me suis dit… que, comme ça, je pourrai prévenir maman.

— T’aurais pas dû. Elle avait dit que des agents nous surveillaient. »

Et ces derniers avaient dû faire leur travail. Hortense ne les avait ni vu ni entendu, mais elle devinait que, sans eux, sa mère n’aurait pas été informée et rapatriée aussi rapidement. Cette surveillance devait donc être efficace. Elle n’en douterait pas la prochaine fois qu’une situation semblable se présenterait.

« Il y a autre chose, souffla Stanislas. Il faut que je te montre. »

Il se redressa et ferma prudemment la porte après avoir jeté un œil dans l’entrebâillement. Puis il ramena la bassine entre eux.

« Désolé, il faut que je te découvre les mains. Il faut que je vois quelque chose. »

Hortense voulut répliquer mais se laissa faire. Elle ne sentit pas les gestes de son frère ni le frottement des laines quand elles quittèrent ses mains. Ou plutôt ce qu’il restait de ses mains. Violacées, veinées de noir sous la chair devenue presque translucide. Hortense ignorait jusqu’où s’étendait la Dégénérescence, à présent. Elle se découvrait trop peu pour le savoir et ne laissait personne la voir nue. Elle sentait cependant que ses épaules et ses jambes jusqu’à l’aine ne répondaient plus, ne sentaient plus ni le tissu ni même le froid, tant elles étaient congelées.

« Tends tes mains.

— Je peux pas. Qu’est-ce que tu fiches ? »

Stanislas l’aida à se mettre sur le côté et lui prit délicatement les mains pour les laisser reposer au bord du lit. Tout en jetant des coups d’œil inquiets vers la porte fermée, il déboucha une petite bouteille contenant un liquide transparent. Hortense voulut le questionner. Parler lui en demandait beaucoup. Elle regarda donc son frère déverser sur elle le contenu de la bouteille en silence.

Et soudain, la brûlure.

Puissante. Irradiante. Insupportable.

« Arrête ! »

Elle retira brusquement ses mains pour les ramener sous les quatre plaids. Des pas dans le couloir. Derechef, Stanislas poussa la bassine sous le lit. Il reboucha la bouteille qui disparut sous sa chemise.

Aliane entra. Stanislas bredouilla une explication quelconque qu’elle écouta non sans se départir d’un air sévère. Hortense le laissa parler, médusée par ce qui venait de se produire. Sous les couvertures, sa peau lui brûlait encore.

Sa peau. Brûler.

Elle n’avait plus ressenti cela depuis si longtemps.

Aliane accepta de battre en retraite et demanda à Stanislas de mettre la table. Ce dernier hocha sagement la tête mais attendit qu’elle fût sortie pour repousser la porte à nouveau.

« Ça va ? Tu as mal ? »

Elle ne savait pas. Ses doigts fourmillaient. Elle accepta de les lui montrer. Tous deux n’en revinrent pas : là où l’eau avait coulé, la chair avait rougi violemment et semblait retrouver son opacité. Hortense pressa ses couvertures entre ses doigts gourds et fébriles. Elle était là, la sensation des mailles de laine tricotées serré. Lointaine, mais perceptible. Quoiqu’avec lenteur, ses mains acceptaient de s’ouvrir et de se fermer. La jeune néantide se vit accomplir ce geste banal plus d’une dizaine de fois comme si elle assistait à un miracle. Et de fait, c’en était un.

« Où as-tu eu ça ? »

Stanislas répondit avec un petit rictus malicieux. Une mimique qu’elle ne lui connaissait pas.

« C’est un secret. Maman ne doit pas savoir. Tu promets ? »

Elle promit. Tandis qu’il l’aidait à remettre ses gants, elle prit sa main. Peau contre peau. Celle de Stanislas, moite, brûlante, qui lui rendait son étreinte, et la sienne. Reconnaissante.

FIN DE L’ACTE IV

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